Si le temps était compté
Dans cet épisode nous allons nous demander si la GTA, la gestion des temps et des activités, c’est ringard ou au contraire bien utile…
Tu sais moi je suis un intrapreneur ! Mon moteur c’est le sens de ce que je fais, ce qu’on bâtit ensemble, un entrepreneur interne tu vois… Autant te dire que mon temps de travail ça ne compte pas.
Et moi alors, je suis startuppeur, avec la tribe on fait des afterworks, on donne de notre temps sans compter, on est des aventuriers prêts à tout… enfin, surtout à vendre dans 3 ans pour faire de la thune.
On nous dit que ce qui fait sens, c’est le sens… la quête du travailleur moderne… Compter le temps de travail, ça n’a plus de sens, puisque c’est le sens qui compte.
Tu crois vraiment ça toi ? Et si c’était plus complexe que ça ? Si le temps était compté, c’est quoi l’histoire ?
C’est vrai qu’en première lecture, le temps de travail comme mesure, quand ce que l’on vise c’est un résultat attendu, cela peut paraître archaïque, un truc d’une autre époque ! Ca y est on va nous mettre des badgeuses !
On peut voir les choses comme ça. Se limiter à quelques caricatures simplistes du genre temps de travail égal Charlie Chaplin et les Temps Modernes, voir sa mesure comme les relents d’un vilain Taylorisme d’une autre époque et réduire la gestion des temps et des activités à une pointeuse !
Mais on peut se dire aussi qu’il y a des obligations légales en la matière, et que, pour s’y conformer il faut mesurer le temps de travail ! On peut aussi se rappeler que tout le monde n’est pas startuppeur ou cadre dirigeant !
Oui et la proportion de salariés dont le travail est encadré par le temps, y compris dans la détermination de leur rémunération, c’est plutôt une majorité. Ne serait-ce que pour cette raison, on a besoin de le compter.
On peut également prendre le sujet par un autre angle. Au fond, pour répondre à cette question – est-il utile de suivre donc de compter le temps de travail ? – il suffit de se poser la question suivante : est-ce que le temps compte ou pas et pour qui ?
Dit simplement, si on accorde de l’importance à la chose qu’on mesure alors la mesure a une utilité, donc les outils de cette mesure aussi.
On a dit d’abord que pour une très grande majorité de salariés, le temps régule leur activité et ils sont soumis à un temps de travail encadré. C’était le premier point. On peut même aller un peu plus loin.
En se disant par exemple que tout le monde n’est pas mû par le sens au travail. Pour certaines personnes, notamment celles qui sont contraintes par la nécessité, et qui exercent des métiers dont la pénibilité est incontestable, autant te dire que la notion de temps de travail elle a du sens !
Tu sais quelle est la question que Sisyphe se posait en arrivant le matin avant de commencer à rouler sa pierre qui n’amassait pas mousse ? Quand est-ce que ça s’arrête ? Le temps de travail que diable !
Donc, la première raison pour mesurer le temps de travail, au-delà des obligations légales, c’est simplement le fait que le travail est une nécessité parfois pénible pour certaines personnes.
On peut donc alors aisément comprendre qu’elles souhaitent qu’il soit correctement compté. Mais il y a aussi les personnes qui trouvent une forme d’épanouissement dans leur activité et qui ne sont pas nécessairement soumis à un cadrage de ce type.
Mais là aussi, plusieurs remarques peuvent-être formulées. Tiens, la 1ère beaucoup de personnes l’ont vécue pendant les confinements du covid. Combien de managers, attention je ne dis pas que ce soit une majorité, ont fait du micro-management et du surcontrôle, terrorisés à l’idée que leurs collaborateurs profitent de la distance pour tirer au flanc…
Tu veux dire les managers qui t’imposaient une réunion Teams à 9H pour bien vérifier que tu étais au taf et une autre en fin de journée ? Genre marquage à la culotte !
Voilà qui risque bien d’inciter des collaborateurs qui n’étaient pas le nez particulièrement rivé sur le temps qu’ils donnaient à la boîte à voir les choses autrement… et à se mettre à compter.
Tu peux même prendre le sujet dans l’autre sens, avec les personnes surinvesties au point de laisser les horaires filer au-delà du raisonnable et parfois prendre des risques sur leur santé sans même qu’ils en soient conscients.
C’est ringard ou utile alors de mesurer le temps de travail dans ces cas-là ? Pour protéger les personnes comme l’entreprise ?
Sans même aller jusqu’à ce type de risque, est-ce que tu crois que les personnes qui s’investissent sans compter, qui « donnent » d’eux-mêmes et de leur temps « sans compter », expression consacrée, c’est vraiment open bar ?
Comme tout, c’est une affaire de seuil et de limite. Particulièrement, lorsque toutes et tous ne sont pas sur le même état d’esprit. La notion d’équité vient rapidement se glisser là-dedans. Et si l’appréciation des résultats et la reconnaissance qui l’accompagne est imparfaite, tu verras, ces personnes qui donnent sans compter se mettront à compter ce qu’elles donnent.
En d’autres termes, à l’heure de faire les comptes, elles feront tous les comptes et décompteront leur temps.
Une raison d’équité mais aussi une raison d’organisation. Combien de personnes aimeraient agencer leur temps de travail de manière plus souple pour mieux coller à leurs contraintes personnelles ?
C’est d’ailleurs le sujet des expérimentations de la semaine de 4 jours. Mais c’est aussi l’un des sujets centraux en matière de pénurie de main d’œuvre, en particulier pour des populations qui cumulent plusieurs emplois.
Une plus grande souplesse de gestion de ton temps de travail comme facteur d’attractivité, pour être mis en œuvre concrètement, cela demande naturellement des instruments de gestion et notamment de mesure du temps.
Comment être souple si tu ne te bases sur rien de factuel ? Les ajustements ne peuvent se faire qu’à partir d’un cadre clair… et pour ça… il faut compter !
Et une raison de plus de compter ça compte !
Alors au DRH qui nous dirait « l’admin très peu pour moi, les RH doivent devenir stratégiques » on aurait envie de lui répondre, que peut-être justement ce qu’il voit comme pur administratif l’aide à jouer un rôle stratégique, mais ça c’est une autre histoire.
En résumé, la notion de temps de travail reste importante aux yeux de nombreuses personnes, qu’il s’agisse de le quantifier comme de son organisation, y compris pour celles et ceux qui donnent de leur temps sans compter, parce qu’il y a une limite à tout. Si la notion de temps est importante, sa mesure reste donc utile.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire