L’autorité dans le management, une impasse ?

Dans cet épisode, nous allons parler de l’autorité comme levier de management.

Bon on ne va pas y aller par 4 chemins chef(fe), le bon… chemin… c’est celui que je trace et t’ordonne de prendre parce que je suis ton chef(fe) chef(fe). On ne discute pas, en rang par deux je veux voir qu’une tête !

C’est cela oui ! Et la ceinture… c’est pas en porte-couilles ! Je rigole. L’enfant rebelle te répond : cause toujours, parle à … qui tu veux… Tu peux toujours exercer ton autorité, tu ne m’influenceras pas, je n’en ferai qu’à ma tête…

Ah la tentante image du pirate libre de tout à commencer par l’autorité qui s’impose à lui, alors qu’au fond, il pille, non ? Mais je vois bien que l’argument d’autorité n’a pas grâce à tes yeux.

Ca ne semble pas bien marcher, mais pourtant, combien de managers en usent et en abusent ? Alors, l’autorité dans le management, une impasse ? C’est quoi l’histoire ?

Influencer ! Le mot à la même origine que la grippe en anglais « Flu »… C’est amusant non ? influere, « se répandre »… L’action d’agir sur une personne, plusieurs, voire une institution. Bref, obtenir ce que l’on veut des autres.

Or, l’autorité constitue l’une des formes traditionnelles d’influence. Je cherche à te faire accepter mes idées en m’appuyant sur un argument d’autorité. En d’autres termes, j’ai raison parce que l’autorité que je suis s’impose à toi.

Autrement dit, l’autre ou les autres sont supposés admettre que ce que tu dis est vrai ou juste car une autorité l’a dit. Et dans le cas présent l’autorité c’est toi. Ce qui pose deux questions. D’une part, de quelle autorité s’agit-il ? Et d’autre part, quel crédit tes interlocuteurs lui accordent-ils ?

La question n’est pas de savoir si l’argument d’autorité dans le management est efficace ou pas mais bien de s’interroger sur la légitimité de cette prétendue autorité aux yeux de celles et ceux qu’on cherche précisément à convaincre.

Toute la question de l’origine du mot, commune à « auteur » et à « autorité » : du latin auctoritas. Chez les Romains c’était l’attribut du Sénat, la légitimité des Anciens. L’auteur en tant que créateur d’une parole, poseur d’une première pierre. Augere voulait dire « faire grandir ».

Alors quelle autorité convoquons-nous dans les actes managériaux pour convaincre ? Et bien chez certains et certaines, ce n’est pas celle de l’autrice ou de l’auteur mais plutôt de celui ou celle qui en manque cruellement et qui en appelle… aux galons.

L’autorité hiérarchique. J’ai raison parce que mon statut de « supérieur » hiérarchique me confère (selon moi) une autorité à laquelle tu dois te soumettre.

Sauf que là, mon pote, le bruit de tes bottes comme dirait Renaud il invite à formuler deux remarques.

La première est simple : le lien de subordination auquel je dois me soumettre te confère le pouvoir de m’imposer une décision in fine, que j’y adhère ou pas. Et ça, c’est normal, c’est même une dimension du contrat de travail.

Mais la seconde, c’est que cette subordination ne vaut pas adhésion, ni compréhension. Dit en d’autres termes, ce que tu m’imposes parce que ton statut te le permet. Il t’en donne le droit, certes, mais cela ne change rien au fait que tu ne m’as pas convaincu.

Tu peux toujours asservir, petit chef, mais ne te plains pas de mon absence d’engagement après. Bref, l’argument d’autorité qui s’impose par le statut a peu de chance de convaincre. Encore moins, lorsque celles et ceux à qui je m’adresse acceptent de moins en moins la verticalité de l’exercice du pouvoir.

Qu’on le veuille ou non, qu’on trouve cela bien ou pas, c’est vraisemblablement un fait. Celles et ceux à qui tu t’adresses voient cela comme une autorité arbitraire ! Le fait du Prince. Donc il faut trouver d’autres voies.

Car des autorités, il y en a d’autres. On peut invoquer par exemple l’autorité de l’expert. Elle invite la compétence reconnue par les pairs. Difficile de s’y opposer non ? Seulement voilà celle-ci aussi, à tort, est rejetée. Non pas qu’elle ne soit pas légitime dans l’absolu mais elle n’est plus vue comme telle par un nombre croissant de personnes.

C’est sûr que lorsque tout le monde s’auto-proclame expert de tout et n’importe quoi dès qu’il y a quelque chose à gagner, à commencer par de la visibilité, et qu’il suffit d’un porte-voix pour trouver audience et être entendu, pas sûr que l’autorité de compétence y gagne.

Cela tourne vite en effet à l’autorité de l’imposture, celle qui fait du bruit ou qui maîtrise les codes des algorithmes qui lui permettent. Bref, n’épiloguons pas ! Celle-ci aussi s’avère de moins en moins efficace pour convaincre.

L’autorité d’une personne morale peut-être ? Ce n’est pas moi qui le dit mais c’est Gallup ou McKinsey ? Je crains qu’on en revienne au même problème, elle n’emportera pas l’adhésion. Au mieux on en critiquera – souvent à juste titre d’ailleurs – le regard trop général ou l’éloignement avec la réalité du terrain – et au pire on dénoncera ses collusions et intérêts bien sentis. Parfois là aussi à juste titre malheureusement.

Il nous reste peut-être alors, comme les Anciens du Sénat des Romains, l’autorité du sage, celui qui est détenteur d’un héritage et qui porte un regard sur des temps plus longs. Tiens, on peut inviter la sagesse du philosophe ou l’analyse du sociologue…

Mais là encore, on rejettera la distance de l’un, trop éloigné du terrain, ou de l’autre trop ancien pour comprendre un monde qui a changé, …

Voilà donc qui limite les possibilités. On posait deux questions : l’autorité de qui et sa légitimité aux yeux de ceux à qui on s’adresse. On voit à l’énoncé de cette liste d’écueils que lorsque la légitimité s’efface de plus en plus, la première question importe peu.

Qui es-tu donc pour m’imposer tes vues, moi qui le vaut bien ? A croire qu’il ne resterait plus que la vedette de service. Genre en mode c’est le plus populaire qui l’a dit donc c’est vrai. Et hop on convoque l’influenceur du moment et le tour est joué.

Pas sûr qu’on y gagne non plus. Alors si aucune autorité ne trouve grâce à tes yeux, même celle de la compétence de l’expert, que faire ? Il ne resterait donc que le passage en force dont on a dit qu’il ne valait pas adhésion, ni compréhension.

Il reste l’argumentation, sous toutes ses formes, et c’est un art. Manager serait donc une affaire de pédagogie. Mais ça c’est une autre histoire.

En résumé, l’autorité n’influence les autres qu’à la mesure de la crédibilité et légitimité qu’ils accordent à qui en fait preuve. Le pouvoir permettant de soumettre par la contrainte mais n’ayant pas d’effet sur l’adhésion, il reste donc l’argumentation et la pédagogie pour convaincre et c’est là tout l’art du management.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.