Désaccord, confrontation, tension et conflit

Dans cet épisode, nous allons clarifier différents termes autour de la notion de conflit.

Qu’on soit ici parfaitement clair. J’ai raison.

Et pourquoi ?

Parce que j’ai raison ! Je rappelle à celles et ceux qui l’auraient oublié que je suis moi-même à moi seul la mesure de l’infiniment petit et de l’infiniment grand et de tout ce qu’il y a entre les deux.

Je ne suis pas d’accord avec toi, laisse-moi t’expliquer mon point de vue.

Tu me cherches là ? Tu cherches quoi ? Le conflit ?

Ouh là, descends de ton piédestal, on dirait un coq sur ses ergots ! Le débat contradictoire pour toi c’est donc une source de conflits ? Pose tes armes Rambo des bureaux. Alors désaccord, confrontation, tension et conflit, c’est quoi l’histoire ?

L’aventure managériale, certains la voit comme l’exercice d’un pouvoir arbitraire sur les autres. C’est tout simplement terrible et la négation même du management. Mais c’est une autre affaire.

Il peut y avoir de très nombreux signes qui peuvent alerter sur les dysfonctionnements au sein d’une équipe. Patrick Lencioni, par exemple, suggère 5 thèmes pour faire un diagnostic (Lencioni P., 2011).

Un d’entre eux nous intéresse particulièrement ici parce qu’il a une portée qui dépasse largement le champ du management. Lencioni parle de la « peur du conflit ».

Combien de fois dans certaines entreprises, on a plein d’exemples en tête, on préfère masquer la vérité plutôt que d’accepter l’augure des vagues qui en résulterait ?

Tiens, cet exemple vécu il y a peu du manager qui ne recadre pas un comportement inapproprié d’un membre de son équipe au motif qu’il s’agit d’un salarié protégé. Pourtant, lui expliquer qu’il a un travail minimum à faire, ce n’est quand même pas si anormal que cela non ?

Quand on parle d’une équipe, Lencioni souligne que deux grandes situations devraient alerter. Quand tout le monde se fout sur la gueule. Une évidence. Le conflit avec violence. Mais une autre à laquelle on est peut-être moins attentif.

L’absence totale de débat contradictoire. Le chef a dit, personne ne moufte. Ce n’est pas très sain non plus !

Voilà donc les extrêmes posés et ils renvoient à plusieurs notions du débat contradictoire, à la fois témoin et source d’un esprit critique, au conflit, source de souffrances quand il tourne à la violence.

C’est donc une occasion de qualifier les différentes étapes avant que tout explose et qu’il ne soit trop tard. En résumé, favoriser le début, éviter la fin.

L’étape de départ, c’est le désaccord ou le fait de ne pas être d’accord. En l’espèce, c’est une divergence d’opinions. Or, il n’y a rien de plus sain et d’utile pour progresser que de se confronter à des opinions différentes.

C’est en exposant son système de pensée à d’autres points de vue qu’on l’enrichit. Cela ne signifie pas s’aligner sur les opinions des autres mais bien enrichir sa propre vision.

Nous ne sommes pas d’accord mais c’est une occasion de nourrir un débat contradictoire qui, au fond, ne devrait être animé que d’une seule ambition, à savoir celle de trouver une vérité qui s’impose à tous.

C’est le sens même du débat, de l’argumentation sur laquelle il s’appuie, donc d’un échange constructif, qui repose sur des faits, des éléments observables, bref les principes de toute démonstration.

On est alors en mode conversation en faisant preuve de respect et de civilité élémentaire, on peut même entrer dans le registre de la controverse en s’appuyant sur la tangibilité des preuves qu’on apporte.

Seulement lorsque cette vérité ne s’impose pas ou que chacun campe sur ses positions, le plus souvent d’ailleurs arc-bouté sur des croyances ou des préjugés, la confrontation peut arriver vite.

Après tout rien de grave, on constate qu’on n’est pas d’accord, chacun reste sur sa conviction d’avoir raison et n’en démord pas, mais cela n’empêche pas de respecter la position de l’autre.

Après avoir exprimé nos désaccords, après avoir mené un débat contradictoire, ouvert, source intrinsèque de progrès, on fait le simple constat que nous restons sur nos désaccords. Et tout va bien parce qu’on se respecte.

A l’image d’un match de rugby, où on s’en est collé de bonnes, mais cela ne nous empêche pas de boire un verre ensemble pour célébrer notre fraternité ou notre sororité. Les femmes jouent aussi au rugby et plus que bien !

On peut alors voir les uns et les autres pousser leurs idées, sans s’écouter, comme dans une mêlée où chacun cherche à gagner du terrain et le contrôle du ballon et des événements. Après tout, opposons-nous dans une saine et franche confrontation.

« L’essentiel, c’est de râler. Ça fait bon genre ! » disait jean Gabin dans « Mélodie en sous-sol »… Un trait culturel français vraisemblablement. Le village d’Astérix. Mais attention, ce n’est pas universel et toutes les cultures ne réagissent pas de la même manière.

Mais en tout cas, à ce stade, on se respecte. Jusqu’à un point d’inflexion. Et c’est précisément-là où l’on peut basculer sur une pente potentiellement glissante. Non seulement on se dispute, quitte à ne pas adopter d’arguments rationnels, mais on ne tolère plus l’idée que l’autre soit en désaccord.

Chacun commence à vouloir soumettre l’autre, en usant d’un registre plus vindicatif. La confrontation devient alors plus virulente, l’espace de l’un ou de l’autre commence à ne plus être respecté.

Bref, ça bascule. A cause des uns et des autres, de l’un ou de tous, mais voilà, on est passé au stade où on s’invective, où, non seulement on ne s’écoute plus, on ne tolère plus les points de vue des autres, mais où on ne les respecte plus eux-mêmes.

La confrontation devient alors source de tensions. La relation se tend, comme un élastique sur lequel on tire, la question c’est jusqu’où ? Jusqu’à ce qu’il nous pète au nez ? On se dispute, les émotions dominent au point d’en oublier les règles élémentaires du vivre ensemble.

On entre dans la polémique, les petites phrases assassines, à l’image de ce que parfois les députés donnent à voir, témoignant – lorsque c’est le cas – de leur désintérêt total de l’intérêt du bien commun donc de leur médiocrité.

On a alors besoin à ce stade de poser les armes, de baisser d’un ton, de calmer, de négocier, souvent par le truchement d’un tiers voire d’un médiateur. Détendre l’élastique de la relation avant qu’il ne casse.

Sinon, c’est le dernier stade. Le conflit. Non pas qu’il faille en avoir peur, un bon conflit est parfois plus salvateur qu’une paix sociale d’apparence, dévastatrice en toile de fond. Mais il faut alors savoir l’accepter pour éviter le pire.

C’est-à-dire pour qu’il ne tourne pas à la violence. Ce n’est pas tant au conflit qu’il faut s’attaquer – si on est réaliste, il y en aura toujours – mais au cadre qui permet au conflit de s’exprimer sans violence.

Il faut en cela qu’une place à la négociation soit toujours possible, qu’il y ait toujours une porte de sortie honorable même dans la défaite, pour qu’aucun adversaire ne soit humilié, qu’il ne perde pas la face.

Il faudra alors néanmoins trouver et mettre en place une stratégie pour le résoudre mais c’est un autre sujet.

En résumé, désaccord et confrontation permettent un débat fécond dès lors que chacun accepte qu’on puisse rester en désaccord. Les tensions et conflits, qui arrivent malgré tout, peuvent être exprimés mais doivent être résolus avant qu’ils ne tournent à la violence.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.