L’engagement des fonctionnaires
Dans cet épisode nous allons parler des fonctionnaires et de leur engagement.
RATP tu sais ce que cela veut dire ? Reste Assis T’es Payé et SNCF ? Sur Neuf Cinq Fainéants… Les fonctionnaires, moi je te le dis, il y en a trop et ils ne foutent rien…
Et encore des vérités de comptoir qu’on assène en claquant de la langue, dans son palais, et du verre, sur le zinc… Des « brèves » de comptoir… justement parce qu’elles sont un peu courtes. Tu es au courant que les salariés de la RATP et de la SNCF ne sont pas des fonctionnaires ?
Moi « Quand je vois ce que je vois et que j’entends ce que j’entends, je suis bien content de penser ce que je pense. » disait Fernand Raynaud. Moi ce que je vois c’est que les fonctionnaires ne sont pas engagés. Tiens La Poste, « adressez-vous au guichet 28 » ! Et Air France, tu la veux la grève des pilotes juste avant de partir en vacances ?
Là encore, des salariés de droit privé. Pas des fonctionnaires. Ah le préjugé « cet enfant de l’ignorance » disait William Hazlitt… Allez, pose ton verre sur le comptoir. L’engagement des fonctionnaires, c’est quoi l’histoire ?
Commençons par une clarification. C’est quoi un fonctionnaire ? C’est un agent de la fonction publique et en France il y en a 3 :
- la fonction publique d’État, en gros les ministères et les services décentralisés comme les préfectures, les ARS ou les rectorats par exemple.
- la fonction publique territoriale. Les collectivités territoriales comme les régions etc. et les établissements publics qui vont avec et enfin
- la fonction publique hospitalière.
Et tout ça en 2022 cela représente en gros entre 5 et 6 millions d’agents, soit un emploi sur 5 en France[1]. Après il y a les entreprises publiques, bien sûr, mais ce ne sont pas des fonctionnaires. Comme les militaires, qui sont des agents de l’État, mais qui ne sont pas non plus des fonctionnaires. Ils ont leur propre statut.
Bref, c’était juste pour la précision, mais ce n’est pas notre objet ici. Ni de se demander s’ils sont trop nombreux ou pas. C’est une question politique.
On ne va pas s’attarder non plus sur ce que l’administration française est aussi capable de produire comme incohérences ou comme folies, broyant autant ceux du dehors que ceux du dedans. Quand lesdits services deviennent parfois sévices.
On va plutôt s’attarder sur cette grande tradition française, à la manière de Courteline avec sa satyre « Messieurs les ronds-de-cuirs » … Le fonctionnaire-bashing… Bon, j’imagine que le mot ne plaît pas à l’éducation nationale et ses « référentiels bondissants » mais ils nous pardonneront ce barbarisme. Ou pas.
Les images d’Épinal. Le fonctionnaire tire-au-flanc, planqué du bureau, qui ne baille pas aux corneilles l’après-midi parce que sinon il n’aurait rien d’autre à faire le matin… Bref, une longue tradition…
« Les fonctionnaires sont les meilleurs maris : quand ils rentrent le soir à la maison, ils ne sont pas fatigués et ont déjà lu le journal » disait Georges Clémenceau. C’est un peu facile tout cela.
À nos yeux, cela appelle plusieurs remarques.
La première, c’est qu’avant de les affubler de tous les maux, on peut aussi se demander si les fonctionnaires ont les moyens de fonctionner… J’en connais plein qui baisseraient les bras avant eux s’ils étaient à leur place.
La deuxième, histoire de remettre à l’heure les pendules qu’ils seraient supposés scruter à la seconde pour ne pas en bosser de plus qu’il ne faut, c’est que des tire-au-flanc il y en a là comme ailleurs.
Sauf que pour les fonctionnaires, on ne repère que ça ! Celui qui ne fait pas son boulot qui accapare le courroux de l’usager. On ne voit pas ses collègues à côté qui s’investissent sans compter pour compenser !
Tu as déjà vu le siège d’un grand groupe ? … Pas sûr que dans les grands états-majors ça bosse tant que cela ! On tire au flanc aussi mais autrement, on s’invente des pseudo-activités, on gesticule de réunions en réunions, on est affairé tu comprends, et ça papote de cafés en déjeuners qui s’éternisent, …
Euh ce n’est pas encore un peu caricatural, là-aussi. On dirait ceux qui bossent dans un établissement, une usine ou une filiale, qui affuble le siège parisien de tous les maux. Tu ne crois pas que ça bulle ici, là et ailleurs ?
