Cerveau droit, cerveau gauche mais c’est quoi ?

Dans cet épisode, nous allons revenir sur le sujet des profils de préférences cérébrales.

Dans cet épisode, nous allons revenir sur le sujet des profils de préférences cérébrales.

Ah toi tu es un cerveau droit, tu es créatif hein ! Alors que toi tu es un cortical gauche, pur analytique c’est bien pour un comptable. Heureusement moi j’ai un profil équilibré, c’est mieux pour un dirigeant non ?

Diable qu’on aime bien les modèles qui mettent les gens dans les cases ou les tests en tout genre pour mieux les cerner. Après tout, rien de mal à cela et on peut comprendre qu’en entreprise, comme ailleurs, on aimerait bien avoir une grille de décodage, pour mieux anticiper !

Mieux anticiper en prévoyant et cernant ce qui fait le charme de la nature humaine, sa complexité, sa diversité, et parfois son imprévisibilité. Mais on comprend l’intention.

L’un des modèles qui a été popularisé dans les années 90 dans les entreprises c’est celui auquel tu faisais référence, les dominances cérébrales. Cerveau droit – cerveau gauche, mais c’est quoi ? C’est quoi l’histoire ?

Les histoires cela commence par le début. Les travaux sur le cerveau ne datent pas d’hier et n’ont pas attendu les spécialistes du management ! Les neurosciences, par exemple, l’étudie depuis longtemps sous l’angle du système nerveux.

En France, par exemple, le livre « l’homme neuronal » [1] de Jean-Pierre Changeux dans les années 1980 avait largement contribué à leur popularisation.

Or, quelques années plus tard, au début des années 90, un américain, Ned Herrmann, responsable formation chez General Electric, conçoit (et commercialise) un modèle de profils individuels, avec un test psychologique, qui s’appuyait sur les modes préférentiels de traitement de l’information par ton cerveau.

Le HBDI, pour Herrmann Brain Dominance Instrument, était né et puis s’est développé. La représentation cerveau droit-cerveau gauche, avec ses 4 couleurs a ainsi commencé à irriguer les entreprises.

Je me souviens d’un de mes collègues et néanmoins ami Roland Truc quand j’étais jeune consultant chez Mercer, et peintre, qui avait passé des peintres à la moulinette du test d’Herrmann pour voir si lesdits artistes avaient des profils similaires. Le bouquin s’appelait « profils de peintres »[2].

Toutes ces représentations de type tests de personnalité, comme outils qui invitent à se questionner, à mieux se connaître, à s’intéresser à l’autre, pourquoi pas, cela peut avoir du sens si l’on n’en fait pas une vérité absolue mais un indicateur, un signal à essayer de comprendre plus avant.

Le danger c’est quand on l’érige en vérité en justifiant cela par une rationalité scientifique sur laquelle elle serait supposée reposer là où cette rationalité est précisément plus que discutable. Et c’est le cas, en l’occurrence, sur cette histoire de cerveau droit-cerveau gauche qui reste pourtant bien ancrée… dans les cerveaux des uns et des autres.

En l’occurrence les travaux sur l’asymétrie cérébrale viennent de loin, hémisphère droit – hémisphère gauche ça date d’un médecin français, Paul Broca en 1861. Mais depuis, l’eau a coulé sous les ponts et cette représentation est jugée erronée.

Un rapport de l’OCDE en 2002 par exemple qualifiait cette représentation de « neuromythe ». Sans entrer dans le détail ici des nombreuses critiques de la communauté scientifique retenons en synthèse les travaux de l’université de l’Utah avec une étude [3] sur plus de 1000 personnes à l’aide de l’IRM qui invalide cette représentation.

Bref, aucune preuve scientifique de la validité d’un quelconque modèle de préférence cérébrale de ce type. Au demeurant, on peut toujours utiliser un test de ce type si l’on veut, mais attention à ne pas le parer de vertus scientifiques qu’il n’a pas.

A croire qu’on aime bien les représentations binaires où l’on oppose ce qui est uni et donc complexe… Un peu à l’image de « l’étrange cas » du Docteur Jekyll et Mister Hyde. Alors on convoque le scientifique, sans trop de scrupule sur le fond, et hop le tour est joué, j’ai ma référence et dieu sait que si cela aide à vendre.

Surtout quand on sait qu’on aime bien coller des étiquettes simplistes sur ce qui fait la complexité de la vie.

En résumé, le modèle de préférence cérébrale d’Herrmann, cerveau droit-cerveau gauche, peut constituer un test de personnalités parmi d’autres si on veut pourquoi pas mais attention, à date, il ne repose sur aucune réalité scientifique démontrée.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire

[1] Jean-Pierre Changeux (1983) « L’homme neuronal » Fayard

[2] Roland Truc (1997) « Profils de peintres : Dominances cérébrales de peintres contemporains et influences sur leurs œuvres » Adverbum

[3] Jared A. Nielsen ,Brandon A. Zielinski,Michael A. Ferguson,Janet E. Lainhart,Jeffrey S. Anderson (2013) « An Evaluation of the Left-Brain vs. Right-Brain Hypothesis with Resting State Functional Connectivity Magnetic Resonance Imaging » Plos One

https://doi.org/10.1371/journal.pone.0071275