On n’achète pas la pénibilité !

Dans cet épisode nous allons parler de conditions de travail et nous demander si des compensations financières suffisent pour rendre plus attractifs des métiers jugés pénibles.

Dans cet épisode nous allons parler de conditions de travail et nous demander si des compensations financières suffisent pour rendre plus attractifs des métiers jugés pénibles.

On les appelle pudiquement les « métiers en tension ». Il y a même une liste officielle, régulièrement revue par le gouvernement. On y trouve pêle-mêle des aides-soignants, des aides à domicile, mais aussi les métiers de la restauration et des agents d’entretien par exemple.

Au point d’ailleurs que certaines activités soient en péril faute de cette main d’œuvre qu’on n’arrive plus à recruter. On ferme des lits dans des Ehpad faute de personnels soignants, des hôtels-restaurants n’ouvrent plus certains jours faute de serveurs ou de commis de cuisine… Il ne manquerait plus qu’une inflation du coût de l’énergie là-dessus tiens !

Qu’à cela ne tienne ! Il suffit de revoir nos « packages », de meilleurs salaires, des primes pour compenser, y compris des primes de présentéisme, et tu vas voir comment ça va redevenir attractif. Sauf que voilà quoi du coup en mode c’est pas easy, on n’achète pas la pénibilité. C’est quoi l’histoire ?

Mais si je te dis !… Dans la grande tradition taylorienne, il y a même des dispositifs légaux prévus pour compenser la pénibilité. Il y a des facteurs prévus par la loi, comme les contraintes physiques importantes, un environnement hostile ou des rythmes perturbants !

En vérité, on ne parle pas ici de ce que la loi – ou la décence – impose ! En revanche, on note, qu’on le veuille ou non, qu’on accepte de l’entendre ou pas, bah qu’il y a des gens qui ne veulent plus faire ces boulots-là dans ces conditions-là.

Force est de constater qu’il y en a en effet de moins en moins, si ce n’est presque plus pour certains métiers. Sauf peut-être celles et ceux qui n’auraient pas le choix…

Or, la tentation est grande face à ce type de pénurie d’actionner ce qu’on imagine être un levier d’attractivité en revoyant à la hausse l’ensemble des conditions financières, pour compenser en quelque sorte la peine liée à l’exercice de ces métiers.

Traditionnellement, on a en arrière-plan de ce sujet, 2 grandes théories.

D’un côté, la théorie de la compensation dont les principes datent d’Adam Smith et qui établit un lien entre conditions de travail et salaires. En substance, les salaires augmenteraient à mesure que les conditions sont pénibles car elles sont en quelque sorte compensées par les entreprises pour s’assurer les services des salariés qui les subissent.

De l’autre, la théorie de la segmentation[1] qui tend à distinguer deux marchés du travail distincts, dont l’un, le marché dit « secondaire » dont le nom dit tout, présenteraient des caractéristiques peu attractives.

Tout se passerait donc aujourd’hui comme si les pratiques issues de la théorie de la compensation étaient insuffisants pour répondre aux enjeux du marché dit « secondaire ».

Dit concrètement, les gens n’acceptent plus de faire ces jobs-là dans ces conditions-là, même en compensant. Et c’est là la porte ouverte à tous les poncifs sur les flemmards, les assistés, et tout le toutim.

D’une part, il nous importe peu de chercher les causes sociétales et encore moins de cette manière-là. D’autre part, ce qui semble plus utile c’est de se demander quelles réponses l’entreprise confrontée à ce constat peut tenter de mettre en place.

Or, en la matière, deux idées simples peuvent être suggérées pour tracer les lignes de ces réponses. La première c’est un principe simple et connu : le désir des personnes est infini, les ressources des institutions pour y répondre sont par nature limitées. Dit en d’autres termes, la course à la surenchère des compensations et des avantages est perdue d’avance.

Ce qui ne veut pas dire d’ailleurs qu’il ne faille pas jouer sur ce levier-là en plus. C’est juste nécessaire mais très loin d’être suffisant !La seconde, c’est que le problème n’est pas la compensation de la pénibilité mais la pénibilité elle-même. Dit en d’autres termes, tu peux toujours payer plus, cela ne change pas la pénibilité en tant que telle. Genre, ferme la porte il fait froid dehors. Bah tu peux toujours fermer la porte, il fera toujours froid dehors.

La question de la compensation, c’est comme la pollution ou la connerie, il y a un seuil. Autrement dit, à partir d’un certain prix, l’arbitrage se fait et cela peut en inciter quelques-uns à revoir leur position. Certes. Mais dans la durée c’est perdu d’avance. Le prix à payer pour faire en sorte que les gens acceptent de faire ce qu’ils n’acceptent plus de faire ne cessera d’augmenter.

Donc il ne reste au fond que deux solutions : trouver d’autres personnes prêtes à faire ce que les premières n’acceptent plus de faire… parce qu’elles ont moins le choix… No comment.

Ou la seconde, s’attaquer aux conditions de travail de ces emplois. On peut par exemple investir le champ de la technologie pour les rendre moins pénibles quand il s’agit de porter des charges ou ce genre de choses.

Mais ce type de pistes est très loin de régler tous les problèmes. Loin s’en faut. On doit surtout se préoccuper des conditions de travail, sur les horaires, sur la souplesse d’organisation pour les personnes, sur tous ces facteurs qui peuvent objectivement et concrètement rendre les choses moins pénibles pour celles et ceux qui les exercent.

Est-ce que cela sera suffisant ? Aucune idée. Vraisemblablement non. Difficile de ne pas se remémorer la phrase de Pierre Desproges : « les aspirations des pauvres ne sont pas très éloignées des réalités des riches. »

On se souvient aussi de cet article de Courrier International pendant la crise de la Covid, je cite « Confinés seuls, les riches New-Yorkais découvrent les corvées, et c’est “un choc” »… La réalité est parfois aussi difficile à entendre que facile à comprendre…

Peut-être faudra-t-il donc imaginer des pistes complémentaires. Mais en tout état de cause, s’attaquer au sujet de la pénibilité, c’est un premier pas incontournable faute de quoi il ne faudra pas se plaindre quand la bise viendra.

Or, cela suppose un double préalable. Le plus important : reconnaître la réalité des conditions de travail. Cela pose encore la question des seuils et des préjugés.

Donc peut-être aussi reconnaître la réalité de ce que pensent les gens. Tu ne trouves pas ça pénible parce que de ton temps on le faisait de bon cœur. Peut-être. Peut-être même as-tu raison. Mais ce n’est pas le sujet. Le sujet c’est que les gens eux pensent autrement. Or, tu as besoin d’eux.

Et oui le monde change ma bonne dame, ce qu’ils acceptaient il y a un certain temps, ils ne l’acceptent plus. Pas la peine de crier aux loups. C’est comme ça. On ne dit pas que c’est bien ou mal. C’est un fait.

Or, lorsque le sujet est vital pour la survie d’une entreprise, il faut être guidé par les faits, qu’ils nous plaisent ou pas !

En résumé, lorsque les compensations financières ne suffisent plus à convaincre les gens d’exercer des métiers pénibles, il faut reconnaître et s’attaquer à ce qui pose problème, à savoir la pénibilité. Cela ne suffira peut-être pas mais c’est une étape incontournable.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.

[1] Doeringer P., Piore M. (1971) Internal Labor Markets and Manpower Analysis, Lexington (Mass).