Moi, si j’étais à leur place

Dans cet épisode nous allons parler de ces gens qui ont un avis bien affirmé, non seulement sur tout, mais surtout sur les décisions et les actions de celles et ceux qui sont en responsabilité…

Je te dis, hein, ce n’est pourtant pas compliqué à comprendre, moi, pendant la guerre je n’aurais pas fait ça.

Oui, sauf que, justement, tu n’es pas pendant la guerre. La guerre tu n’en connais que les jeux vidéos ou les séries télévisées, alors tes conseils péremptoires, tu te les gardes pour toi.

On dirait les critiques de tous ceux qui s’improvisent sélectionneur de l’équipe de France, de foot ou de rugby, accoudés au comptoir ou assis dans leur fauteuil et qui t’expliquent pourquoi il faut sortir ou au contraire faire jouer tel ou tel joueur.

Entre esprit critique et esprit de critique, il y a un fossé, celui qui sépare la certitude du questionnement. Alors, moi, si j’étais à leur place, c’est quoi l’histoire ?

Ce n’est pas l’histoire de l’ultracrépidiarisme, quand bien même ce soit tout aussi gavant et assez proche au fond, cette sorte de capacité de certains à tout savoir, sur absolument tout, surtout sur ce qu’ils ne connaissent pas.

En l’occurrence, ce qu’on va pointer du doigt ici, c’est plutôt celles et ceux qui formulent un avis, dont ils sont certains qu’il est éclairé évidemment, sur les actions et les décisions des autres, notamment de celles et ceux qui exercent des responsabilités.

Ou même de celles et ceux qui agissent. En mode « ah bah y peux, lui » quand il s’agit de fustiger une femme ou un homme riche qui a fait un don qu’il ou elle n’était absolument pas obligé de faire.

Puisque tu dis que « c’est comme si, moi, je donnais 5 euros »… Bah donne-les et ferme-là. Ce qui est surtout frappant, dans la société civile comme dans l’entreprise, c’est ce qu’on va appeler la critique systématique de celles et ceux qui exercent des responsabilités.

Quand c’est madame ou monsieur Ducomptoir qui pérore un godet à la main, expliquant que le président ou je ne sais quel ministre « aurait mieux fait de » et « tu aurais vu ce que tu aurais vu s’il était à sa place »… Bah fort heureusement, tu ne l’as pas vu.

Mais quand on est en entreprise, quel que soit le point d’observation qui est le tien, que ce soit celui du terrain, celui de l’expert ou par exemple celui de la filiale, lorsque tu formules un jugement un peu hâtif de ce genre, sur quelqu’un dont la responsabilité échappe à ton point de vue… Ce n’est plus pareil.

Oh bien sûr cela peut animer les débats à la machine à café mais cela présente deux caractéristiques qu’on aimerait souligner parce qu’en avoir conscience peut être utile à toutes et tous, même à celles et ceux qui ne sont pas les champions du monde de l’avis sur étagère.

La première, c’est la méconnaissance de ce qu’est exercer une responsabilité. La seconde, c’est adopter soi-même le comportement qu’on reproche précisément à ceux qui les exercent.

Comme disait Louis Armstrong, le roi de la trompette, pas le cycliste, ni celui qui est dans la lune : « Le rang ne confère ni privilège, ni pouvoir. Il impose des responsabilités ». 

Exercer une responsabilité, être aux commandes, être en charge, c’est tout sauf une partie de fun.

C’est être confronté très régulièrement à des situations complexes, parfois inextricables, qui conduisent toujours à devoir faire des arbitrages, prendre des décisions, parfois des choix cornéliens, entre la peste et le choléra.

Et à déplaire presque systématiquement, parce que tout le monde trouvera toujours à redire. C’est la loi du genre. Or, celui ou celle qui exerce des responsabilités a trois paramètres qui échappent facilement à celui ou celle qui a la critique facile.

  1. Décider en connaissance de causes. C’est-à-dire au mieux en fonction de tous les paramètres en jeu. Or, celui qui critique la décision à vraisemblablement une vision réduite du paysage de contraintes qui entourent la décision à prendre.
  2. Ensuite, le décideur décide en fonction d’une mission qui lui a été confiée. C’est la responsabilité qu’on lui a déléguée. Il ne décide pas en fonction de l’idée que celui ou celle qui critique se fait de ce qui doit présider à la décision. Or qu’en sais-tu de la délégation qu’il a reçu ?
  3. Enfin, celui ou celle qui a la responsabilité de cette décision en assume les conséquences après. Pas toi. On connaît l’adage, les conseilleurs ne sont pas les payeurs.

Trois bonnes raisons de comprendre que celui qui commente, même s’il peut avoir un avis bien sûr, n’est pas à la place de celui ou celle qui est en charge. Et il y a certainement plein d’autres bonnes raisons encore.

En premier point donc, ce n’est pas la peine d’affirmer ce que tu ferais si tu étais à la place de… parce que tu n’es justement pas à sa place.

Le second point que l’on a envie de souligner ici s’apparente au dicton de la paille dans l’œil du voisin et la poutre dans le tien.

Combien de fois, en effet, celles et ceux qui formulent ce genre d’avis à l’emporte-pièce et à la louche se plaignent-ils précisément du caractère hors sol des décisions que prennent celles et ceux qui les dirigent ?

On leur reproche de ne pas connaître le terrain, de ne pas connaître le métier, de ne pas connaître la réalité des situations qu’on vit, bref hors sol quoi. Et cette critique-là, du moins sur le résultat, est parfois bien justifiée.

Même si elle ne l’est pas nécessairement sur l’intention, car, pour le coup, celle-ci tu ne la connais justement pas et peut-être ont-ils fait de leur mieux en la circonstance.

Mais si on leur reproche de décider sans connaître ce qu’on connaît mieux parce que notre position nous le permet, pourquoi diable irait-on faire exactement la même chose en se mettant à une place dont on ne sait le plus souvent pas grand-chose ?

Il faut avoir fendu beaucoup de bois avec un merlin et des coins pour parler du métier de bûcheron et s’octroyer le droit de dire comment il aurait fallu lire le fil du bois.

Peut-être faut-il alors avoir exercé des responsabilités pour comprendre l’humilité et le courage que demande toute décision difficile, qu’elle soit complexe à lire ou aux conséquences cornéliennes ?

Cette même humilité devrait imposer à chacun d’entre nous d’avoir des avis moins péremptoires sur les situations que nous ne comprenons que de manière parcellaire. André Malraux disait en ce sens que « juger, c’est évidemment ne pas comprendre, puisque, si l’on comprenait, on ne pourrait plus juger ».

En résumé, à toutes celles et ceux qui croient savoir avec certitude ce qu’il faudrait faire à la place des autres, ayez un avis si vous voulez c’est votre plus grand droit, mais n’oubliez jamais que vous n’êtes justement pas à leur place.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire