Le modèle de Karasek
Dans cet épisode nous allons expliquer une grille de lecture importante du mal-être au travail, le modèle de Karasek.
De modèle, moi je n’en connais qu’un et c’est le seul qui est efficace, crois-moi. C’est celui du travail prescrit. Je te dis comment il faut faire et tu le fais. Point barre.
La grande tradition du « bureau des méthodes » cher à Taylor, celui qui pense le travail que d’autres réaliseront. On en connaît les limites depuis longtemps. Parcellisation des tâches, réduction de l’autonomie, etc.
Oui, certes, mais nous ne connaissons pas vraiment d’autres approches pour favoriser la productivité.
Sauf, qu’entre le réel du travail et le modèle, il y a parfois la souffrance de celui ou celle qui est dans l’obligation d’appliquer le second qui ne colle pas au premier.
C’est tout le sujet. Alors, le modèle de Karasek, c’est quoi l’histoire ?
C’est en vérité une grille de lecture du stress au travail. Elle a été pensée par un psychosociologue, Robert Karasek (Karasek, 1979). Cette grille de lecture, qui date de 1979 et qui a été complétée en 1982, a aussi été popularisée car elle dispose d’un questionnaire permettant d’évaluer ce fameux stress.
Un questionnaire qui permet de mesurer ce qu’il est convenu d’appeler le job strain, qu’on traduit par « stress au travail », bien que ce dernier ne dépende pas que de cela. En l’espèce le job strain, c’est une tension.
Une tension entre, d’une part, ce que demande le travail à réaliser, qu’on qualifie ici de « demande psychologique » et, d’autre part, les marges de manœuvre dont on dispose pour y répondre, qu’on appelle « latitude décisionnelle ».
On parle ici au fond du décalage entre la charge prescrite et la charge réelle et les marges de manœuvre pour faire face.
Or, dans le travail, ces marges de manœuvre, on ne les décide pas complétement seul. C’est toute la question de l’autonomie.
On en vient donc au troisième critère du modèle de Karasek, en l’occurrence le « soutien social » c’est-à-dire à quel point tu es seul face au problème ou aidé, qui de ta hiérarchie, de tes collègues, etc.
Trois critères, donc : la demande psychologique, la latitude décisionnelle et le soutien social.
Autrement dit, l’exigence des situations, les marges de manœuvre pour y répondre et l’aide externe dont on bénéficie.
On est au cœur, selon nous, de ce qui construit un éventuel sentiment d’impuissance au travail, particulièrement destructeur. Confronté à un travail réel vécu comme impossible à résoudre, a fortiori lorsque l’injonction contradictoire qui en est une des causes provient de celui ou celle qui pourraient justement constituer un soutien réel.
Les critères du questionnaire sont d’ailleurs assez simples à comprendre et sont révélateurs de ce que nous évoquons ici.
Dans la version simplifiée, qui est le plus souvent utilisée en entreprise, on parle de 26 questions : 9 sur la demande psychologique, 9 sur la latitude décisionnelle et 8 sur le soutien social.
A l’origine, le questionnaire en comptait près du double. Mais cette version simplifiée donne néanmoins une bonne mesure et ce d’autant plus qu’elle est utilisée pour faire des baromètres réguliers, permettant d’avoir des points de repère.
C’est le cas avec l’enquête Sumer du ministère de la Santé mise en place en France depuis 1994.
En substance, sur la demande psychologique, le questionnaire porte sur la quantité – rapidité imposée par le travail, sa complexité et son intensité, son morcellement et sa prévisibilité.
Pour ce qui concerne la latitude décisionnelle, il porte sur les marges de manœuvre, les compétences mises en œuvre et la nécessité de leur renouvellement.
Et enfin pour le soutien social, sur sa dimension professionnelle mais aussi émotionnelle.
Tout ceci donnant in fine des points et donc des indicateurs qu’on peut comparer.
Ce qu’il faut retenir à nos yeux, c’est surtout le décalage entre l’exigence des situations et les moyens pour y répondre. Certes, la question du soutien est importante et elle ajoute à la peine personnelle qui peut en résulter ou l’inverse.
Mais elle relève des personnes, alors que le décalage dont nous parlons ici a surtout une dimension organisationnelle, indépendamment des comportements personnels. On pointe du doigt ici les effets délétères de modèles organisationnels poussés à leur paroxysme.
Par exemple, le charme des organisations matricielles qui peuvent, parfois, te mettre en telle situation d’injonctions contradictoires qu’aucune solution n’est raisonnablement possible.
On parle aussi des modèles tayloriens poussés tellement loin qu’on a réduit l’autonomie à peau de chagrin rendant leur adaptation au réel impossible et donc source de souffrance.
On parle aussi des effets parfois aggravant du digital, bras armé des processus, qui place parfois celui ou celle qui travaille face à des équations insolubles.
Bien sûr, comme tout modèle, le modèle de Karasek est critiquable et ne traduit qu’imparfaitement le réel des situations qu’il cherche à décrire et mesurer mais il constitue une grille de lecture utile.
Son avantage réside aussi dans les comparaisons que sa simplicité permet car elle a conduit à son adoption dans différents univers professionnels. Il n’affranchit pas en revanche de la nécessité d’une analyse approfondie de chaque situation lorsqu’on veut chercher des solutions opérantes pour les résoudre.
En résumé, le modèle de Karasek permet de mesurer le sentiment d’impuissance face à des situations professionnelles pour lesquelles on ne dispose pas des moyens pour les résoudre, ni en termes de compétences, autonomie ou aides. En cela, il offre une première grille d’analyse pour trouver des remèdes adaptés à la situation.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.