Crédibilité et légitimité
Dans cet épisode nous allons parler de deux conditions nécessaires pour bien exercer une responsabilité.
Les choses sont tout ce qu’il y a de plus simples. Je suis ton chef. Dit autrement, ton supérieur hiérarchique. Je souligne le mot « supérieur ». Je suis donc en droit de t’imposer mon avis et tu as intérêt à le respecter.
A la lettre, chef, j’imagine… Oui, bien sûr, chef. Tu es autorisé à trancher à la fin. Il y a un contrat de travail, je le sais, qui implique un lien de subordination. Donc à la fin tu es bien dans ton bon droit, chef.
Voilà, CQFD, circulez, il n’y a rien à voir. Non mais !
Tu es dans ton bon droit chef, je le répète, avec une obéissance non dissimulée. Mais en revanche, le sujet dont on parle, tu n’y connais strictement rien… Alors que moi, si… Alors ? Il n’y a rien à voir ?
Peut-être à écouter aussi tu as raison. Voilà tout le sujet, ce n’est pas parce que tu as le droit que tu peux ! Alors, crédibilité et légitimité, c’est quoi l’histoire ?
En management comme ailleurs, quand on s’impose parce qu’on en a le droit, c’est que vraisemblablement on n’a pas beaucoup d’autres arguments. C’est en quelque sorte un argument de faible !
On voit bien ce vieux style de management, fait d’autorité, dans le mauvais sens du terme, qui fleure bon les relents féodaux. Le roi m’en a donné le droit, alors je m’impose par ce statut qu’on m’a conféré.
Simone Weil écrivait que « l’obéissance à un homme dont l’autorité n’est pas illuminée de légitimité, c’est un cauchemar. ». Tout est dit ou presque.
L’exercice du pouvoir, endosser une responsabilité, y compris un management fonctionnel ou tout simplement une mission, cela commence par cela. Est-ce que tu es légitime pour l’exercer ?
C’est le premier terme de l’équation en effet. D’ailleurs, la première des choses que tu devrais faire quand tu acceptes une mission c’est de bien comprendre ton mandat et qu’il soit clair. C’est lui qui te donnera une légitimité d’intervention.
A condition qu’il fasse l’objet d’une communication. Ou, dit autrement, qu’on t’intronise. Mais c’est un autre sujet.
On parle bien ici de légitimité. C’est-à-dire « avoir le droit de ». Un droit reconnu qui t’autorise à intervenir, d’exercer un pouvoir, d’agir d’une certaine manière.
On pourrait dire qu’être légitime c’est avoir la justification et la reconnaissance du droit d’être là et faire ce que tu fais. Cela peut provenir d’un cadre légal par exemple mais aussi social, y compris tacite quand c’est la norme implicite d’un groupe.
La loi t’autorise à… comme une élection t’autorise à… Tu as le droit. Parfois, les seules plumes dont s’orne le chef rappelle à tout le monde qu’on lui a donné ce droit. Et comme dans ton exemple en introduction, il croît parfois aussi que cela lui suffit.
C’est là où la situation peut vite devenir une catastrophe. Quand celui ou celle qui est autorisé, donc légitime, n’est pas compétent.
Certains parlent ainsi de cacocratie ou kakistocratie pour désigner un gouvernement ou une direction faite d’incompétents. Ils sont légitimes mais tout le problème c’est qu’ils ne sont pas crédibles parce que c’est une bande de pieds nickelés.
Voilà donc le second terme de l’équation, celui de la crédibilité. Pour exercer une mission, il faut en avoir le droit, donc être légitime, mais également en avoir les compétences ou la capacité.
Dès lors que cette capacité, ou cette compétence, est reconnue comme telle, alors tu es crédible. On te considère capable. On croit en ta capacité. C’est par exemple le cas d’un expert.
Un spécialiste d’un domaine n’est pas nécessairement un expert en effet. C’est une communauté de pairs qui a jugé que dans sa spécialité il faisait loi et c’est pour cela qu’il est expert. On ne s’autoproclame pas expert de quelque chose au motif qu’on croit savoir.
On bénéficie d’une aura, d’une image et d’une courbe d’expérience suffisamment reconnue pour être qualifié d’expert par les autres. En d’autres termes, on est vu comme un spécialiste hautement crédible sur un sujet donné.
Il y a parfois des confusions désastreuses sur ce genre de sujet. Par exemple, lorsqu’on croit que le statut donne cette crédibilité. Je suis professeur. Donc crédible. Dit autrement, mon statut me confère cette autorité de compétence qui fait la crédibilité.
On pourrait presque y croire puisque normalement le statut devrait être donné à celui ou celle qui a témoigné de sa crédibilité sur un sujet. Mais ce serait bien naïf que de croire ça aveuglément.
Il y a évidemment des imposteurs et des incompétents dans tous les domaines, chez les supposés sachants comme chez les autres. Et on ne parle pas juste de droit à l’erreur…
Un diplôme n’est pas une garantie de compétences comme un titre ou un statut n’est une garantie de rien. Bref, on voit donc la condition sine qua non des deux termes de l’équation.
Légitimité et crédibilité ne sont pas des attributs qu’on obtient comme cela. Les deux sont conférés par quelque chose d’externe à la personne qui s’en réclamerait.
Tu ne te décides pas légitime et crédible. C’est un résultat que les autres ont observé et, en quelque sorte, validé. Le fruit d’une courbe d’expérience validée par d’autres.
C’est donc là où deux autres variables interviennent. Celle du temps d’une part et celle des preuves d’autre part. Le temps et la preuve sont essentielles pour forger la crédibilité. La légitimité peut demander au moins des preuves.
Vous pouvez me montrer votre mandat s’il vous plait ? Bref, deux conclusions qu’on peut tirer de ces quelques remarques.
La première c’est que la stratégie de l’esbrouffe ne dure jamais et ne passe pas au crible de ces deux facteurs. La stratégie de la compétence, elle, met peut-être plus de temps mais elle est solide et durable, donc source de crédibilité.
Peut-être même que c’est précisément cette crédibilité qui t’ouvrira les portes de la légitimité. Tout un programme pour faire carrière.
La seconde c’est que tous les métiers, comme les fonctions supports par exemple, qui trouvent qu’on ne les écoute pas assez, ou qu’elles ne pèsent pas assez sur le cours des choses par rapport à d’autres, ont là un enjeu.
Celui de gagner leurs lettres de noblesse, par exemple, au travers de leurs résultats et d’un discours de preuve dont nous avons déjà parlé en l’occurrence pour la fonction RH.
En résumé, pour exercer une responsabilité efficacement il faut être légitime et crédible c’est-à-dire avoir été investi du droit de faire et d’avoir la capacité reconnue à le faire. Ce n’est pas en l’affirmant qu’on acquiert ces attributs mais en le démontrant par ses résultats avec constance.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.