Simplifier ce n’est pas réduire à l’utile
Dans cet épisode nous allons parler de simplification et nous demander ce que cela suppose vraiment.
Bon, autant te dire que simplifier ce n’est quand même pas si difficile. On coupe tout ce qui ne sert à rien pour ne garder que ce qui est utile. Et le tour est joué. On peut passer à autre chose. Ça c’est du concret !
Ou un truc de bourrin. Justement, simplifier c’est tout sauf si simple que cela. Résumé, synthèse, simplification, réduction, élagage, que de mots pourrions-nous inviter… et surtout ne pas confondre.
C’est vrai que le réflexe du professionnel tourné vers l’efficacité c’est de penser que simplifier c’est se débarrasser du superflu. Pourquoi pas ? L’intention est louable. Encore faut-il savoir ce qui est superflu et ce qui ne l’est pas, et pourquoi.
Sinon on ne simplifie pas, on massacre ! Alors, simplifier ce n’est pas réduire à l’utile. C’est quoi l’histoire ?
C’est une ambition légitime de voyager léger, de s’attaquer à toutes ces complications qu’on se crée souvent soi-même et qui nuisent à l’efficacité globale de nos actions. Quand tu veux partir en randonnée longtemps et marcher loin, ce n’est pas la peine en effet de mettre des boulets dans ta besace.
Le choc de simplification. La belle expression et la bonne intention. Louable peut-être. Tiens je pense en France à ce qu’on a appelé la simplification du bulletin de paie. Ou quand la simplification formelle de façade dissimule une complexité sans nom pour la produire. Simplification peut-être mais pour qui ?
Comme l’an 2000, le passage à l’euro, ça a bien nourri les consultants et les éditeurs mais pas bien sûr que cela ait été utile à l’entreprise mais c’est un autre sujet. Et les salariés ? Peut-être comprennent-ils mieux leur bulletin… Ou pas.
Le problème du réflexe pragmatico-pragmatique qui voudrait qu’on simplifie en réduisant à ce qui est utile, exprimé comme cela, c’est difficile à contredire. Mais cela pose juste toute une série de questions auxquelles il est tout sauf simple de répondre.
Qu’est-ce qui est vraiment utile ? Utile à quoi ? Pour quoi ? Utile pour qui ? À quelle échéance ? Dans quelle perspective ? Pour faire court, de prime abord, le marcheur au long court qui doit alléger son sac, il ne va pas emmener avec lui cette petite statuette à l’effigie de son chien. C’est du poids inutile.
On a dit, on vire tout ce qui est inutile. Donc on dégage la statuette de Milou. C’est simple. Aucune utilité fonctionnelle.
Mais si c’est son talisman, l’objet fétiche qui lui donne du cœur à l’ouvrage, qui aide ce marcheur-là à supporter la souffrance de la marche, qui l’aide à se dépasser. C’est utile ou ça ne l’est pas ?
Quand on passe tout au seul tamis du concret et du pratico-pratique, de l’utilitarisme qui ne connaît que l’âpreté du chiffre et qui ignore la force du verbe, quand on ne connaît que la manière mais pas l’art, on perd en fait le sens de l’inutile qui enrichit vraiment, celui qui nourrit une pensée féconde.
Il y a en ce sens un très joli texte d’Abraham Flexner, écrit en 1937. On le trouve dans l’ouvrage de Nuccio Ordine, « l’utilité de l’inutile » qui en donne une traduction française. On vous invite à le lire. Certes, peut-être certaines et certains d’entre vous se diront que lire un livre sur l’utilité de l’inutile n’est pas très utile pour exercer leur job.
Ou pas. C’est peut-être, du moins à nos yeux, une référence délectable que tout décideur devrait lire pour ne pas réduire la conduite des affaires à une fonction d’utilité asséchante, là où il cherche justement depuis des lustres, à trouver les voies de l’innovation et de l’adaptation collective.
Il montre notamment à quel point de grandes découvertes scientifiques qui ont bouleversé l’humanité ont eu comme point de départ une recherche théorique jugée inutile par la collectivité car elles n’avaient pas vraiment de visée pratique.
C’est par ailleurs une remarquable invitation à la réflexion sur ce qui est utile ou pas. A distinguer, au fond, ce qui est essentiel. Or, parfois, ce qui l’est vraiment, ce qui est déterminant, décisif, est précisément peut-être pas du tout utile ici, maintenant, de prime abord.
Ce qui est vraiment utile, au sens de ce qui est à conserver, c’est tout ce qui nous élève, pas seulement ce qui nous sert. C’est tout ce qui aide réellement à réaliser ce que nous voulons réaliser. C’est cela qu’il faut vraiment conserver.
A tout couper à la serpette, on n’est pas à l’abri de massacrer quelque chose de décisif pour l’avenir qu’on veut façonner. Un effort de simplification, ce n’est pas une coupe sauvage, c’est plutôt un élagage maîtrisé et raisonné.
Un arbre qui pousse dans la forêt a-t-il vraiment besoin d’être élagué par un être humain qui décide de la manière de le façonner ? Ça se discute. A l’aune de quoi en fait ? Un élagage cela vise à lui permettre d’être en harmonie avec son environnement, de le préserver et de le lui permettre de grandir en bonne santé.
Cela ne veut donc pas dire « l’alléger » en coupant les branches aveuglément. Au contraire, c’est le fortifier en le débarrassant de ce qui ne lui est pas crucial, les gourmands par exemple qui l’épuisent. Simplifier ce n’est donc pas couper tout ce qui n’est pas immédiatement utile mais abandonner ce qui n’est pas crucial, c’est-à-dire essentiel et décisif.
Les choses sont souvent complexes parce que beaucoup d’entre elles impliquent des interrelations qu’on ne voit pas du premier coup d’œil. Mieux vaut donc comprendre avant de couper court, sinon on détruit.
C’est en cela que simplifier c’est complexe. Simplifier c’est tout sauf être simpliste. C’est cela au fond aller à l’essentiel. Chercher l’effet de levier. Se concentrer sur ce qui est décisif.
En résumé, simplifier en coupant aveuglément tout ce qui ne semble pas immédiatement utile peut s’avérer contreproductif. Voyager léger est une bonne intention qui exige surtout de se concentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire sur ce qui est décisif pour arriver à bon port, même si, parfois, cela peut paraître inutile aux yeux de certains.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.