Quand les algorithmes rendent con
Dans cet épisode nous allons parler du rôle des algorithmes sur les réseaux sociaux et la manière dont ils façonnent nos comportements.
Pour être visible, il faut suivre la loi de l’algorithme. Cet algorithme-ci me dit qu’un document PDF au contenu de merde serait plus efficace qu’un lien externe vers un contenu de qualité. Dont acte.
Cet algorithme-là éclaire ce qui génère beaucoup de commentaires. Alors paf, un post polémique. Au moins comme avec ça, ça commente. On dirait les vieilles ficelles d’un débat télévisé.
Et de post en post, de fil en aiguille, de règles algorithmiques en soumission, on s’exécute, on fait tous pareil. Alors, quand les algorithmes rendent con, c’est quoi l’histoire ?
C’est une histoire cousue de fil blanc. Une évidence. Le problème c’est que le monopole nous oblige. La quête du post qui rend visible… et pour être visible, il faut respecter le code. Celui de l’algorithme.
Il y a des spécialistes de cela d’ailleurs. Ils t’expliqueront savamment, car à leurs yeux c’est une science, que le bon post dans tel ou tel réseau c’est le jeudi à 11h30, qu’il faut un titre accrocheur, taguer des personnes influentes, pas plus de 5 hashtags, une photo de toi et surtout susciter des commentaires, parce il faut que ça s’agite.
Qu’on ait quelque chose d’utile à dire ou pas, après tout, si personne nous voit cela ne sert à rien. C’est fou, je ne peux pas m’empêcher de penser à cette expression des gamins dans la cour de récré : t’es populaire ou tu ne l’es pas.
Après tout ce n’est pas si grave que ça de devoir respecter certaines règles non ? Si ce n’est le fait que ces dernières ont des conséquences. Et cela va bien au-delà même du simple fait que tout le monde fasse la même chose.
Premier effet kiss pas cool, en effet, c’est la standardisation des comportements. L’algorithme impose sa loi donc on la suit au pied de la lettre. Le seul problème c’est qu’à force d’être au pied de la lettre on est loin de la phrase !
Cet effet de normalisation n’est pas vraiment hyper propice à la qualité, c’est vrai. Mais que veux-tu ? Quand un acteur domine on se plie à ses règles, faute de quoi on est sorti de la matrice.
On va lister quelques-unes des conséquences… Pour se figurer ce dont on est complice. Ou pas.
Réseau dit « social », ou plutôt quand ledit social devient du « moi quant à moi ». Quel paradoxe ! On parlait de la rencontre et c’est l’étalage du moi. L’hypertrophie du moi. Pire encore. Quand je parle des autres, ce n’est que pour parler de moi. La règle obligerait donc à cette vulgarité ?
Tiens, un post récent que j’ai croisé, une caricature : j’ai reçu un email il y a quelque temps. Il m’a profondément ému. C’était un ancien collaborateur qui me remerciait 10 ans plus tard pour me dire à quel point j’avais transformé sa vie. Quel bonheur. Quelle émotion. On ne dit jamais assez aux autres ce qu’on leur doit.
Prônons la bienveillance, la reconnaissance, dites aux autres ce que vous leur devez. C’est si important. Vraiment faites-le ! L’art de prendre l’autre en otage pour se mettre en valeur. La pire des presses n’aurait pas fait mieux.
Mais que dire encore des règles de visibilité de tes posts. Il faut des commentaires, de la réaction. Du bruit quoi. C’est cela le principe de la caisse de résonnance. Ça résonne plus que cela ne raisonne. Alors, on fait comment pour que ça gesticule ?
Bah de la polémique plutôt que du fond. Cela ne sert à rien pour celles et ceux qui lisent ? Qu’à cela ne tienne, si cela les fait réagir, puisque le but c’est d’être vu, pas d’apporter quelque chose à celles et ceux qui lisent… Alors autant faire du bruit et inviter à gesticuler.
Au détriment de ce qui est utile, peut-être, pour le lecteur. Mais au fond, le fond, peut-être qu’on s’en fout. Ce qui brille, mon ami, ce qui brille ! Voilà tout ce qui importe. Et c’est comme cela qu’au journal de 20H on te parle des chiens écrasés.
Et on parle de la volonté du réseau dit social de surtout garder son client le plus captif possible ? Alors évidemment pas d’incitation à le quitter. Un contenu à valeur ajoutée qui peut être utile à celles et ceux qui te suivent ?
Ô malheureux, que vas-tu t’aventurer à poster un lien externe qui invite l’utilisateur à quitter celui qui fait tout pour te conserver dans ses rangs ? Le spectacle continue mais ici, ne t’avise surtout pas d’aller voir ailleurs.
Et c’est à force de soumission à ce type de règles, imposées par les algorithmes et leurs spécificités, qu’un réseau professionnel se « peopolise » ou qu’un autre n’a plus d’amis que les pubs ciblées qui l’envahissent.
Voici. Voilà quoi. Quand le pro devient tout sauf être pro. On étale son nombril parce qu’on le vaut bien, on s’intéresse au clic mais on ignore l’autre, précisément celui ou celle dont on aurait secrètement envie de capter l’attention.
La racole en quelque sorte. Elle pose deux questions. La première. Qu’est-ce que tu vises ? La seconde ? Qu’est-ce que ceux que tu vises attendent ? Peut-être même que ceux que tu vises sont comme toi.
Ils s’intéressent à eux. Pas à toi. Alors peut-être mieux vaut-il leur donner ce qui les intéresse eux. Et ce n’est pas toi. Et avec un peu de chance, ils reviendront vers toi. Ou pas.
C’est un éternel débat entre fond et bruit, entre visibilité et profondeur, rien de nouveau. Au fond on aurait presqu’envie de dire que ceux qui ont quelque chose à dire ont souvent peu à vendre quand ceux qui ont quelque chose à vendre on malheureusement souvent peu à dire.
La loi du genre. Et elle n’est pas nouvelle. En revanche, jusqu’où se conformer docilement aux règles d’une fabrique abrutissante au nom de sa propre visibilité ? Jusqu’où sacrifier ce que l’on est au nom de le paraître ?
La course à la visibilité n’est pas toujours synonyme de pertinence. En effet. Mais c’est un choix. Sur lequel nous nous garderons bien de porter un quelconque jugement de valeur.
Ou pas. Tout dépend peut-être de ce que l’on y sacrifie. La soumission c’est peut-être aussi une question de liberté.
Bien heureusement, parfois, la constance de certains et certaines à publier des contenus utiles, riches et pertinents pour celles et ceux qui les lisent, fait un bien fou et on les remercie sincèrement !
Bah alors clique sur j’aime et commente, ça leur fera de la visibilité et ils le méritent bien.
En résumé, les algorithmes des réseaux sociaux imposent des règles formelles pour mettre en valeur les informations qu’on publie. Le respect de ce formalisme pour être visible n’est pas exempt de conséquence. A chacun et chacune de choisir jusqu’où s’y soumettre ou pas en connaissance de cause.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.