Emploi de seniors : une raison cachée ?

Dans cet épisode, nous allons émettre une hypothèse concernant la faible propension des entreprises françaises à employer des seniors.

Silver, senior, vieux, quinquas et autres aînés, les mots dansent la valse du temps qui n’en n’a ni trois ni quatre, cette valse qui, en ni une ni deux, te donne juste le temps, de prendre, non pas ton temps si précieux, mais la porte, dans la truffe !

On a parfois l’impression qu’on n’est bankable qu’entre 25 et 45 ans. Avant pas assez expérimenté, après trop vieux. Avant la porte est fermée, après tu la prends. Et là, il te faut le temps de prendre conscience que ça va être un long chemin aride, faire le deuil du statut que tu avais,…

et puis il va falloir revoir tes ambitions à la baisse parce que, clairement, l’entreprise et l’emploi de celles et ceux qu’on baptise pudiquement les seniors, bah c’est pas le grand amour.

Mais pourquoi donc un tel désamour ? Pour quelle raison bizarre en serions-nous arrivés là ? Alors, emploi des seniors : une raison cachée ? C’est quoi l’histoire ?

On ne va pas étaler les chiffres ici. Tout le monde le sait, certaines et certains le vivent, parfois très durement. Le taux d’emploi des 55 ans et plus en France ? On est au 20ème range européen sur 31 pays selon Eurostat (en mars 2023) …

Et dire que le gouvernement français fixe un objectif de passer le taux d’emploi de 36% en 2022 à 65% en 2030 pour les plus de 60 ans … C’est con, syndicats et patronat n’ont pas bien réussi à se mettre d’accord en avril 2024…

Alors tout le monde y va de son analyse quant aux causes qui conduisent l’entreprise, vue comme une sorte d’entité unique et indistincte, à se priver d’une telle mine d’or alors que dans le même temps, elles font des efforts considérables pour compenser la pénurie de main d’œuvre.

Surtout que les arguments rationnels ne manquent pas ! France Travail nous en donne même 8 : ce sont des salariés stables, avec savoir-faire et expérience, « maîtres des softskills » (ce n’est pas nous hein c’est eux qui le disent), le transfert des compétences notamment intergénérationnel, ils coûtent pas si chers contrairement aux idées reçues…

STOP. Pas besoin de faire la liste comme un démonstrateur de râpe à légumes ! Les arguments rationnels sont assez évidents. Alors peut-être qu’il y a un truc pas rationnel dans tout cela.

Préjugés, idées reçues, discriminations, … Peut-être peut-on trouver là quelques causes réelles. Ils seraient plus fragiles, lents, trop chers, pas prêts à abandonner un confort chèrement acquis…

Ils ne comprennent pas les jeunes, que leurs manières de faire seraient dépassées alors qu’on célèbre le culte d’une modernité parfois contreproductive. Allez comme toutes les idées reçues, ça ne vaut pas lourd.

Tiens, on nous dit aussi qu’ils seraient largués sur le digital. Mais être né avec les réseaux sociaux ne veut pas dire que l’on est à l’aise avec l’informatique ! Tiens une étude Australienne1 révèle que 45% des étudiants peuvent être considérés comme des utilisateurs rudimentaires.

Pas innovants les vieux ? Rappelons-nous ces mots de La Rochefoucauld « les vieux fous sont plus fous que les jeunes. » et tu en croises tous les jours comme des jeunes pas fous du tout et tout aussi conformistes qu’un notaire de province au 19ème siècle.

On sent bien d’ailleurs, intuitivement, que beaucoup s’étonnent de cette situation paradoxale : une offre de valeur, pas de demande. Bizarre non ? A moins que l’offre et la demande ne se rencontre pas.

Questions de temps, d’opportunités, de secteurs d’activité peut-être aussi. On n’est peut-être pas très bons non plus sur les conditions de travail et encore moins sur leur aménagement. Mais franchement cela ne semble pas suffisant pour expliquer ce qui ressemble à quelque chose de systémique.

Qu’on ne nous dise pas non plus qu’on investit évidemment dans l’avenir, écartant de son portefeuille les actifs qui ne sont pas à long terme. L’entreprise est souvent bien contente de disposer d’une main d’œuvre qu’elle n’aura pas forcément sur le dos durablement.

Alors de guerre lasse on se dira que c’est multifactoriel. Il y a plein de raisons dont on ne voit pas bien la raison objective mais c’est comme ça… Il y en a plein.

En substance, à part le coût dont on comprend que dans certaines situations il puisse constituer un frein. Tout le monde connaît l’effet de Noria sur la masse salariale. Mais il y a tant de professions pour lesquelles cela ne semble pas être le cas non plus…

Tu me diras, il peut y avoir aussi des effets d’aubaines non ? Hop dehors et tu reviens en freelance ? On allège la barque et ça coûte moins cher… Et ce sont des budgets qui changent de poche aussi. Moins d’ETP et ça passe en consulting…

Peut-être en effet il y a là une hypothèse un peu moins avouable mais cela ne vaut pas pour tous les métiers. Alors, on va en soulever une dernière, un peu comme une raison cachée, façon secret de famille qu’on planque.

C’est juste une supposition. Rien d’autre. Du grain à moudre pour réfléchir… Cette hypothèse nous vient d’un vieux dicton britannique : “old broom knows where the dirt is” ou, en français, “les vieux balais savent où est la poussière”.

Peut-être pas si malléables que ça les vieux. L’expérience c’est bien, mais ça a une contrepartie : ce n’est pas aux vieux singes qu’on apprend à faire la grimace… puisqu’on est dans les dictons.

On ne leur fait pas avaler des couleuvres… Mais ça, on ne peut pas le dire. Les vieux ils ont ça de commun avec nous… On ne leur raconte pas d’histoires… Parce que dans certaines entreprises, heureusement pas toutes, on veut bien de l’esprit critique mais à condition qu’il ne contredise pas le récit dominant …

C’est juste une hypothèse, te disais-je…

En résumé, le faible taux d’emploi des seniors en France a des causes multifactorielles, objectives pour certaines, nourries de préjugés pour d’autres. On peut se demander néanmoins quel rôle joue le fait qu’on ne raconte pas d’histoires aux personnes expérimentées.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.

1 – G. Kennedy et al “Beyond natives and immigrants: exploring types of net generation students”, 2010, Journal of Computer Assisted Learning.