Mais qu’est-ce que je veux vraiment dire ?
Dans cet épisode nous allons expliquer pourquoi le juste mot nous est utile dans la vie professionnelle.
Entre le jargonnage de l’entreprise, où l’on se croit important parce qu’on a des catch-up meetings dans son agenda, sans même prendre conscience qu’on est inféodé et influencé par une pensée très occidentalo-centrée,
Et les mots-valises dont on ne sait même plus ce qu’ils désignent vraiment, sans parler des tics de langage qui viennent et disparaissent inlassablement, on se demande bien ce que ces errances sémantiques peuvent bien dire de nous.
« Le langage est le confessionnal du peuple » disait le poète breton Eugène Guillevic. Tout est dit. Sauf qu’à force de dire tout et n’importe quoi, on finit par se demander : mais qu’est-ce que je veux vraiment dire ? Alors, c’est quoi l’histoire ?
Jean Vilar, grand homme de théâtre français, disait que le « poète avait toujours le dernier mot ». Si seulement c’était vrai. La vie quotidienne de l’entreprise peut, en la matière, laisser songeur.
On ne va pas jouer les vieux nostalgiques d’un temps où l’on pesait les mots et où on les calligraphiait à la plume d’oie. Le langage vit avec une société, un microcosme, chez chacune et chacun d’entre nous.
Parfois pour le meilleur comme pour le pire « du coup ». « Genre » en entreprise quand tu es « en mode » c’est « compliqué ». Notre objet n’est pas non plus de s’en moquer. Quoique cela frise parfois le ridicule. Mais c’est une autre histoire.
Entre les modes et les codes, le langage qui se déploie en entreprise façonne inévitablement nos rapports professionnels et leur efficacité.
Ce dont on veut parler c’est de précision. Juste pour s’entendre, se comprendre, et cela commence par soi-même.
Prenons quelques mots-valises dont on ne sait plus ce que cela signifie. On « accompagne ». On accompagne tout maintenant, à se demander si on bosse ! Mais cela signifie quoi concrètement ?
Les consultants qui disent « accompagner leur client » ils font quoi de différent des mêmes consultants qui, il y a 20 ans, faisaient du conseil ? Ils n’accompagnaient pas ! Ils faisaient du conseil. Les mots changent mais ce qu’ils désignent change-t-il pour autant ?
Or, dans le cadre professionnel, c’est justement de cette précision dont on a besoin. Savoir de quoi on parle ! Quelle est la prestation réelle que tu délivres quand tu dis « accompagner » ? Les livrables ? La nature de ce que tu fais ?
A moins, précisément, que tu te réfugies derrière ce flou pour mieux masquer le vide de ta prestation…
Le mot-valise comme un paravent pour masquer le vide de fond, c’est une hypothèse. Posons-nous une question simple. A supposer que je m’interdise ces mots, par quoi les remplacer pour dire ce que je veux vraiment dire et m’assurer que mes interlocuteurs l’ont compris.
Pensez à la dernière fois où vous avez expliqué votre travail ou votre prestation. « J’accompagne les DRH dans leur politique RH »… Remplacez « J’accompagne » par autre chose…
On ne parle pas non plus des intentions déguisées qu’un mot fourre-tout peut cacher. La co-construction pour te faire croire que les idées que je t’impose viennent de toi par exemple, le réenchantement pour masquer la réalité du travail,
Le storytelling pour t’embobiner ou, désormais, le « narratif » parce qu’on n’ose plus dire propagande et manipulation.
On parle bien des mots flous qui introduisent de fait des confusions.
Tu veux dire qu’ils manquent d’ancrage dans le réel ? Du concret que diable ! Bon je blague.
Changer les mots pour dire autre chose que ce qu’ils veulent dire ce n’est pas la même chose que d’utiliser un mot flou. Quand c’est flou, on se floue.
La tentation de la manipulation, du masque, c’est une chose. Mais un mot flou parce qu’on ne sait pas bien ce que l’on veut dire, dans la vie professionnelle, cela se traduit par une augmentation des coûts de transaction.
Donc de l’inefficacité collective. On va prendre un exemple très simple pour illustrer.
On est dans une réunion de pilotage dans laquelle on suit l’avancement des actions à mener pour finaliser un projet. Super, on fait ce qu’il faut, on a les bons outils et les réflexes de la gestion de projet.
Là, ligne 8 de la colonne E du super fichier Excel de suivi, une action à réaliser. Juste deux mots « Projet A ». Super, il y a une action à réaliser, c’est le « Projet A ». La case est remplie, merci à toutes et tous.
Mais cela veut dire quoi « projet A » ? On en fait quoi de ce truc ? C’est quoi l’action à réaliser ? Puisque c’est une action, tu ne pouvais pas commencer par un verbe d’action pour qu’on comprenne ce que tu voulais dire ?
Peut-être même aurais-tu pu utiliser un verbe d’action précis, pas un verbe vague comme « Faire le projet A » dont on ne sait pas exactement ce qu’il veut dire. La langue française laisse pas mal de choix quand même.
On dirait les gens qui disent « ASAP » pour le délai de leur projet. C’est quand ASAP ? Nous on voulait une date.
On comprend aisément le propos, il s’agit de préciser ce que l’on dit pour gagner en impact, en clarté, en efficacité et éviter les mauvaises interprétations ou mettre ses interlocuteurs en position de ne pas bien pouvoir faire leur job.
C’est d’autant plus important que derrière ces mots convenus que tout le monde emploie il y a souvent des représentations qui sont différentes. Le mot « aligner » ou « alignement » par exemple est de ce point de vue intéressant.
Mais que veut-on dire par « alignement » ? C’est l’alignement des roues pour que tout soit bien droit dans le genre « en rang par deux je ne veux voir qu’une tête » ou est-ce d’harmonisation dont on parle, auquel cas c’est bien différent.
Une réunion « d’alignement des évaluations » est-ce une réunion durant laquelle la DRH groupe fait rentrer dans le rang les protagonistes qui partaient un peu dans tous les sens, surtout ceux de leur intérêt bien compris.
Ou est-ce une réunion durant laquelle on veille à l’harmonisation des évaluations en pensant par exemple à la nécessité de préserver des passerelles inter-métiers ou à l’équité transverse ?
Comme quoi, on a intérêt à savoir ce que l’on veut dire pour être compris. C’est une question d’hygiène intellectuelle certes mais aussi d’efficacité professionnelle.
A moins qu’on veuille se planquer derrière les mots et c’est une autre histoire, mais elle ne dure jamais très longtemps.
En résumé, l’emploi de mots-valises en entreprise favorise un flou qui nuit à l’efficacité professionnelle. Il convient donc de faire l’effort de préciser ce que l’on veut vraiment dire pour gagner en clarté et en impact.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.