Le bout du geste

Dans cet épisode nous allons parler d’exigence dans le travail ou au moins de le faire jusqu’au bout…

Dans cet épisode nous allons parler d’exigence dans le travail ou au moins de le faire jusqu’au bout…

Hey, tu ne vas pas me la faire hein ! Tu voulais un support digital interactif pour le 30 et tu l’as le 30. Donc camembert ! Tout va bien !

Ça, c’est toi qui le dit. Non tout ne va pas bien. Ah bien sûr tu as livré le 30. Mais sérieusement tu as vu ce que tu as livré ? Tu veux qu’on le reprenne écran par écran ton support ?

Bah tu voulais un support digital interactif et c’est ce que tu as. Moi, j’ai fait mon boulot. Circulez, il n’y a rien à voir encore moins à redire.

Et c’est là que réside tout le sujet : « faire son boulot ». Cela veut dire quoi ? Le bout du geste, c’est quoi l’histoire ?

Oh en vérité l’histoire est simple. Faire son boulot cela veut dire « bien » faire son boulot. Il y a un minimum qui est attendu. En substance, tu ne le fais pas à moitié. Et pour cela, il faut aller jusqu’au bout du geste. End of story.

En fait, dans l’exemple de l’introduction, ce qui a été livré le 30 comme prévu, ce n’était pas un support digital interactif mais à peine un PowerPoint amélioré. Sans parler des fautes d’orthographe, des liens morts, des écrans où l’on ne peut plus revenir en arrière. Bref, pas de quoi satisfaire le demandeur ni même de dire que le boulot a été fait correctement.

Tout le monde peut comprendre qu’il a des contraintes et des imprévus. Tu n’as pas eu le temps ? OK, mais dans ce cas, préviens et laisse le destinataire faire ses arbitrages plutôt qu’en l’occurrence choisir la conformité du délai à la qualité du support.

Surtout si ta réponse après est du genre bas de plafond de premier degré qui justement se réfugie derrière le pied de la lettre. Hey, j’ai respecté « la consigne », comme un enfant à l’école, c’est un peu primaire pour un professionnel !

D’abord en se comportant de la sorte il te montre qu’il n’a rien compris à la finalité poursuivie au global ou alors, qu’il ne te croit pas capable de comprendre que des arbitrages plus importants ont dû être faits. Dans les deux cas, ça ne colle pas.

Pire parfois il te prend pour un abruti. Genre ah bah fallait le dire que ce n’est pas ça que vous attendiez, on va faire un groupe de travail et vous allez nous faire un cahier des charges.

Bien sûr que le respect des engagements ça commence par les définir correctement et s’assurer qu’ils ont été compris. Mais il y a aussi un état de l’art minimal.

Tu ne vas quand même pas faire un cahier des charges pour conclure que les fautes d’orthographe ce n’est pas acceptable ou qu’un lien sur lequel on peut cliquer doit t’emmener ailleurs que sur une erreur 404.

En d’autres termes, il ne faut pas pousser mémé dans les orties. En l’occurrence, cela pose plusieurs questions et met en lumière ces comportements professionnels très limites.

Du genre je me débarrasse de ce que j’ai à faire. Or, on ne te demande pas d’être le champion du monde de l’amour du travail bien fait ou du bel ouvrage, mais simplement de faire ton travail correctement.

Et le faire correctement cela veut dire jusqu’au bout. Tu fais la cuisine, tu laves tes ustensiles et tu rends ton plan de travail propre. tu travailles de nuit, tu laisses un poste de travail propre à l’équipe du matin. Tu envoies un document, il n’est pas bourré de fautes et il est lisible. Tu fais un cours, tu remets les tables et les chaises comme tu l’es as trouvées avant de partir.

Ce n’est pas si compliqué à comprendre mais ce n’est pas aussi fréquent qu’on le pense en vérité. Combien sont celles et ceux qui se contentent juste de respecter la consigne en restant au niveau le plus minimal possible de l’exigence professionnelle ?

Et l’exigence professionnelle, dans un métier donné, ça s’apprend. Quand on parle « d’état de l’art » et bien ça se transmet.

Si tu demandes à un joueur de faire une passe, c’est bien, mais explique lui aussi qu’elle n’est pas vrillée, qu’elle est en arrière, dans le bon timing, pas dans les pieds, ni 3 mètres au-dessus de la tête, bref explique ce que cela veut dire « faire une passe ». Ce n’est pas « débarrasse toi du ballon » !

On s’en tient tellement à des incantations, comme les valeurs par exemple, du genre « le client au cœur de nos préoccupations ». Encore faut-il expliquer ce que cela signifie concrètement de manière à ce que chacun comprenne à peu près la même chose.

Tiens, rappelle-toi cette étudiante qui nous avait rétorqué « ah bah vous ne m’aviez pas dit que le plagiat c’était pas autorisé ». Bon faudrait pas nous prendre pour des truffes mais bon admettons que nous en soyons arrivés à un tel décalage qu’il faille réapprendre le baba.

Peut-être en va-t-il de même d’ailleurs pour les relations interpersonnelles, la politesse élémentaire, le respect, le savoir-vivre ensemble mais c’est un autre sujet.

À observer certains comportements en entreprise on se demande en effet s’il n’est pas nécessaire de réapprendre les bases du métier en commençant par le niveau d’exigence minimal que l’on attend.

C’est le rôle du manager bien sûr mais cela va plus loin que ça, dès le recrutement déjà sur un plan individuel, ce qui suppose des recruteurs qui connaissent le métier et qui sont attentifs aux qualités personnelles.

Et puis de comprendre que sur un plan collectif, une culture métier dans une entreprise cela ne se décrète pas et ce n’est pas la somme des seuls comportements individuels. Il y a des habitudes de travail, des façons de faire qui se développent en effet collectivement.

Bon, on va être indulgent. On comprend que tu essayes de maximiser ton profit en rognant sur la qualité. On comprend que tu subisses des pressions de résultat parfois difficiles. On comprend aussi que tu sois parfois mis dans des situations où il y a peu d’autres choix possibles.

Mais il y a quand même un truc qui me gêne. Un minimum de fierté personnelle dans le travail que tu délivres non ? Et un minimum de respect de ceux à qui tu t’adresses ?

Et oui, peut-être est-ce aussi cela qu’on appelle une conscience professionnelle. Un minimum avec lequel on ne transige pas. Ou si l’on n’a pas eu le choix, on reconnaît et on s’excuse.

En résumé, exercer un métier suppose de connaître et respecter un minimum l’état de l’art. Cela suppose d’aller au bout de ce que l’on fait et d’avoir un minimum de conscience professionnelle. Si tu ne le fais pas pour l’intérêt du bien commun, fais-le au moins par respect de toi-même.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.