Réalité virtuelle et transmission des savoirs tacites

Dans cet épisode, nous allons nous demander en quoi la réalité virtuelle, la VR, peut être d’un apport utile en matière de transmission des savoirs tacites.

Cet épisode est sponsorisé par Experience 4 …. votre partenaire réalité virtuelle pour des expériences immersives.

On n’est pas sorti de l’auberge chef(fe) : d’un côté des savoirs dits « tacites » et de l’autre une réalité dite « virtuelle ». Bah si c’est tacite et virtuel, il ne va pas rester grand-chose mon bon monsieur.

Si justement ! L’importance du tour de main ! Ce geste que la personne expérimentée connaît, à force de le pratiquer et d’en observer les bénéfices mais sans trop savoir pourquoi… Le truc que ta grand-mère t’enseignait en cuisine, qui lui avait été transmis par ton arrière-grand-mère, qui la tenait elle-même de …

Oui j’ai compris ! Ou la situation que le vieux baroudeur t’invite à apprécier autrement que ce que tu vois en première lecture parce que, d’expérience, il sait que cette configuration-là a telle ou telle caractéristique, bref toute cette connaissance qui constitue un capital intangible d’une très grande richesse pour l’entreprise …

Et qui est pourtant si difficile à formaliser, à entretenir, à transmettre, … Mais si la réalité virtuelle pouvait y aider ? Alors, réalité virtuelle et transmission des savoirs tacites, c’est quoi l’histoire ?

Commençons peut-être par expliquer ce dont on parle avant de s’intéresser à la réalité virtuelle. « Tacites » certes mais ce n’est pas une raison pour ne pas en parler n’est-ce pas ? Qu’est-ce qu’elles auraient donc de particulier ces connaissances tacites ?

Les connaissances tacites, elles sont inhérentes à la personne, elles relèvent d’une expérience, sont difficiles à exprimer, à formaliser, à traduire de façon intelligible. C’est par exemple un savoir-faire, un tour de main comme je disais, bref une connaissance subjective liée à l’expérience d’une personne.

Une connaissance qui s’exprime le plus souvent dans une situation concrète de travail mais « n’est pas susceptible de formulation verbale » comme l’affirmait Chester Barnard[1] qui a travaillé sur le sujet. En somme, quand le maçon est au pied du mur !

Ce ne sont pas ces « tips & tricks » ou « trucs & astuces » qu’on affectionne particulièrement aujourd’hui dans une lecture aussi utilitariste que simplificatrice des choses et qui par nature sont assez faciles à décrire et formaliser. Ce dont il s’agit-là relève précisément de ce que le sujet qui en est détenteur ne sait pas formaliser vraiment, parce que c’est diffus, ce n’est pas construit, etc.

C’est donc particulièrement difficile à capitaliser pour l’entreprise et à transmettre de personne à personne. Ce fut d’ailleurs l’une des grandes ambitions du Knowledge Management dans les années 90, avec une croyance que la technologie y ferait des miracles.

Et c’est une des raisons de l’inscription du compagnonnage au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2010. Toute l’importance de la socialisation dans la transmission des savoirs tacites ou implicites que Nonaka et Takeuchi [2]avait conceptualisée dans ce qui a été baptisé la « spirale des connaissances ».

En substance, des connaissances qui se transmettent par échanges et interactions entre personnes. Et c’est une première dimension clé au regard de laquelle la réalité virtuelle peut apporter quelque chose.

Dans la pratique, on connait les vertus d’un groupe où, en formation présentielle, cette dimension émerge sans qu’elle ne soit explicitée. On voit bien les effets des interactions dans un groupe. Les participants en apprennent aussi des choses qui relèvent de ces savoir tacites.

On n’a pas eu une formation sur la coopération mais en revanche de cette formation sur le management nous sommes ressortis nourris d’un sentiment diffus de coopération grâce à ce qui s’est passé dans le groupe.

Là, la réalité virtuelle peut entrer en jeu sous de multiples aspects. Parce que la VR permet d’expérimenter des interactions dans un espace virtuel, elle offre en quelque sorte une reproduction virtuelle de l’expérience de socialisation.

Une visio avec du partage de document ça marche aussi mais seulement lorsqu’on parle de connaissances explicites, formalisables sur un support, un discours, une présentation. Mais lorsqu’il s’agit de tacite, ce sont les vertus de ce que l’on expérimente qui comptent.

Alors oui certainement d’abord dans le monde réel, mais la VR prend tout son sens quand le virtuel l’emporte, notamment parce que les personnes sont difficiles à déplacer et à réunir par exemple.

Tu peux le prendre sous l’exemple facile du jeu. Un « escape game » en réalité virtuelle pour faire en sorte que des personnes séparées par des milliers de kilomètres coopèrent de fait, ça marche bien. Mais tu peux aussi prendre le sujet sous un angle plus traditionnel.

Oui, par exemple, ton instructeur en matière de pilotage d’un engin quelconque avec qui tu partages l’expérience de conduite en simulateur à distance ou cet acte médical que réalise un spécialiste devant un groupe sans avoir à mettre en péril la vie d’un patient en vrai et à déplacer tout le monde.

La seconde caractéristique dans la transmission d’un savoir tacite, qu’avaient aussi formalisée Nonaka et Takeuchi dans leur spirale des connaissances, c’est l’intériorisation.

Dit autrement, ce sont des connaissances que le sujet acquiert en faisant, c’est-à-dire par expérience, par exposition à la situation de travail, par la répétition du geste métier, par la répétition de l’expérimentation dont il ou elle tire enseignement diffus.

A force d’essayer de fendre du bois avec un coin et un merlin, tu finis par apprendre à lire le fil du bois, à mieux positionner ton coin et à utiliser moins d’énergie. Mais pour cela, encore faut-il fendre beaucoup de bois.

« Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. » écrivait Boileau. Alors quand c’est fendre du bois, pars en forêt c’est simple. Mais nombre de domaines peuvent très utilement recourir à la réalité virtuelle.

Tu ne vas par exemple pas arrêter l’outil de production à chaque fois que tu veux qu’un opérateur soit confronté à une panne sur une machine et à la manière de bien réagir dans une situation de travail précise. Tu ne vas pas non plus créer une situation critique dans la réalité pour que tes salariés acquièrent le bon réflexe en cas de braquage, d’accident de personne ou de manquement à une règle de sécurité.

Lorsqu’il faut acquérir à force de répétition un geste métier, adopter de bons réflexes à force d’être exposés à une situation de travail, bref là où l’expérience prend racine dans le temps et pas uniquement dans l’interaction, la VR prend tout son sens, ne serait-ce que pour des raisons très pratiques.

Or, dès lors que l’entreprise fait face à une pénurie de main d’œuvre, notamment sur des métiers critiques, c’est une manière de capitaliser, d’accélérer la maturité d’un corps de métier, etc.

En résumé, la réalité virtuelle est d’un apport réel dans le transfert des savoirs qu’on acquiert par socialisation ou par intériorisation d’un geste ou d’une situation lorsque les contraintes matérielles ne permettent pas de le faire raisonnablement dans la réalité.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.

[1] Chester Barnard, 1938, The Functions of the Executive (Cambridge: Harvard University Press, p291

[2] Ikujiro Nonaka et H. Takeuchi, The Knowledge-Creating Company: How Japanese Compagnies Create the Dynamics of Innovation, Oxford University Press, New York