IA générative et fausse productivité

Dans cet épisode nous allons explorer un aspect des gains de productivité liés à l’IA générative.

Comme à chaque fois qu’un saut technologique marque une rupture significative et crée une nouvelle donne, un eldorado s’ouvre, avec son lot d’utopies digitales comme arguments de vente.

Quoi de plus normal quand il y a des marchés à prendre, c’est la ruée vers l’or et chacun y va de sa lessive qui lave plus blanc que blanc. L’argument massue de l’IA générative, comme souvent, là encore, c’est évidemment celui des formidables gains de productivité qui vont en découler.

Donc leur corollaire, à savoir les inquiétudes sur l’emploi mais c’est une autre affaire.

Le cœur du sujet est donc bien là : la productivité. On va donc essayer d’éclairer le sujet, et peut-être sous un jour nouveau. Alors, IA générative et fausse productivité, c’est quoi l’histoire ?

Faisons simple. L’IA est source de productivité. Le sujet ? L’intelligence artificielle, et ce que l’on en dit, du moins communément, à savoir qu’elle est source de gains de productivité pour l’entreprise.

Commençons par le sujet. L’IA. D’abord, l’iA ne se résume pas à l’IA générative qui n’en est qu’une des facettes mais on sent déjà là une des premières confusions, ou un des premiers raccourcis un peu rapide que certains font.

On comprend aisément pourquoi puisque c’est la percée récente qui a impressionné le commun des mortels, notamment avec ChatGPT d’OpenAi. C’est d’ailleurs ce qui conduit certains à réduire le sujet à chatGPT.

Concentrons-nous sur cet aspect de l’IA, à savoir l’IA générative, puisque c’est la percée récente porteuse d’une généralisation annoncée de son usage en entreprise.

On en dit donc qu’elle est source de productivité. Il n’est pas rare d’ailleurs qu’on invoque le bon sens pour le justifier. Ce n’est pas étonnant, puisque c’est l’expérience que chacune et chacun d’entre nous en fait.

Qui fait du code informatique a trouvé-là un assistant stagiaire aussi docile que rapide et toujours à l’heure. Qui communique a trouvé-là un rédacteur qui lui mâche le travail, un dénicheur d’images d’illustration etc. Sans parler des automatisations qui permettent d’enchaîner des assistants IA à la suite les uns des autres.

Bref, l’expérience personnelle d’un gain de productivité individuelle immédiate est assez évidente. On ne va donc pas le contester. Mais affinons la réflexion.

Le sujet : l’IA générative. Ce qu’on en dit, le prédicat, c’est qu’elle est source de productivité. Si l’on suppose qu’il s’agit de la productivité de l’entreprise, puisque c’est elle qui achète donc qui paye, alors c’est qu’il y a entre les deux un argument implicite. Celui de la productivité individuelle.

On en revient alors à : l’IA générative est source de productivité individuelle. C’est la majeure du raisonnement. La productivité individuelle est source de productivité collective, c’est la mineure.

On n’a pas critiqué la majeure, c’est toujours le lien logique le plus solide. Mais que dire de la mineure si ce n’est que c’est un raccourci très rapide. Comme si la productivité collective était la somme des productivités individuelles…

C’est bien-là où le bât blesse. On va donner deux raisons et illustrer le propos.

La première raison est très simple. L’amélioration de la productivité de l’un peut être largement annihilée par les errances, les insuffisances ou les incompétences des autres.

Grâce à l’IA, tu consommes moins de temps pour me produire les mêmes tableaux de bord. Tu peux donc bosser sur autre chose en plus. Mais j’ai toujours autant de mal à décider, je traîne. Je te demande donc des analyses complémentaires puisque ta productivité s’est améliorée.

Et tu te réfugies derrière parce que tu n’aimes pas décider. C’est d’autant plus facile que je vais plus vite qu’avant. Ce n’est pas sûr que la productivité collective augmente in fine.

Toute la question c’est de savoir à quoi servent les gains de productivité individuelle. Est-ce qu’ils permettent de délivrer plus ou de meilleurs résultats ? Est-ce que ces résultats sont mieux utilisés par les autres ?

Pour comprendre ce premier point, il suffit de relire l’histoire du management qui n’est faite, au fond, que de cette quête permanente : mais comment faire enfin pour que des gens arrivent à travailler ensemble pour de bon en étant collectivement efficaces ?

Coopérer n’est pas collaborer en effet.

La seconde raison : de quel horizon parlons-nous ? Parce que parfois, des gains de productivité individuelle immédiats sont des miroirs aux alouettes un peu plus tard.

On va prendre deux exemples simplistes pour illustrer le propos. Je fais du code informatique. J’ai donc trouvé un super assistant et c’est vrai que les LLM sont bluffant en la matière, y compris dans le fait qu’ils t’expliquent, ce qui te fait progresser.

Mais ce code il faut l’intégrer. Ce n’est pas juste du « copier-coller ». Tu as beau y aller en itérant de « prompt en prompt » pour coller au mieux à ton besoin et à son contexte, tu as vite fait d’écrire un code très peu optimisé.

Ça marchera mais ce ne sera pas si propre que cela in fine surtout si c’est intégré avec le code d’autres personnes. Tu as peut-être bossé plus vite mais à quel prix, par exemple, sur la maintenabilité des programmes ? La productivité collective dans le temps ne va vraisemblablement pas y gagner.

Regarde les réseaux sociaux professionnels, qui dégueulent de posts et commentaires rédigés par de l’IA générative, avec peu de reprise par quelqu’un qui sait écrire, ou avec des images qui se ressemblent désormais toutes.

A force, l’image de ton service risque bien d’en pâtir. Un peu comme ses démarcheurs « booster » de performance pour ta propre prospection et qui t’envoient exactement le type de message qui te les fait foutre à la porte aussi vite que possible.

En un mot comme en cent, un gain de productivité individuelle n’est pas synonyme de productivité collective non seulement parce que la coopération n’a rien de naturel dans une entreprise

Mais également parce qu’un gain immédiat de productivité individuelle peut être une forme de politique de la terre brûlée qui peut aussi produire un niveau de qualité qui insulte la productivité collective dans le temps.

En résumé, l’IA générative a des bénéfices si on l’utilise en tenant compte de la perspective collective à laquelle on participe. Affirmer qu’elle est source de productivité en elle-même est un raccourci trop rapide.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.