« Là où il y a de l’Homme il y a de l’hommerie » écrivait François de Sales. Et dans n’importe quel système, il y aura toujours celles et ceux qui s’investissent et celles et ceux qui scrutent la moindre règle du système pour en tirer profit personnel.
Vraisemblablement dans les mêmes proportions chez tous les êtres humains. Après, certains systèmes, par les règles qu’ils posent, favorisent plus ou moins certains types de comportements. Mais c’est un autre sujet.
Revenons à nos moutons.
Ah parce que les fonctionnaires sont des moutons c’est ça ?
Mais non, c’est une expression pour dire qu’on revient au sujet… en l’occurrence celui des fonctionnaires… sujets de l’État… Elle était facile celle-ci.
C’est notre troisième remarque. Et c’est au fond cela que nous avions surtout envie de dire… Une remarque simple que tout le monde a certainement vécue au moins une fois dans sa vie. C’est celui de l’engagement hors norme dont les fonctionnaires sont capables quand il y a un coup dur.
Et qu’on y mette pêle-mêle les seuls fonctionnaires au sens strict du statut, ceux qui ont des statuts similaires, les militaires et leur statut particulier, les contractuels des grandes entreprises publiques, les profs vacataires du supérieur, …
Vous avez vu ce qui se passe quand il y a une tempête ? Où même des retraités qui reviennent travailler dans des conditions périlleuses pour rétablir le courant ! On reparle du sacrifice du personnel de soin pendant la crise de la Covid ? Ah on admirait leur courage au point de les applaudir du haut des balcons, comme au théâtre.
Mais combien d’entre nous aurait fait la moitié de ce qu’ils ont faits ?
Et quand il n’y a pas de crise frappante comme celles-ci mais juste les contraintes du réel… Et Dieu sait qu’elles peuvent être pesantes. On en parle de l’engagement de celles et ceux qui enseignent, qui soignent, qui nous défendent ? Celles et ceux qui, dans l’ombre, donnent tout ce qu’ils peuvent, parfois trop.
On en parle d’un militaire qui donne sa vie pour sauver un otage, d’une infirmière qui a tenu une main quand la famille n’était pas là, d’un enseignant qui donne à ses élèves bien au-delà de ce qu’on lui demande ?
Ces gens-là, portés par quelque chose de plus grand qu’eux, il y en a beaucoup plus qu’on ne le croit. Le sens du service public, c’est quelque chose. Ce n’est pas celui de l’obéissance du rond-de-cuir de Courteline.
C’est celui des gens qui œuvrent pour le bien commun. Et quand on hurle à la « crise des vocations », ce n’est pas à ceux-là qu’il faut la jeter au visage, mais à celles et ceux qui ont tiré une ficelle au point de la faire craquer.
Alors du fonctionnaire au contractuel, du militaire au prof de village, de celui qui élève à celle qui défend, de celui qui protège à l’agriculteur qui nourrit, du bénévole qui donne ce qu’il a, son âme, à celui qui soigne, il y a des femmes et des hommes.
Au lieu de les basher on leur dit merci. Parce que ceux qui méritent qu’on les remercie sont bien plus nombreux que les tire-au-flanc. Et pour ceux qui « tirent au flanc », là comme ailleurs, pour ceux qui se servent avant de servir, pour celles qui prennent avant d’entreprendre, on peut dire « ce n’est pas normal » à condition ne pas jeter avec eux toute l’eau du bain.
Car ces derniers font d’abord du mal aux premiers, les engagés qui pourraient bien devenir des enragés, à force de voir piétiner ce service public auquel ils ont donné leur vie et de se voir reprochés, à eux, d’en profiter plus ce qu’ils ne font. La double peine en somme.
En résumé, affubler les fonctionnaires d’une étiquette de fainéants c’est oublier l’engagement extraordinaire, parfois au prix de leur vie, de personnes bien plus nombreuses qu’on ne le croit, pour une cause qu’ils placent au-dessus d’eux et qui s’appelle le bien commun.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.
[1] Source : https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/Publications/Rapport%20annuel/2022/CC-2022-web.pdf