La moquette est bien épaisse
Dans cet épisode nous allons parler des symboles du pouvoir… hiérarchique.
Dis-moi, tu as vu le nouvel organigramme ? Martin, il n’est plus directeur, il va être viré ? Il n’est plus double souligné dans l’organigramme, il est souligné-pointillé…
Mais non, regarde bien il n’est pas souligné-pointillé, il est souligné tireté. Il n’est plus directeur, tu as raison, il est adjoint.
Dire que certaines et certains scrutent le moindre petit signe extérieur qui témoigne, à leurs yeux au regard bas, de l’importance qu’ils pensent avoir.
Les symboles, comme les rites, sont des attributs du pouvoir importants qu’on ne peut ignorer. C’est vrai. Mais quand même. Alors, les symboles du pouvoir hiérarchique, c’est quoi l’histoire ?
Je me souviens d’une anecdote lorsque j’étais jeune consultant. En attendant dans le couloir, à côté du bureau de la personne que nous allions visiter, mon chef se penche vers moi et dit : « la moquette est bien épaisse ici, c’est l’étage de la direction » …
Il faut reconnaître qu’une moquette épaisse c’est agréable, cela chatouille tout doux sous les doigts de pieds. Mais il paraît que les chefs ne se promènent pas forcément les pieds nus au bureau…
Une autre anecdote, avec cette entreprise à l’époque où la cantoche n’était pas la même pour les cadres et les non-cadres. Je ne parle pas d’un restaurant de direction où l’on reçoit les gens de ce monde, non ! Juste la cantoche.
L’importance du chef à plumes se mesure donc à la taille des plumes. Les barrettes, les galons et les médailles et tous ces signes auxquels certaines et certains accordent une importance démesurée.
La liste est aussi longue que variée, à la manière d’un inventaire à la Prévert. Qu’on pourrait presque trouver poétique si ce n’était tant ridicule, pathétique et finalement le témoin des petites médiocrités de celles et ceux qui pensent que leur statut les rend supérieur.
Supérieur hiérarchique, ils en aiment le premier terme, sans en comprendre toujours la responsabilité qu’il impose. Et de ce premier terme, ils en veulent surtout les attributs, pour bien montrer aux autres, les inférieurs, que leur nom à eux est inscrit sur la porte de leur bureau.
Pas comme ce bas peuple, les « gens d’en-bas » qu’on loge dans les communs. Les uns dans la fosse, quand les autres ne rêvent que de leur mausolée…
Tu es important, tu as un bureau individuel. Tu comprends, toi, tu penses, tu réfléchis. Tu as besoin de calme pour te concentrer et de confidentialité aussi. Parce que toi, tu traites des sujets aussi importants que confidentiels.
Pas ceux d’en-dessous. Allez hop tout le monde dans la salle commune et que ça trime.
Ici, c’était la surface du bureau, directement proportionnelle au statut hiérarchique. Le top du top, le bureau de ministre avec le fauteuil que tu règles dans tous les sens.
Moi j’adore jouer à bzzzz ça descend, zzoou ça monte… Avec un bon salaire, moi ça peut m’occuper une bonne matinée de jouer avec ce truc.
Il faut aussi une table avec deux ou trois fauteuils bas pour recevoir, dans un coin cosy. Parce quand on est important, on parle à voix basse.
Peut-être est-ce pour cela que la moquette est épaisse dans les couloirs feutrés du pouvoir, pour que les messes basses s’y éteignent en douceur, sans laisser de traces. Allez, encore une anecdote, celle du bureau de ce DRH d’une compagnie d’assurance.
Dans son bureau parisien d’une surface digne des grands appartements Haussmanniens, il y avait des tapisseries, genre tapisseries d’Aubusson tu vois. Il ne manquait que les perruques et les jabots.
Là, ton importance ne se mesure pas à la surface du bureau mais à la place de parking. Tu en as une ou pas. Attitrée ou pas. Et surtout le parking des chefs est moins éloigné de la porte d’entrée que celui des pas chefs.
Hein chef ! Il ne faudrait pas que tu marches trop, tu risquerais de tacher tes mocassins à glands.
On ne va pas parler des voitures de statut non plus, sinon on ne va pas en finir. Quand certains commencent à comparer la taille de leur bagnole de fonction, il ne leur manque plus que le concours de grosses… montres au poignet et on n’est pas loin de leur demander dans quel club ils jouent.
Allez savoir où la vanité et la prétention vont se nicher. Allez savoir à l’aune de quoi on croit marquer son importance aux yeux des autres… Ah ces gens qui veulent leur nom en tête de liste sur la 1ère de couverture de l’ouvrage collectif parce que l’ordre alphabétique ne les valorise pas.
Ce professeur d’université par exemple – anecdote vécue – faisant graver, même pas son nom mais monsieur le professeur Trucmuche, à l’arrière de la tablette que l’institution mettait à sa disposition…
Ces autres professeurs qui ne sont pas venus à une réunion parce que j’avais invité le personnel administratif et qu’ils ne se mélangent pas aux autres, ceux qui font retirer tes ouvrages de la vitrine, parce que tu n’es que prof associé…
La taille de ton écran, celle de ton bureau, la proximité de la place de parking, l’épaisseur de la moquette, arriver en retard en jetant un bonjour condescendant à la cantonade, j’en ai même vu qui laissait une veste et la lumière allumée dans leur bureau le soir pour faire croire qu’ils travaillaient à pas d’heure…
Bien sûr les symboles ont une importance dans l’exercice du pouvoir et on ne peut pas s’en affranchir. Un président qui arrive en tenue militaire sur le terrain ou un ministre en costume cravate et mocassins dans une ferme cela n’envoie pas la même image.
Bien sûr les rites et les symboles, les codes, font partie de tout cela. Ils contribuent à une culture d’entreprise. Et cela touche un éventail important, de la tenue vestimentaire en passant par les locaux et leur aménagement jusqu’aux couleurs de l’organigramme.
On doit évidemment en tenir compte, parfois adapter ses comportements à des rites collectifs pour faire partie de la famille. Dans certaines cultures, on porte du noir aux enterrement, dans d’autres, c’est du blanc.
Mais faire de ces petits signes extérieurs de pouvoir des combats personnels et y attacher tant d’importance, ça en dit long aussi sur ce qui nous importe.
Alors, avant de te préoccuper de tes plumes, comme un paon qui fait la roue, fait ton boulot, assume les responsabilités qu’on te confie, et respecte celles et ceux avec qui tu travailles, ça ne sera déjà pas si mal que cela.
Peut-être même que tes compétences, les résultats que tu obtiens, la justesse de ta vision et la justice de tes décisions, forceront le respect. Humblement.
En résumé, les symboles font partie d’une culture d’entreprise et exercer une responsabilité exige d’y être attentif car cela envoie des messages et c’est interprété de fait mais cela ne signifie pas pour autant attacher une importance inappropriée aux signes extérieurs de pouvoir.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.