Quand la dissonance dissone
Dans cet épisode nous allons parler de dissonance et de ce qu’on peut appeler aussi mensonges.
Rejoignez-notre grand cabinet de conseil mondial, vous y serez accueilli de manière unique car vous êtes unique. Pour nous, chacune et chacun d’entre vous compte. Également. Parce que l’équité est notre devise. Parce que votre différence est aussi notre richesse, nous la respectons, nous la cultivons.
C’est génial toute cette politique de respect de la diversité, d’inclusion, de recherche d’équité. C’est beau une entreprise qui a des vraies valeurs et qui y croit ! J’accours.
Cours pas si vite, on a changé notre fusil d’épaule. C’est fini la diversité. Tu comprends entre les valeurs et la valeur, à court terme, on a choisi.
« L’illusion est la première apparence de la vérité » disait Tagore, celui qu’on surnommait Gurudev, qui n’avait rien à voir avec un dev’op de génie qui fait de l’IA mais un prix Nobel de littérature.
Le syndrome de la maison témoin, on connaît. C’est parfait en apparence mais la réalité est sensiblement différente. Et paf la dissonance.
Quelle belle expression, la dissonance… Mais entre la fausse note façon blue note d’Herbie Hancock et l’air de pipeau, il n’y a parfois qu’un pas. Alors, quand la dissonance dissone, c’est quoi l’histoire ?
C’est peut-être une fois de plus les mots et ce qu’ils désignent ou, plus exactement, lorsque les mots qu’on emploie désignent une réalité qui ne correspond pas à ce que le mot signifie. La dissonance des mots c’est leur glissement. Une dissonance sémantique qui ajoute à la dissonance cognitive.
Bon là tu me perds. Appelons un chat un chat. C’est quoi la dissonance ?
Tu vois ? J’ai raison ! Quand on n’appelle pas un chat un chat, ça dissone et quand ça dissone ça gêne !
Reviens à tes moutons, berger. C’est quoi la dissonance ?
En premier lieu, ça dissone quand les sons qu’on réunit produisent un résultat désagréable. Quand tu chantes, par exemple… Tu vois, le barde d’Astérix ? Assurancetourix ? Comme dirait un DRH qu’on adore, il nous casse…
… les oreilles ? C’est exactement ça ! Un sentiment très désagréable qui résulte d’un désaccord, en l’occurrence entre les notes, les sons etc.
Il en va de même en psychologie sociale, quand on parle de dissonance cognitive. En l’occurrence, un sentiment de tension dans ton propre système de représentation, ton système de valeurs, tes croyances etc. On doit cela à Festinger en 1957 (Festinger L., 1957).
Or, la vie de l’entreprise en est un théâtre régulier. Notamment, lorsqu’il y a un décalage entre l’idée que l’on se fait des choses et la réalité à laquelle on est confronté. En un mot, comme en cent, ça fait mal.
C’est une source de mal-être au travail qu’on a évoquée de multiple fois. Quand il y a, par exemple, incohérence entre une vision du travail, dans lequel les salariés sont engagés, et la manière dont il est parfois dénaturé.
Le washing provoque ces effets aussi, qu’il soit green, RSE, social ou que sais-je.
Les postures de mépris également, tant cela ne sied pas à qui prétend vraiment diriger des femmes et des hommes. Ou quand on confond servir et asservir…
On comprend aisément ce dont il s’agit et on aura vite fait de convoquer la morale de l’histoire. Mais en l’occurrence il y a un aspect que nous aimerions souligner, ou pointer du doigt, non pas vengeur, nous on n’a rien à venger, mais un poil accusateur quand même.
On va le faire sous forme de questions parce qu’après tout, qui peut prétendre être parfait ? Donc on n’accuse pas. On s’interroge.
Lorsqu’une entreprise met en avant sa politique diversité – en ayant le plus généralement recours aux valeurs, au sens de l’éthique et tout le tintouin – et qu’à la faveur de vents contraires, retourne sa veste aussi vite qu’elle l’avait endossée… On appelle cela comment ?
C’est une source de dissonance, non ? Du moins pour celles et ceux qui avaient cru en la sincérité de leur engagement initial. Mais en vrai, n’est-ce pas tout simplement ce qu’on appelle un mensonge ?
Lorsque le ou la dirigeante d’un groupe mondial – pris la main dans le sac à tricher – refuse de répondre aux questions d’une commission d’enquête sénatoriale ? On appelle cela comment ?
La liste des affaires et des scandales, petits ou grands, connus ou pas, est certainement aussi longue que ce que la nature humaine est capable d’inventer. L’entreprise est après tout aussi humaine que les humains qui la composent et la dirigent.
Le mensonge, ce trait si humain. « La plus évidente des vérités ? Un mensonge qui nous plaît » disait Alphonse Karr… Seulement voilà, il y aussi celui qui laisse des traces, à commencer par celles de la dissonance.
Pour toutes les parties prenantes, salariés et clients bien sûr mais les autres aussi. Or, cette dissonance-là a une conséquence plus que délétère, celle de la rupture de la confiance. Or, chacun sait que c’est la clé de voûte de tout édifice social.
La question de fond, qu’on ne tranchera pas ici, c’est celle de l’intention, quand celui ou celle qui prend une décision à un moment donné invalide celle qui avait été prise avant. Mensonge avant ou incohérence après ? Il ne nous appartient pas de formuler un jugement moral à cet endroit.
Mais on notera deux choses. La première c’est que ce qu’on appelle dissonance est parfois la résultante très simple de quelque chose qui a un nom tout aussi simple pour le désigner, le mensonge.
La seconde, c’est lorsque qu’on ajoute au mensonge celui des mots pour le désigner, on condamne la confiance à la double peine. En quoi la méfiance peut-elle alors se muer ? Peut-être de plus violent ? Tout est dans l’orgueil de croire que l’on gobera aussi ce mensonge-là…
« Le Diable a deux cornes, l’orgueil et le mensonge » disait Lanza del Vasto. Or, on sait que l’enfer où il réside est parfois pavé de bonnes intentions. Voilà qui invite à cultiver esprit critique et vigilance.
Et cela place certaines fonctions, comme la fonction RH, gardienne du temps et du temple, sous les feux de la rampe, mais c’est un autre sujet.
En résumé, le mensonge en entreprise est une cause de dissonance qui ronge la confiance avec toutes les parties prenantes. Le désigner à l’aide d’un vocabulaire édulcoré c’est doubler la peine et prendre le risque que la méfiance se mue en sentiment plus violent.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.