Le benchmark en mode pile ou face
Dans cet épisode, nous allons nous demander si le benchmarking est une pratique efficace pour résoudre les problèmes auxquels on est confronté … ou pas. En mode pile ou face.
Dans cet épisode, nous allons nous demander si le benchmarking est une pratique efficace pour résoudre les problèmes auxquels on est confronté … ou pas. En mode pile ou face.
Qui ne vous a jamais demandé dans une réunion « t’as fait un benchmark » ? Ou bien une super proposition de consultants qui met en valeur sa capacité à partager des « best practices » ?
Ah le besoin de tout comparer … « comparaison n’est pas raison » comme disait Raymond Queneau ! Pourtant, entre les classements en tout genre et les bonnes pratiques, le benchmarking irrigue, pour ne pas dire envahit, nos vies professionnelles.
Cela semble une bonne idée non d’aller voir ailleurs ce qui s’y fait ? De mener une analyse comparative en continu pour savoir si ce que l’on fait est bien ou pas ? De se comparer aux meilleurs ? Alors le benchmarking, c’est une bonne pratique à partager pour être efficace ou pas ? C’est quoi l’histoire ?
Revenons, une fois de plus, aux mots et à ce qu’ils signifient. Un benchmark en anglais c’est une référence. Le benchmarking consiste donc en substance à se comparer à ce qui fait référence, en l’occurrence ceux qu’on considère comme les meilleurs. L’origine c’est Xerox dans les années 80.
Bah voilà, encore une référence à une époque où je n’étais pas née ! Mais c’est vrai tu as raison. D’ailleurs l’ancien CEO de Xerox, David Kearns, le définit comme je cite « un processus continu d’évaluation des produits, des services et des méthodes par rapport à ceux des concurrents ou des partenaires les plus sérieux ou des organisations reconnues comme leader ou chef de file. »
C’est vrai que de se comparer aux meilleurs d’un domaine ou à un standard de référence, sur un processus métier ou même plus globalement, en soi, c’est pertinent. Ne serait-ce que pour apprécier le niveau de performance où l’on se situe.
En gros, un peu comme dans l’adage « quand je me regarde je m’inquiète, quand je me compare je me rassure ». Se comparer aux autres pour apprécier ce que l’on fait, c’est utile.
Et même aller plus loin, chercher à comprendre ce que les meilleurs font pour s’en inspirer de manière à progresser, c’est évidemment une bonne idée, qui témoigne d’une part d’une certaine ouverture d’esprit et d’autre part d’une volonté de progrès.
C’est en effet ce à quoi servent les bonnes pratiques : identifier des pratiques professionnelles, des façons de faire qui produisent des effets et qui marchent ailleurs pour faire progresser ce que l’on fait soi-même. C’est bien sûr intelligent et utile.
Oui mais en revanche cela interroge sur plein de choses. À commencer par ce que l’on compare et à quoi ou à qui on le compare. Parce que pour comparer il faut une norme de comparaison et une norme c’est réducteur par définition. Et puis à qui comparer, parler de référence en l’occurrence c’est accepter l’idée qu’il y aurait un modèle.
Cela pose deux questions : la première c’est est-ce qu’on compare la même chose ? Prends par exemple un benchmark sur la gestion de la paie quand on te dit en France le nombre de salariés gérés par un ETP en paie.
Oui 1 pour 213 selon le baromètre ADP 2018 ! Mais cela veut dire quoi en vérité ? On peut être moins bon sur cet indicateur mais avoir une performance pour autant meilleure que les autres peut-être tout simplement parce que la complexité de ce que l’on a à gérer est bien plus grande. Bref, le benchmarking oui c’est bien mais encore faut-il ne pas comparer des choux et des carottes
Et la 2ème question c’est à qui se comparer ? Prend l’exemple des benchmarks de salaires. Faut-il se comparer aux concurrents ? À un marché global pour des fonctions supports par exemple ? Bref là encore, c’est loin d’être évident et peut être trompeur !
C’est aussi peut être même introduire l’idée implicite qu’il y a des modèles de référence à suivre ! Or, au-delà de se demander s’il faut avoir des modèles à suivre en tant que tel, qu’ont-ils surtout de comparable à ce que nous sommes ?
Chaque situation est unique évidemment. On peut toujours dégager des similitudes pour lesquelles le benchmarking est utile bien sûr, en revanche c’est une douce illusion de croire qu’il suffirait d’aller chercher une solution qu’on pourrait copier-coller pour résoudre les problèmes auxquels on est confronté.
C’est bien là en effet le risque du recours systématique au benchmarking et aux best practices. On finit par tous faire pareil d’une part et sur certains sujets cela risque d’être contre-productif surtout quand on cherche à se doter d’atouts distinctifs. Et par ailleurs cela conduit à appliquer le même remède à des situations par nature différentes, ce qui n’est pas toujours efficace comme on peut s’en douter.
Et ça présente en plus un effet secondaire implicite : celui de laisser croire qu’on pourrait s’affranchir de réfléchir par soi-même à la meilleure manière de résoudre le problème auquel on est confronté et à croire naïvement qu’il suffit de reproduire une solution sur étagère…
Lorsqu’on manie l’incertitude comme trait caractéristique de ce à quoi on est confronté, avouons qu’un recours abusif au benchmarking peut être en cela antagoniste ! Là encore, la solution n’est pas dans la méthode ou l’outil mais bien dans l’intelligence que l’on met dans son utilisation. Et parfois un peu de nuance et de discernement n’y nuit pas.
En résumé, se comparer aux autres et se renseigner sur ce qu’ils font c’est utile si c’est une source d’inspiration et d’ouverture. Mais si cela devient un dogme en y recourant systématiquement et en espérant y trouver des solutions toutes faites qu’il suffirait de copier, cela peut produire l’effet inverse ! Bref une chose et son contraire, en mode pile ou face.
J’ai raison chef ?
Oui tu as raison mais on ne va pas en faire toute une histoire