C’est la faute au système
Dans cet épisode, nous allons vous inviter à critiquer la critique systématique du système, coupable facile qui arrange bien.
« Quand on voit ce qu’on voit, que l’on entend ce qu’on entend et que l’on sait ce que qu’on sait, on a raison de penser ce qu’on pense » disait Pierre Dac… Bah moi je pense que c’est la faute du système.
« Les temps sont durs, votez mou m.o.u » le « mouvement ondulatoire unifié »… disait-il aussi… Mais quand la pensée est molle, on vote dur ! Parce que ça rassure. A chaque chose, sa cause ; à chaque peine, son coupable.
Qu’on le pende haut et court, qu’on le couvre de goudron et de plumes, le coupable je le connais je te le redis c’est le système. C’est la faute au système. C’est quoi l’histoire ?
La critique est toujours facile dit-on, surtout celle de ce que l’on ne connaît pas. Mais comment en vouloir à celui qui s’indigne devant des faits lorsque ceux-ci ont des conséquences lourdes sur les personnes.
Oui on s’indigne et on cherche alors un coupable à ce qu’on juge comme inacceptable. Et c’est là où le système est un coupable facile tout trouvé.
Il ne fait aucun doute qu’un phénomène observé peut avoir des causes dites systémiques. Dit en d’autres termes, les causes profondes peuvent tout à fait être inhérentes au système incriminé.
Un ensemble de pratiques managériales par exemple, sources de mal-être au travail et qui sont les conséquences d’un modèle organisationnel. Le modèle organisationnel et ses dérivés managériales forment en effet un système.
Mais dans ce type de situation on les identifie, on les nomme et on décrit les mécanismes en jeu. On ne dit pas « c’est la faute au système ».
En fait, cela appelle deux remarques.
La première c’est que le système, ce truc que l’on pointe du doigt, c’est un ensemble abstrait. Parfois il n’existe pas en tant que tel. En d’autres termes ce que l’on nomme système n’est qu’un fantasme.
Et parfois il existe en tant que système, c’est-à-dire en tant qu’ensemble d’éléments plus ou moins coordonnés entre eux mais qui forment indéniablement un tout avec ses propres caractéristiques. Un système de management par exemple.
Mais dans tous les cas, on désigne un coupable anonyme et immatériel.
Tiens va taper sur la tête du système pour lui dire que tu es mécontent. J’ai tapé sur le Système d’Information, ça détend…
Ça arrange bien en fait … ça affranchit de désigner les personnes qui pensent la chose qu’on accuse, qui la pilote ou qui la mettent en œuvre. Le système est coupable, pas les gens qui sont dedans… Un peu fastoche.
La technique est vieille comme le monde. Rappelle-toi, le discours de la servitude volontaire de La Boétie… Il rappelle que, sans une forme de complicité des sujets, le système tyrannique ne perdurerait pas si facilement.
Alors, voilà on pointe du doigt un objet abstrait qui affranchit les personnes de leur responsabilité.
C’est la faute du Système d’information ? Ou plutôt celle des personnes qui en ont pensé l’architecture et piloté l’urbanisation, conduisant à ce que ledit système ait des propriétés spécifiques… dont on subit les conséquences quand elles sont inadaptées…
La seconde remarque relève de la confusion entre le système et ses dérives. On subit les conséquences des dérives de la chose et on accuse la chose, pas ses dérives. Comme si c’était la chose dans son essence qui était responsable donc mauvaise donc à bannir ou à changer.
Pourtant ce sont bien souvent les dérives qui sont en cause. Les excès et les exagérations, les limites du raisonnable dépassées… Bref, quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage…
C’est la faute au capitalisme ? ou aux dérives d’un capitalisme ultra-libéral sans véritable contrepouvoir ?
C’est la faute aux actionnaires ? ou à l’allégeance déséquilibrée qu’on prête à la satisfaction de leurs intérêts ?
C’est la faute des processus ? ou du fait qu’on les ait poussés à leur paroxysme au point de nous étouffer dans une bureaucratie taylorienne digne de Brazil ?
La liste pourrait être longue. Ce qui nous intéresse ici ce n’est pas la confusion en tant que telle, ni la naïveté ou le cynisme qui peuvent y présider parfois, mais le fait qu’elle affranchit implicitement celles et ceux qui sont à l’origine des dérives en question.
Le système, qu’il soit capitaliste, organisationnel, managérial, d’informations… que sais-je encore, a par nature des caractéristiques et des propriétés. Et ce sont bien des personnes, en toute conscience ou naïvement, qui utilisent ces caractéristiques, au point parfois de laisser des dérives fâcheuses s’installer puis s’amplifier.
Et après on en paye les pots cassés alors on gueule contre le système. Et hop on jette le bébé avec l’eau du bain plutôt que de chercher à comprendre d’où proviennent les dérives… On confond la chose et sa dénaturation.
En résumé, on accuse parfois un peu trop vite un prétendu système des maux qui nous affectent en occultant le fait que leur cause réelle réside dans sa dénaturation, son excès ou ses dérives… Et que ce sont bien les êtres humains qui en sont à l’origine…
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire