Un jour ça arrivera aussi en entreprise
Dans cet épisode nous allons parler de ce que l’avenir réserve peut-être à nos entreprises et dont nous n’avons franchement pas envie.
Les boosters de tout, de croissance, de ton karma ou de je-ne-sais-quoi encore, ça pullule de partout ! Après tout, on fait du fric comme on peut et on n’en veut pas à celles et ceux qui ont faim.
Mais dans cette société de spectacle où le bruit l’emporte sur la musique, où les danses harmonieuses deviennent gesticulations ostentatoires, où les plus puissants vocifèrent des âneries à qui veut les entendre, on se dit que tout est possible, même le pire.
Le pire n’est jamais certain, évidemment. Restons résolument optimistes, comme un choix salvateur ou comme si nous n’avions, au fond, pas d’autre option. Mais il est possible, aussi…
Alors à partir d’un message bien réel que nous avons reçu, nous avons extrapolé au monde de l’entreprise, en mode Kriegsspiel. Alors, un jour ça arrivera aussi en entreprise, c’est quoi l’histoire?
J’ai reçu un e-mail de pub qui m’a laissé complétement coi.
Coi ? Pourquoi ?
On me proposait en substance de dire du bien de moi, personnellement, sur différents réseaux sociaux, moyennant finance évidemment.
Franchement, pour dire du bien de toi, il faut vraiment être inconscient ou alors c’est que tu as payé vraiment très cher ! Sérieux, tu as reçu cela ?
Évidemment ce n’était pas dit comme cela, aussi clairement, en vrai il y avait tous les mots bullshits du moment. Mais une fois que tu as enlevé le « pipeau blues », en substance, il reste : file-moi du blé et je dis du bien de toi.
On se dit d’abord qu’un jour viendra où l’on me dira « file-moi du fric sinon je dis du mal de toi ». C’est du chantage d’abord et ensuite de la diffamation si cela se réalise. Mais on sait ce que sont les frontières de certains.
Pas de quoi fouetter un chat après tout, me direz-vous ! On trouve toujours des hurluberlus prêts à tout, pour vendre tout et n’importe quoi, y compris de façon illégale. Cela existe depuis la nuit des temps.
Donne-moi du fric et je dis publiquement du bien de toi. La belle histoire. On sait à quel point les frontières, quelles qu’elles soient, sont poreuses et fines, même quand on les veut bien étanches. Tiens prends l’exemple des frontières vie privée et vie professionnelle par exemple.
C’est vrai que dire du bien de toi sur des réseaux professionnels, on est en plein dedans. Je façonne mon image à coût de budget marketing, comme les femmes et les hommes politiques… heureusement qu’ils nous offrent le plus souvent un spectacle pitoyable et d’une médiocrité sans nom, sinon on aurait presque pu y croire.
Mais l’étape d’après en entreprise, c’est quoi ? Le marché aux évaluations ? La bourse aux appréciations ? La promo sur l’intranet façon tête de gondole ? J’ai du bon cadre de premier choix cette semaine, rendez-vous au rayon boucherie, on fait une réduc de 10% au kilo.
Et cette semaine j’envoie mes félicitations publiques à machin qui a fait un truc de bien. Enfin qui m’a surtout filé 100 balles pour le dire… On les connaît d’ailleurs ces applications de reconnaissance… Bon les gens ne se filent pas 100 balles quand même.
En effet, pourquoi donc ne pas monnayer aussi ses évaluations ? Tu me donnes combien pour que je te propose comme « hi-pot » ? Tu veux une augmentation ? Rétrocède 10% mon gars !
Avec notre culte des méthodes qui évaluent tout parce que ça nous rassure, c’est un sacré terrain de jeu, non ? On le fait pour le chauffeur de VTC, on le fait à la sortie du restaurant ou de je-ne-sais quelle boutique.
Paye-moi donc et tu auras une bonne appréciation de la performance. File-moi un cadeau pour dire du bien de toi aux personnes influentes dans la boîte. Après tout, me voilà devenu influenceur interne, genre je fais et défais les carrières des autres, moyennant un petit remerciement pour mes services.
Bref, on arrête là les délires. D’abord ce n’est pas légal, encore moins moral, et les gens ne sont pas comme cela.
Les RH et managers ne sont pas si bêtes non plus et il y a des dispositifs pour limiter au fond ce qui est malheureusement si naturel à l’être humain, à savoir les petits arrangements entre amis.
Mais on pose quand même cette question. À mesure que la marchandisation des posts, des commentaires et autres notations de tout envahit la société civile, il n’y a aucune raison que cela n’envahisse pas l’entreprise aussi.
Heureusement les trolls de l’IA nous sauveront d’un enfer de ce type. Ils compenseront. Ils envahissent déjà les commentaires des réseaux sociaux, y compris professionnels, d’ailleurs. Allons-nous assister à de nouvelles guerres de trolls, en entreprise ?
Chacun d’entre nous aura son armée personnelle de trolls pour faire plus de bruit que les trolls de l’autre, il y aura des loueurs de trolls internes. Les messages Teams et autres murs Slack déborderont de messages, de pouces et de cœurs que des usines à trolls s’évertueront à produire.
La planète se réjouira de l’utilité de tout cela et les relations humaines en sortiront grandies bien sûr. Mais au fond, cela présentera un avantage.
Pas la peine de s’embêter à payer quoique ce soit puisque tout sera factice. Ne distinguant plus le vrai du faux, il nous faudra bien trouver d’autres méthodes.
Il ne nous restera plus qu’à revenir aux bons vieux renseignements de terrain, tu sais un peu comme lorsque tu prends des références.
On arrête ce délire ici et chacun pourra poursuivre l’histoire à sa guise, que ce soit celle du meilleur ou du pire des mondes, en se disant – avec un peu de chance – que ces mondes-là dépendent de nous et de nos choix. Aujourd’hui.
En résumé, l’entreprise n’est pas à l’abri des risques de marchandisation des rapports humains et des désinformations massives qu’une société civile devenue spectacle a parfois bien du mal à juguler. C’est à chacun d’entre nous qu’il appartient donc de ne pas construire ce monde-là, dès aujourd’hui.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.