Le SIRH syndrome de la modernité
Dans cet épisode nous allons parler de SIRH, de modernité et de l’utilité des applications digitales RH.
Ah le culte de la modernité. C’est nouveau, donc c’est mieux. Le moderne relègue le reste aux oubliettes : c’est ancien donc ce n’est pas bien. Comme si la modernité avait de la valeur en soi, indépendamment de qu’elle apporte.
La modernité digitale, c’est bien cela : l’idée du nouveau, qui ne peut exister que parce qu’il y a un ancien. C’est vieux donc il faut changer. C’est nouveau donc on en a besoin. Cela fait donc deux bonnes raisons d’acheter, non ?
Seulement voilà, en a-t-on vraiment besoin ? Est-ce vraiment utile pour l’entreprise ? Alors, le SIRH syndrome de la modernité, c’est quoi l’histoire ?
C’est une longue histoire que celle de la modernité, une idée paradoxalement ancienne car les modernes ont toujours succédé aux anciens, devenant à leur tour les anciens de nouveaux modernes, alors qu’au fond on pourrait se demander si ça existe vraiment, la modernité.
Jean de La Bruyère n’écrivait-il pas dans son Discours sur Théophraste : « nous, qui sommes si modernes, serons anciens dans quelques siècles ». La seule différence avec notre sujet, la fréquence de renouvellement !
Pourquoi donc assimiler implicitement modernité et innovation ? Pourquoi innover pour innover ? Pourquoi se précipiter sur la nouvelle application digitale qui vient de sortir ?
D’abord il y a certainement la tentation, peut-être inconsciente, d’imprimer sa propre signature, d’apposer sa patte. Table rase du passé ! Me voici, me voilà, c’est grâce à moi ! La modernité relève de l’autodétermination. Frédéric Guillaud en dit que c’est « la possibilité de définir par soi-même les normes de son existence »[1].
Voilà la première histoire, marquer de son empreinte. La petite histoire quoi. Mais il y a aussi un second facteur : le jeu des éditeurs. D’un côté l’obsolescence du programme, dont on n’ira pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’obsolescence programmée, …
Et de l’autre, la nouveauté qui le remplace, destinée à devenir obsolète elle aussi, mais si séduisante au début…
D’un côté, une politique de versioning habilement maîtrisée, faite de versions qu’on ne maintient plus et qui se succèdent les unes après les autres.
Et de l’autre, une roadmap produit qui promet toujours des lendemains meilleurs. Mais c’est la loi du genre cher ami, celle du marché avec des marchands qui « marketent » et des clients qui marchandent.
Rien de bien grave à tout cela, après tout. Encore moins de nouveau. Donc ce n’est pas intéressant. Mais il y a le résultat des courses, et c’est parfois un SIRH qui ressemble à un sapin de Noël avec une collection inflationniste de programmes en tout genre.
Dont il résulte, soit une multiplication des interfaces pour que tout ceci soit un minimum cohérent et c’est alors une inflation de coûts, de maintenance et de fragilité de l’édifice, soit une cacophonie pour les utilisateurs…
Sans compter que la multiplication de ces applications digitales RH n’implique pas nécessairement d’avoir été économe et frugal dans le choix de chacune d’entre elles. Dans certaines entreprises, on a l’impression qu’ils ont une Rolls pour acheter le pain, une Ferrari pour acheter le fromage et une Aston pour le vin…
Alors qu’il valait peut-être mieux de prendre un vélo. Bref, des choix parfois guidés par une idée un peu abstraite, déconnectée des besoins réels de l’entreprise… Il y a de temps en temps tellement de choses dont on pourrait se passer en vérité.
Sobriété et simplicité ne sont pas toujours de mise en effet. Parfois c’est aussi la résultante de choix bien trop guidés par l’intérêt du commanditaire ou l’idée qu’il s’en fait, la RH en l’occurrence, plutôt que par le besoin réel des utilisateurs.
Dans ce cas, non seulement on a un SIRH inflationniste, peu cohérent ou à la cohérence extrêmement coûteuse, mais servant insuffisamment les besoins de celles et ceux qu’il est censé servir.
Alors, il faut tout intégrer dans un seul et même outil, c’est ça la solution ?
Pas nécessairement, il n’y a pas de règle universelle en la matière. Le SIRH intégré a aussi ses défauts. En fait, le SIRH en tant que système a des propriétés, l’enjeu c’est qu’elles servent la politique RH donc l’entreprise, pas l’inverse.
Parfois, par exemple, une bonne vieille application informatique, tout sauf moderne, mais qui est amortie et maîtrisée depuis des lustres, pour laquelle il n’y a plus de plâtres à essuyer peut constituer le meilleur choix dans une situation donnée.
Face à la tentation de la modernité qu’on évoquait en introduction, on peut ainsi par exemple se poser une première question très simple : en a-t-on vraiment besoin ? Quelle valeur ajoutée cela apporte-t-il et à qui ?
Honnêtement, ce n’est pas toujours facile d’y répondre honnêtement… Le poids des habitudes, les processus qu’on ne remet plus en question depuis belle lurette, les obligations qu’on s’impose qui ne sont peut-être pas si obligatoires que cela,… Bref, il y a mille raisons de biaiser.
En résumé, en matière de SIRH, à trop céder à la modernité parce qu’elle est moderne, on prend le risque d’empiler les outils digitaux au détriment d’une réflexion sur l’architecture qui sert au mieux la politique RH et donc de ne pas bien servir les véritables besoins de l’entreprise.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire
[1] Frédéric Guillaud, « La modernité : crise d’adolescence de l’humanité ? », Le Philosophoire, no 25, février 2005, p. 77-88