Coincé dans ta bulle
Dans cet épisode nous allons nous intéresser aux bulles informationnelles et relationnelles pour en tirer un enseignement spécifique.
Ouverture – fermeture. D’un côté, l’inconfort, voire le risque, de la grande aventure et de l’autre, l’asséchement pépère, aussi tranquille que certain, du repli sur soi. Mais qu’à cela ne tienne, tout n’est qu’affaire d’élasticité non ?
Ouverture – fermeture, divergence – convergence dans la grande tradition d’Antonio Damasio (Damasio, 1989) on te voit venir et tu vas nous perdre. On veut du concret ici. Et puis de toi à moi, ces oppositions, du type clignotant qui marche ou qui ne marche pas, c’est un peu facile.
Pourtant toute la question est là, ces oppositions en sont-elles vraiment ? Ou bien les opposés sont-ils inévitablement liés, ce qui nous aiderait à ne pas en faire des ennemis irréconciliables ?
La bulle et en dehors de la bulle. Dedans ou dehors. C’est tout le sujet des bulles informationnelles et relationnelles. Alors, coincé dans ta bulle, c’est quoi l’histoire ?
L’IA générative, elle a une caractéristique marrante. Même si elle ne fonctionne pas que comme ça, elle s’entraîne sur des données qu’elle contribue à produire elle-même. Elle se nourrit d’elle-même en quelque sorte. Cela va finir par tourner sérieusement en boucle tout ça.
On voit l’image, caricaturale bien sûr, et elle pourrait presque nous emmener jusqu’à la vache folle ou au soleil vert. Un film des années 70 – pour celles et ceux qui n’ont pas la référence – qui est peut-être tristement prophétique des enjeux climatiques contemporains.
Mais ce n’est pas le sujet. Le sujet c’est la boucle. La boucle qui tourne indéfiniment en rond sur elle-même comme dans un éternel manège, où il n’y a même pas un pompon à attraper pour te distraire de son inexorable mouvement circulaire.
Que de mots pour dire simplement que dans ta bulle tu tournes en rond et à force de tourner en rond tu penses aussi en rond. Et à force de penser en rond, tu tournes sur toi-même.
On l’a dit, les réseaux sociaux, avec des algorithmes sont non seulement conçus pour cela mais sont en outre par définition des machines à fabriquer de la conformité. On le sait, on est prévenu.
C’est sûr qu’à force d’écouter les mêmes chaînes d’infos et de lire les mêmes feuilles de chou qui te servent toujours la même salade pas étonnant que tu deviennes un légume. Pour ceux qui ne l’aurait pas compris, en un mot comme en cent, la diversité c’est la vie.
Le problème de la bulle, de quelque nature qu’elle soit, réside dans 3 idées qu’on a envie de partager ici.
La première, on l’a compris aisément, c’est son confort. « Coincer la bulle » ou « buller » bref se la couler douce. A l’origine, pour se mettre à niveau, l’expression coincer la bulle viendrait des soldats à qui on demandait de surveiller que la bulle du niveau servant à régler les canons soit bien positionnée. Coincée quoi.
On comprend aussi aisément que ce confort-là, quand tu coinces la bulle dans ta bulle en te la coulant douce est précisément ce qui te fait couler. C’est un peu se complaire dans la douce tiédeur de la fange.
Mais la fange, ça pue. En l’occurrence, ça pue la complaisance avec soi-même et donc toutes les conditions pour ne pas progresser. Parce qu’on le sait, apprendre demande des efforts. Et les efforts ça fait mal.
Mais cette caractéristique de la bulle on la connaît. La deuxième, on la connaît aussi, on l’a déjà évoquée, c’est qu’on en a vite fait le tour, même à 360. Prisonnier de ma bulle où je ne vois que ce que je sais et ce que je veux savoir.
Au-delà du confort c’est donc d’assèchement dont il s’agit. Le problème du plafond qui est bas c’est aussi celui de l’air qui n’est pas renouvelé. On finit par respirer un air vicié et c’est l’asphyxie. Et cela arrive bien plus vite qu’on ne le croit.
L’entre-soi ce n’est pas qu’une affaire de réseaux sociaux et d’algorithmes. C’est aussi notre capacité à diversifier les sources, les univers et les cultures dont on se nourrit.
A commencer par le terrain pour celles et ceux qui dirigent par exemple, qui ont parfois besoin de prendre conscience, du moins pour certains d’entre eux, qu’ils ont aussi beaucoup à apprendre des gens qu’ils regardent parfois de haut.
Après le confort de la bulle contre lequel il faut faire l’effort de se battre, il faut aussi faire l’effort d’une diversité qui ne nous est pas si spontanée que cela ! Peut-être viendra un jour où la clé de l’information sera dans ces réseaux humains mais c’est un autre sujet.
Il y a une troisième caractéristique et c’est celle qu’on aimerait mettre en lumière. Une bulle, c’est une membrane entre nous et le monde. Elle agit comme un filtre, c’est la question de la diversité, mais elle agit aussi comme un amortisseur.
On voit bien l’image de l’isolation acoustique. On entend moins les bruits extérieurs. Alors bien sûr, la membrane de la bulle est poreuse et elle change avec le temps. Heureusement.
Mais ceci doit attirer notre attention sur un point clé. Celui qui est, peut-être le premier, le plus important. Notre sensibilité. Le risque lié à la bulle nous invite à cultiver notre sensibilité car c’est d’elle dont dépend notre capacité à capter les signaux dont notre bulle diminue l’intensité.
Ce n’est pas ce qu’on valorise traditionnellement en entreprise, la sensibilité. Même si nous sommes convaincus que les leaders doivent être des poètes impertinents. La sensibilité est plus souvent vue comme une faiblesse alors que c’est la première des forces.
La force de l’intelligence. Celle qui permet d’engendrer l’ouverture à une autre façon de voir. Gilles Deleuze (Deleuze, 1981) la voit comme le « point de transmutation » d’un univers de pensée à un autre.
D’ailleurs Deleuze dans son ouvrage « Différence et répétition » (Deleuze, 1968) souligne justement une différence entre la reconnaissance d’une part et la rencontre d’autre part. D’une part, une forme de pensée qui ne crée pas, de l’autre une forme de pensée potentiellement créatrice.
La sensibilité est alors en cela le point de bascule de l’un à l’autre, en l’occurrence ce qui évite à la bulle de se reconnaître en elle-même, par elle-même. Tout l’art de l’ouverture et de la rencontre au sens de celle qui bouscule.
Les bulles, dont nous identifions les risques de paupérisation intellectuelle sont donc paradoxalement un formidable éloge en faveur de la sensibilité. Or, la sensibilité c’est une plus grande exposition.
Donc on en revient à ce qui fait mal. L’excès de confort tuerait-il donc le progrès ? On pose ça là.
En résumé, les bulles informationnelles et relationnelles enferment dans un entre soi asséchant mais elles amortissent aussi les signaux de l’extérieur. Cultiver et développer sa sensibilité est en cela un gage d’esprit critique salvateur.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.