4 cases et pas une en moins
Dans cet épisode, nous allons nous interroger sur les modes de représentation simplificateurs qui jalonnent la vie professionnelle, les matrices…
« Un bon croquis vaut mieux qu’un long discours » disait Napoléon Bonaparte… L’empereur l’avait dit et paf Powerpoint l’a fait avec ses SmartArt…
Et les consultants aussi, avec leurs matrices… Parce que cela rend les choses plus simples à appréhender, non ? C’est visuel donc ça parle ! Quel paradoxe !
« Le simple est toujours faux. Ce qui ne l’est pas est inutilisable » écrivait Paul Valéry dans « Œuvres II »… Du coup, voilà quoi ! T’as besoin d’un dessin ?
Bref, quand on n’a que 4 cases, il en manque peut-être une… Allez, c’est quoi l’histoire ?
La question n’est pas celle de l’intérêt du croquis en tant que tel. Oui un bon schéma cela peut être utile. Tant que cela ne t’affranchit pas de la subtilité du discours. Simplifier pour mieux transmettre c’est vieux comme le monde.
Ecoute Platon dans La République … « ils se servent de figures visibles et raisonnent sur ces figures »… c’est bien la preuve : pas besoin d’un long discours…
Sauf que Platon ajoutait, concernant ces figures visibles : « Quoi que ce ne soit point à elles qu’ils pensent, mais à d’autres auxquelles celles-ci ressemblent. »
Notre questionnement ici ne porte pas tant sur la simplification, donc la réduction, donc la falsification dont tout schéma est porteur. Après tout, tout message est une réduction, voire une falsification de la pensée qu’il porte, qui elle-même est une représentation imparfaite du réel.
Ni, à l’inverse, pour le récepteur, le fait que toute tentative de compréhension de ce message est de fait une interprétation incomplète ou erronée.
Tiens prend une simplification rapide, mais parlante : toute expression est trahison, tout entendement déformation. Bref, ce n’est pas cela notre questionnement.
Mais les effets qui découlent de ce type de simplification. Tu crois qu’on te parlerait encore de la pyramide de Maslow ou de la matrice du BCG sinon ?
Notre vie professionnelle est jonchée de matrices à 4 cases, même 9, ou de pyramides pour bien montrer ce qui s’empile ou se réduit. Allez quelques exemples rapides.
La matrice du BCG, avec sa vache à lait et son poids mort, qui croise croissance et part de marché et qui sert à agencer un portefeuille de produits ou d’activités…
La matrice attraits/atouts de McKinsey qui croise attrait du marché et tes atouts concurrentiels pour identifier ce dans quoi investir ou abandonner… 5 cases de plus que le BCG…
La 9-box matrix toujours de GE-McKinsey et qui croise potentiel et performance qu’on utilise volontiers en talent management…
Radical candor aussi tiens qui croise bienveillance – ou plus exactement « care » – et franchise, comme posture managériale…
Bref, des cases, et des décisions associées à chaque case. Là tu investis ou tu désinvestis, tu développes ou tu exploites, tu promeus ou tu laisses à sa place… Cela n’est pas sans conséquence, ni sans effet.
Premier effet, c’est qu’en créant des cases avec deux axes qui sont orthogonaux, tu les opposes implicitement. Ou si tu ne les opposes pas vraiment tu les poses au minimum comme étant les deux critères d’analyse à retenir et tu occultes d’autres facteurs de décision qui peuvent être importants…
Comme la notion de temps ou de cycle de vie différents d’une activité à l’autre par exemple dans la matrice BCG. En fait, tu incites à focaliser sur une partie seulement des facteurs d’analyse.
Tu laisses également penser que c’est simple… avec une forme de systématisation dans le passage du résultat de l’analyse à la décision… C’est très inspiré du « one best way » taylorien tout ça…
Si tu prends la matrice BCG là encore, logiquement on désinvestit d’une activité déclinante OK… mais on peut aussi la rebooster et cela peut être source de réels profits dans certains cas. On peut aussi, peut-être, la transposer ailleurs dans un autre pays par exemple.
Enfin, on détourne le problème de l’analyse en tant que telle. Cela affranchit implicitement d’une réflexion plus approfondie sur les causes profondes. L’intensité concurrentielle, oui ok, mais peux-tu vraiment la définir et la comparer entre deux options… Pas si simple.
Dit en d’autres termes, 3 écueils classiques : réduction de l’analyse, simplification de la complexité du réel, systématisation un peu mécaniste du passage de l’analyse aux solutions.
En fait, la représentation d’un sujet à l’aide d’une matrice de ce type n’est pas un problème en soi. On utilise cela régulièrement par exemple en statistiques avec des méthodes comme les analyses factorielles des correspondances, avec deux axes qui portent la meilleure information possible au regard des nombreux facteurs que tu étudies…
Et c’est toi qui leur donnes un nom, comme une forme de synthèse… Donc la pertinence de l’interprétation du modèle. Et donc de son interprétation et utilisation également.
En revanche, en faire une vérité qu’on affirme de façon docte et systématiser leur utilisation c’est une simplification un peu dangereuse…
En résumé, réduire la complexité des choses à quelques cases peut être utile pour en représenter ce qu’on pense être la quintessence mais en étant bien conscient qu’il ne s’agit que d’une interprétation, d’une synthèse par nature réductrice qui n’affranchit pas d’une analyse profonde et nuancée et ne doit pas enfermer dans des solutions stéréotypées.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire