L’essor du travail à distance et le risque de fracture sociale

L’essor du travail à distance est sans aucun doute une bonne nouvelle mais il pourrait bien aussi renforcer certaines fractures sociales ! C’est ce que nous allons voir dans cet épisode.

L’essor du travail à distance est sans aucun doute une bonne nouvelle mais il pourrait bien aussi renforcer certaines fractures sociales ! C’est ce que nous allons voir dans cet épisode.

Allez hop hop hop il est temps de « retourner au travail ». C’était rigolo 5min ce télétravail sur son canapé, la chemise en haut, le jogging en bas. Mais maintenant tu renfiles ton costume, ta cravate et tu retournes bosser.

Mais je bossais moi ! Alors oui, parfois en pyjama, parfois pas maquillée, parfois je l’avoue de mon lit, mais je bossais. J’ai avancé sur mes dossiers, j’ai délivré des résultats. C’est fou cette expression « retour au travail » pour désigner le « retour sur site », c’en est presque vexant ! Et ça laisse songeur sur les représentations de certains concernant le travail à distance.

Tu as raison, et ces fausses représentations, le fait qu’on les ignore, voir les généralise avec des discours hâtifs sur le travail hybride, cette fameuse « nouvelle norme », pourraient bien conduire à renforcer certaines fractures existantes dans la société. L’essor du travail à distance, risque de fracture sociale, c’est quoi l’histoire ?

Commençons déjà par rappeler que travailler à distance, c’est travailler et que ça comporte son lot de souffrance lorsque l’on n’y prend pas garde : avec les horaires qui se rallongent, les injonctions contradictoires qui continuent à distance comme en présentiel etc.

Mais rappelons aussi que travailler de chez soi, en évitant les transports, en étant au calme et dans des conditions agréables (ce qui est un pré-requis d’une pratique maîtrisée du télétravail, bien loin de ce qu’on a connu en confinement), ça reste une commodité personnelle.

Et cette commodité tous les professionnels n’y ont pas accès. Les hypothèses les plus optimistes nous disent que 60% des métiers sont télétravaillables. Et ceux qui l’affirment sont ceux évidemment qui ont quelque chose à nous vendre sur le sujet ! Reste donc minimum 40% des métiers qui ne peuvent pas s’exercer à distance !

Alors cette commodité dont tu parles, ce fameux « droit au télétravail » accordé à certains a vite fait d’être perçu, à tort ou à raison ce n’est pas le sujet, comme un privilège par d’autres.

Et quand ces mêmes autres ont compté parmi les plus exposés en période difficile, ledit « privilège » devient vite la source d’un sentiment d’injustice.

Comme ces ouvriers qui m’ont dit alors qu’on passait, un vendredi, devant les bureaux vides de leurs collègues administratifs « Ah bah on est vendredi pas étonnant la RH est en télétravail » … avec un clin d’œil appuyé.

Ce n’est qu’une anecdote certes, mais c’est assez révélateur des représentations que l’on a sur le travail à distance.  Et parler de « retour au travail » comme on le disait en introduction ne fera que renforcer ce préjugé déjà ancré chez certains : dans télétravail, il y a surtout « télé » !

Et ça risque bien de venir accentuer les clivages entre « cols bleus – cols blancs » ou « métiers de terrain » et « travail de bureau ». Et les sentiments d’injustice qui peuvent en découler peuvent très rapidement contribuer à nourrir une nouvelle lutte des classes, qui, s’y l’on n’y prend pas garde, sera sources de lourdes déconvenues.

D’ailleurs, il y a beaucoup de RH proches du terrain, en usine par exemple, qui y sont plus qu’attentifs. Ils y sont exposés au quotidien et prennent des décisions en conséquence en veillant à être suffisamment présents sur site, à être joignables même à distance et parfois, même ne faisant de la pédagogie sur ce qu’est le télétravail.

Faisons en sorte que leurs efforts ne soient pas anéantis par nos généralisations hâtives et nos raccourcis intellectuels !

Veillons également en tant que décideurs à ne pas être aveuglés par les bénéfices qu’on imagine tirer du travail à distance. Je pense aux économies sur les locaux par exemple. Le retour de bâton pourrait être aussi brutal qu’imprévisible.

Les équilibres sont précaires et il faudra non seulement beaucoup de pédagogie des faits auprès de toutes les catégories de salariés mais aussi des redistributions équitables et effectives pour préserver l’unité du corps social des entreprises.

En toile de fond de ce risque de fracture – qui vient accentuer des fragilités existantes – deux enjeux prédominent : le sentiment de justice et l’importance des relations. Or les deux constituent des préalables sans lesquels les transformations que nombreuses entreprises engagent ont peu de chances de voir le jour.

En résumé, tout le monde n’exerce pas un métier télétravaillable et ceux qui n’en ont pas la possibilité, des ouvriers en usine par exemple, pourraient considérer, à tort ou à raison, que ceux qui en bénéficient dans leur entreprise ont un privilège de plus. Le risque de fracture sociale qui peut en découler doit donc faire l’objet d’une réelle vigilance.

J’ai bon cheffe ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire !