Transparence des rémunérations et classification

Dans cet épisode, nous allons évoquer une des conséquences de la directive européenne en matière de transparence des rémunérations.

On connaît le talent des législateurs toujours prêts à inventer une règle de plus. Le code du travail en France à lui tout seul remplirait toutes les bibliothèques du monde ! Qu’à cela ne tienne, en général, l’intention est bonne.

La mise en œuvre a néanmoins le plus souvent des effets secondaires. On voulait simplifier le bulletin de paie, par exemple ? Bonne idée. Mais la simplification de la façade, c’est devenu le pensum pour l’arrière-boutique.

En l’espèce, et le terme est choisi puisqu’on va parler de rémunération, ce qui nous intéresse c’est une des conséquences de la directive européenne sur la transparence des rémunérations. Alors, transparence des rémunérations et classification, c’est quoi l’histoire ?

Ce dont nous parlons donc c’est de la directive européenne adoptée en 2023 qui vise à « renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations ».

Commençons par deux remarques.

La première ne mérite pas discussion à nos yeux. L’intention est évidemment bonne, surtout lorsqu’il s’agit, au fond, de faire en sorte que ce que l’on devrait avoir réalisé depuis longtemps le soit dans les faits. En l’occurrence, l’équité des rémunérations.

Or, qu’on le veuille ou non, l’équité est non seulement une attente fondamentale du corps social des entreprises, même s’il s’agit d’un sentiment pour les intéressés, mais c’est aussi un des deux piliers de toute politique de rémunération solide.

La seconde remarque c’est que cette directive stipule que les États membres de l’Union européenne ont jusqu’au 7 juin 2026 pour la transposer en droit national. Au moment où nous écrivons ce podcast il n’y a pas encore de loi de transposition en France, donc ce n’est pas applicable.

De nombreux points pourrait être abordés sur ce sujet mais un nous paraît particulièrement intéressant à explorer quant à ses conséquences.

Tout le monde connaît la formule « à travail égal, salaire égal », on le redit c’est une bonne intention, louable, non discutable à nos yeux. On comprend aussi aisément que toute la difficulté réside dans une question simple : c’est quoi « à travail égal » ? Comment apprécie-t-on cela ?

Or, la directive européenne introduit une notion nouvelle en la matière. Il ne s’agit plus de « travail égal » mais de « travail de valeur égale ».

Voilà une subtilité qui est tout sauf cosmétique et qui va rendre les choses bien complexes. Posons par exemple une question bête juste histoire de sourire. Mais c’est quoi la valeur ? La valeur pour qui ? Appréciée comment ?

Cette seule notion est en vérité d’une grande complexité mais on comprend ce qui est visé. Quand on parle de rémunération, on parle d’équilibre contribution / rétribution. A contribution de valeur égale du poste donc… Principe clé de l’équité en effet.

C’est une disposition qui renvoie à la catégorisation des postes, dont la directive dit d’ailleurs qu’elle ne pourra pas se contenter d’être seulement par métier. On comprend aisément pourquoi, la maille du filet est évidemment trop large pour comparer sereinement.

La directive relève en l’occurrence 4 critères de catégorisation : les compétences, les efforts, les responsabilités et les conditions de travail. Voilà qui ne manque pas de nous interroger sur 3 plans.

Le premier c’est qu’on paye des personnes et que la catégorisation c’est des postes. Or, la confusion personne / poste risque bien d’être un sujet. On comprend facilement qu’une personne fasse des efforts pour obtenir un résultat.

On comprend aussi qu’un poste a des responsabilités et exige des compétences. Mais concrètement, c’est quoi les efforts du poste ?…

On chipote ? Pas tant que ça. On pose juste ça là. Un poste, c’est une représentation intellectuelle, la maille la plus fine dans la chaîne de création de valeur. Donc en l’occurrence, on vient d’inventer le concept du « concept qui fait des efforts ». Pourvu qu’il ne fatigue pas trop.

Deuxième remarque, introduire la notion d’effort, on se demande bien la boîte de Pandore que cela peut ouvrir. Bien sûr, l’attente des personnes c’est d’être récompensées de leurs efforts, mais celle de l’entreprise, le fondement même de son équation contribution / rétribution, ce n’est pas des efforts mais des résultats.

Mais là encore, on pourrait en faire tout un sujet. Presque un plat. Mais c’est une autre histoire.

Car c’est la troisième remarque qui nous intéresse le plus. Cette directive, c’est un plaidoyer pour les méthodes d’évaluation de poste critérielles comme la méthode Hay. D’ailleurs quand on observe les critères, si on remplace cette notion d’effort par l’initiative créatrice, c’est les critères de la méthode Hay.

Bien sûr on peut en prendre d’autres. Mais bon. C’est quand même à se poser des questions.

Le sujet c’est comment rentrer dans les clous d’une directive comme celle-ci en l’absence de méthode d’évaluation de poste donc de classification ? Or chacun sait que tout cet arsenal a un coût de gestion important et que cela peut être particulièrement lourd à maintenir.

Au point d’ailleurs où certaines entreprises les ont un peu abandonnées se contentant de grilles de salaires, par filière métier par exemple, et de politiques de rémunération non adossées à une classification.

On ne parle pas ici des conséquences de la directive au niveau des conventions collectives, qui risquent bien de ne pas franchement être prêtes, mais des concepts, méthodes et outils de gestion au sein des entreprises.

Or, ceux-là sont au cœur de la manière dont elles gèrent leur équilibre socio-économique.

Ce genre de directive est porteuse d’une intention saine, elle conduira inévitablement à ce que les entreprises – obligées d’apporter une réponse circonstanciée – développent des outils d’analyse statistique comme les diagnostics de rémunération implicite.

Cela amènera aussi à ce qu’elles travaillent parallèlement à une plus grande pédagogie de leur politique de rémunération, assise sur un discours de preuve et on ne peut que s’en féliciter.

Mais cela va questionner les sous-jacents sur lesquelles elles s’appuient. Or, celui des évaluations de poste et des classifications n’est pas des moindre tant ses implications sont importantes.

Indépendamment de la manière dont la transposition française de cette directive se fera, indépendamment de la manière dont les entreprises s’y conformeront ou pas, il sera difficile de s’affranchir d’une réflexion de fond sur ce point précis.

Enfin, on ne sait pas si cela aura les effets espérés sur le fond mais au moins les consultants auront du travail ! Il ne faut jamais oublier que dans la ruée vers l’or, ce ne sont pas ceux qui creusent qui font fortune mais les vendeurs de pelles !

En résumé, en introduisant la notion de travail de valeur égale et des critères de catégorisation des postes, la Directive Européenne sur la transparence des rémunérations sonne comme un plaidoyer pour les méthodes d’évaluation de postes critérielles et les classifications internes qui en résultent. Ce sont des chantiers lourds et sensibles pour les entreprises.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.