Confort et déni de réalité

Dans cet épisode nous allons nous demander s’il y a un lien entre niveau de confort et déni de réalité et en tirer des enseignements pour l’entreprise.

Laisse-moi tranquille. Tes élucubrations ne me plaisent pas. Je n’ai certainement pas envie de les entendre et elles ne correspondent à rien si ce n’est tes propres délires.

Alors je te propose que nous bannissions de notre vocabulaire les mots qui désignent une réalité qui nous déplaît. Comme cela tu y seras moins exposé. Il est donc désormais interdit de prononcer les mots suivants : guerre, maladie, …

Climat, diversité, femmes, lgbt, … Les mots qui dérangent certaines et certains, peut-être parce que la réalité qu’ils désignent ne leur plaît pas. Alors ils façonnent le vocabulaire. « Il est interdit d’interdire » n’est jamais très loin.

Ou quand on ne veut pas regarder la réalité telle qu’elle est… bientôt nous n’aurons plus que deux mots de vocabulaires autorisés : « Oui chef ». Mais quel rapport avec le confort ? Alors, confort et déni de réalité, c’est quoi l’histoire ?

C’est un lien qu’on sent intuitivement. Le confort nous endort. Mais alors l’inconfort serait donc préférable ? Personne n’a envie de cela. Ni pour lui-même, ni pour les autres, du moins on peut l’espérer.

Ce mot « confort », derrière lequel on dissimule vite un jugement de valeur, est plus complexe que des raccourcis rapides.

Il y a d’abord de nombreuses formes de confort ou d’inconfort. Le confort physiologique n’est pas le confort psychologique, par exemple. D’un côté, éprouver un état agréable entre ton corps et son environnement.

De l’autre, ce que d’aucun désigne comme la zone de confort, un peu comme une bulle abstraite autour de toi, une sorte d’espace mental où tu te sens en sécurité, à l’aise, pas stressé.

On peut par conséquent définir toute sorte de confort. Un confort social par exemple pour désigner le degré de difficulté dans les relations avec ton environnement social, et on pourrait continuer infiniment : confort matériel, du genre « l’argent ne fait pas le bonheur » mais quand même, etc.

Trois remarques nous semblent intéressantes dans ce cadre. La première c’est qu’à nos yeux opposer confort et inconfort nous semble un peu binaire. S’il y a 50 nuances de gris, et même un arc-en-ciel infini, peut-être peut-on appréhender la notion de confort comme un continuum.

La seconde remarque c’est qu’il s’agit d’un sentiment. Face à un même ensemble de facteurs de mal-être ou bien-être, le ressenti ne sera pas le même entre deux personnes.

Enfin, la conscience du sentiment de confort est aussi variable d’une personne à l’autre. Le confort ne gêne pas, là où son opposé se rappelle vite à nous. Il y a peut-être une idée de seuil à partir duquel chacun prend conscience de l’inconfort.

C’est un peu comme les pannes. Avant tu ne rends pas compte que cela marche. Après tu prends conscience que cela ne marche plus.

Le second terme c’est le déni de réel. On ne parle pas ici de celles et ceux qui nient l’existence de quelque chose par idéologie ou à cause d’influences qui leur brouillent l’écoute.

La terre n’est pas plate. La terre n’est pas plate. Je te le répète chef. Non, le déni de réalité dont on parle ici c’est celui de Marie-Thérèse dans la « Vie n’est pas un long fleuve tranquille ».

En d’autres termes, une sorte de mécanisme mental qui conduit à ce qu’on refuse de voir ce qui est, parce que cela dérange, parce que cela fait mal. Alors on se protège. Le déni de réalité, c’est un mécanisme de défense.

Nous serions bien incapables d’approfondir les débats de la psychanalyse de Freud ou de Lacan sur le sujet mais nous retiendrons deux idées à partir de cette notion de mécanisme de défense psychologique.

La première c’est que ce n’est pas le fruit d’une volonté. Il n’y a donc pas de faute de la part de celui ou celle qui adopte une politique de l’autruche. L’autruche a simplement peur et elle cherche à réduire la souffrance qui en résulte.

La seconde idée que nous soutenons est là encore celle du continuum. A quel point tu laisses entrer en toi ou pas ce que tu te refuses inconsciemment à voir. Un peu comme un enfant qui cache son visage devant un film d’horreur, mais regarde le monstre entre ses doigts.

Deux continuums que nous sommes tentés de relier. On pourrait d’abord formuler l’hypothèse que toute chose égale par ailleurs, une petite dose d’inconfort de plus devrait marginalement moins affecter celui qui a un haut niveau de confort que celui qui en a un faible.

Mais si c’est un capital qui s’érode progressivement on a dit qu’il y avait vraisemblablement une affaire de seuil à partir duquel ça fait suffisamment mal pour qu’un mécanisme de défense se déclenche.

Donc tout se joue avant qu’il ne se déclenche : relever le seuil ou appréhender ladite réalité progressivement. Si jamais cela ne bougeait pas le seuil, il en resterait peut-être au moins un bout dans le déni d’après.

Un rai, non pas de lumière mais de noirceur, qui, lorsqu’on ferme les écoutilles, permet alors de ne pas perdre le lien avec cette même réalité.

Car cette réalité, tôt ou tard, que tu la regardes ou pas, finit toujours par te revenir droit dans la gueule. Comment ne pas se souvenir des textes qu’on nous imposait à l’école… « philosopher c’est apprendre à mourir » rappelez-vous Montaigne (Montaigne, 1580).

« Ôtons lui l’étrangeté, pratiquons-la, accoutumons-la » disait-il de la mort, pour la rendre moins effrayante. Voilà le deal. S’exposer progressivement à ce que nous pourrions un jour regretter malgré nous de ne pas avoir vu.

En entreprise, on peut en tirer de multiples enseignements, sur un excès de bienveillance qui peut confiner à la complaisance, sur les éléments de langage qui façonnent une réalité déformée ou sur un excès de positivité lénifiant, sur un travail parfois source de mal-être qu’on nomme pudiquement expérience,

Sur le registre de la peur qu’on sursollicite même quand il n’est pas fondé pour légitimer des transformations dont on sait qu’elles auraient du mal à passer mais qui créent un terreau de défiance dont il est difficile de se défaire quand le réel danger arrive.

Voilà donc qui nous interroge sur ce rôle si essentiel, celui du fou du roi, qui précisément, contribue à éviter que le roi ne devienne fou en s’enfermant dans une réalité qui n’est que celle de sa caverne. Cela peut lui éviter qu’on lui coupe la tête.

En résumé, une quête exagérée de bien-être en entreprise peut conduire à endormir notre conscience des réalités qu’il vaut donc mieux cultiver avant qu’il ne soit trop tard même si cela doit être désagréable.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.