Ces gens qui nous en apprennent long
Dans cet épisode nous allons parler des personnes qui ne sont pas dans les feux des projecteurs et qui pourtant nous en apprennent long.
Moi, tu sais, ce n’est pas compliqué, quand j’ai besoin de comprendre une situation, bah j’appelle le patron. Lui, au moins, il sait. On est entre chefs donc on se comprend.
Oui chef ! On se comprend entre chefs, chef ! On parle d’égal à égal, ça rassure, on pense avoir les mêmes codes alors on croit qu’on se comprend plus vite.
Mais de toi à moi chef, quand tu cherches quelque chose ce n’est pas toujours dans les sentiers battus que tu le trouves. C’est pour cela que les chemins de traverses sont jolis. On y trouve de jolies fleurs que personne n’a encore piétinées.
Ces jolies fleurs, ces pépites, parfois ce sont simplement des gens. Des gens qui, pour une raison qui leur appartient, sont des mines d’information très souvent inexploitées.
Parce qu’on n’y prête généralement pas l’attention qu’ils méritent. Alors, ces gens qui nous en apprennent long, c’est quoi l’histoire ?
Puisqu’on dit qu’on ne raconte pas d’histoires et bien nous allons vous en conter une, à la manière de l’anecdote, celle de la petite histoire qui révèle la grande.
Pour préparer une intervention dans un événement interne d’une grande entreprise, je devais arriver la veille pour un diner avec le DRH, pour me débriefer sur les enjeux de la boîte, me donner son éclairage.
Alors tu as bien mangé et passé une bonne soirée, c’est ça ton histoire ? Tu ne vas pas nous faire le menu quand même.
Non en effet et oui j’ai passé une soirée riche d’enseignement avec un DRH aussi passionné que passionnant. Mais ce n’est pas ça l’anecdote. L’entreprise s’était organisée pour venir me chercher à l’aéroport. Une très délicate attention de leur part.
Maintenant tu vas nous défiler le paysage, les jolis villages que tu as traversés, les cerisiers en fleurs sur la route… Allez bonhomme va droit au but.
Une bonne heure avec un chauffeur de l’entreprise. Pas n’importe lequel. Des années de métier, notamment auprès de celui qui fut la figure tutélaire de la boite. Avec ses mots à lui, il m’en a tellement appris sur l’entreprise, sa culture, sur ce qui se barrait désormais en couille, comment certains se goinfraient sur la bête pendant qu’il était encore temps.
Un type qui aimait sa boîte, la connaissait bien et avait à cœur de transmettre ce qu’il estimait devoir transmettre. Une mine d’informations. Chauffeur ? Oui, et certainement un bon chauffeur, mais aussi un point d’observation privilégié. Un autre regard.
Ces gens que les grands consultants, dans leur splendeur, n’écoutent pas. Ils sont trop attachés à faire les entretiens qu’ils ont vendus – et tu ne vendras pas d’interviewer le chauffeur – et peut-être trop affairés, ou parfois simplement hautains, pour écouter avec une attention sincère quelqu’un qui n’est pas de leur rang, à leurs yeux.
Seulement voilà, ces gens-là comme dirait Jacques Brel, ils en savent parfois très long et donc t’en apprennent beaucoup si tu prends le temps de les écouter sincèrement. Ils ne sont pas vérité mais ils ont accès à une autre forme d’information que celle que tu cherches formellement.
Cela enrichit très significativement le regard que tu portes sur les choses. La voix du terrain, mais aussi parfois tout simplement celle du travail réel ou celle du comportement des gens qu’on ne t’avouera jamais dans les fauteuils d’un bureau à la moquette épaisse.
Certains ont parfois le réflexe ou l’habitude de rester tard le soir, en espérant croiser un chef à plumes, pour avoir leur petit temps d’antenne avec ceux et celles qui comptent, dans cette grande tradition française, complétement stupide, qu’il faudrait rester tard au bureau pour montrer qu’on est important.
Dire qu’il y en a qui le font encore… Mais on pourrait retourner le conseil. Viens tôt le matin, tu croiseras les personnes qui font le ménage. Paye-leur un café et écoute les. Tu verras, tu apprendras plein de choses. Et tu leur feras plaisir.
Tu n’apprendras peut-être rien de très important. Mais parfois ces petites choses d’apparence anodine viennent nourrir un faisceau d’informations plus formelles et t’aident à recomposer la grande image du puzzle. C’est le liant du plat.
C’est l’un des problèmes d’ailleurs avec un excès de travail à distance, où tu finis par ne plus croiser dans tes réunions en ligne que les personnes avec qui tu dois formellement travailler et qui forment in fine une sorte de bulle informationnelle.
Tu ne croises plus en effet le monsieur ou la dame de l’accueil avec qui tu prenais le temps d’échanger quelques mots sincères. Tu ne croises plus les personnes qui font le ménage. Tu ne croises plus que tes pairs.
Le temps passé avec des assistants ou des assistantes de direction par exemple, qui t’aident à dépatouiller des situations inextricables…
Ou dont l’expérience, à force d’avoir cherché et trouvé des trucs et astuces pour faire en sorte que ça marche, t’aide à comprendre les rouages d’une grosse machine qui te broierait s’ils n’étaient pas là pour te déniaiser.
Tiens, par exemple dans les institutions du genre universités, bien connaître les appariteurs et bénéficier de leur sympathie, c’est essentiel. Neuf fois sur dix ce sont eux qui te sortent d’une situation merdique.
Non seulement ils t’aident à être efficace mais, en plus, le point d’observation qui est le leur t’en apprend souvent beaucoup sur l’institution, ses modes de fonctionnement, ses errances, bref, leur expérience est riche d’enseignements.
On pourrait poursuivre la liste avec plein d’exemples. Certains y mettront à n’en pas douter des visages qui leur sont familiers. Du moins celles et ceux qui savent prêter une attention sincère aux gens que d’autres ne voient pas.
L’important c’est d’avoir une attention sincère. Pas pour obtenir une information particulière. Juste parce que c’est tout simplement humain d’échanger avec eux. Et parfois, comme un cadeau inattendu, tu en retires aussi une information riche d’enseignement, comme une cerise sur le gâteau.
Tout l’intérêt des chemins de traverses c’est qu’ils offrent un voyage en eux-mêmes avant d’être un raccourci pour arriver à destination. Ils ne livrent leur secret, une jolie petite fleur en chemin ou un paysage à couper le souffle, qu’à celles et ceux qui les empruntent pour les parcourir. Pas pour s’en servir.
En résumé, il faut prendre le temps de prêter une attention sincère aux gens qui occupent des fonctions qui ne sont a priori pas directement utiles à ce que l’on fait. Parce que c’est humain et parce que, parfois, ils peuvent nous en apprendre beaucoup.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire