Ce qu’il faut ou ce qui plaît ?
Dans cet épisode nous allons nous demander ce qui vaut mieux : faire ce qu’il faut ou ce qui plaît.
« Je reste droit dans mes bottes et je ferai mon travail » disait l’ancien premier ministre Alain Juppé en 95… Sous-entendu, que cela plaise ou non, je fais ce qu’il faut faire…
Je n’étais pas née et pourtant j’ai déjà entendu cette phrase !
Oui, elle lui colle à la peau au pauvre Alain, on la ressort à chaque mouvement social contre une réforme des retraites… Alors qu’il l’avait prononcé dans un autre contexte… En l’occurrence une interview où il se défendait face à des accusations de favoritisme…
Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme, et surtout les mots, les petites phrases où chacun entend ce qu’il veut bien entendre.
Néanmoins, le symbole est resté… Rester droit dans ses bottes et faire son taf au risque de déplaire ou chercher à obtenir les faveurs de ses interlocuteurs au risque de tomber dans le clientélisme et la démagogie ? Alors, ce qu’il faut ou ce qui plaît ? C’est quoi l’histoire…
La réponse est simple… quand ce qui plaît est avec chance ce qu’il faut, bah ça tombe bien. J’adore mon nouveau ciré jaune et mes bottes ! Ca tombe bien, il pleut ! Tout va bien.
Sauf que dans la vie publique comme dans la vie professionnelle, et on ne s’intéressera qu’à cette dernière, c’est évidemment loin d’être toujours le cas, surtout lorsque tes responsabilités t’obligent à faire des choix…
Dont on sait qu’ils sont faits de termes aussi impopulaires les uns que les autres… Selon l’expression consacrée diriger c’est choisir entre la peste et le choléra… et quoi que tu fasses, ou que tu ne fasses rien d’ailleurs, il y en aura bien au moins une personne pour te le reprocher.
On comprend cette image de la déchirure entre deux maux aussi effrayants l’un que l’autre. Une alternative entre le pire et le pire… Le choix de Sophie. Mais la vie de l’entreprise n’est pas toujours une alternative de ce type…
Tu veux dire un dilemme cornélien, où l’alternative entre deux propositions insatisfaisantes te conduit irrémédiablement à la même issue ?
En fait, la question est bien là : Faire ce qu’il faut ou faire ce qui plait est-ce une alternative avec un vrai choix ? Ou un dilemme qui t’impose une seule et unique conclusion ? Et si oui laquelle ?
Tiraillé entre devoirs et désirs… Rodrigue tiraillé entre ce qu’il estime être son devoir filial et son amour pour sa maîtresse Chimène…
Ah oui Chimène Badi je connais… mais ton Rodrigue là c’est qui ?
Ouh là, laisse tomber… Rodrigue et Chimène tête de noeud, Le Cid Pierre Corneille ! Arrête de bailler.
« Il faut venger un père, et perdre une maîtresse. L’un m’anime le cœur, l’autre retient mon bras. Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme, Ou de vivre en infâme » Le dilemme. Tu y crois toi en 2023 dire du Corneille dans un podcast.
Tu as fait un pari ?
Non ! Mais c’est l’illustration même du dilemme : exercer des responsabilités, réaliser sa mission, c’est parfois y être confronté. Faire ce qu’il faut pour réussir la mission qui t’es confiée, ce que la situation exige etc. (bref ton devoir) mais au risque de déplaire (le sentiment, enfin surtout celui des autres) …
Avec le risque que l’excès de devoir conduise à ce que la corde casse… Où quand l’entêtement de celui qui croît avoir raison, même s’il a raison sur le fond d’ailleurs… conduit à la fracture donc à l’échec.
Ou le risque inverse, l’obsession de ne pas déplaire à tes interlocuteurs qui te fait perdre de vue ce que tu es supposé faire. Parfois même d’ailleurs tu es payé pour… et, ne t’en déplaise, il y a un lien de subordination dans ton contrat de travail.
Ce dilemme est présent dans de multiples situations de la vie professionnelle courante. On ne parle pas ici des grands choix qu’il y a à faire, genre « confiner ou pas ? », mais des situations courantes. Allez, on donne quelques exemples.
Le manager qui, au moment des augmentations ou des primes, achète la paix sociale en saupoudrant, c’est-à-dire en donnant un petit peu à tout le monde, envoyant parfois même des messages profondément contradictoires avec les principes de la politique de rémunération de l’entreprise qu’il représente.
La formation est un bon exemple aussi, la sacro-sainte satisfaction des apprenants, qui ne donnent des bonnes notes que lorsque cela leur plaît, donc quand ils n’ont pas d’efforts à faire, alors qu’apprendre cela demande parfois de passer par des étapes inconfortables.
Tiens prends les prévisions aussi, exercice qui tourne parfois à la mascarade… Tu mets à horizon lointain ce qu’ils veulent voir et quelque chose de plus réaliste à horizon un an pour pas rater ta prime sur objectif. Et hop, tous les ans le truc se décale.
Je ne peux pas m’empêcher de penser aux business plans des start up qui disent ce que les investisseurs ont envie d’entendre…
Le recrutement aussi entre d’un côté la tentation de survendre les qualités de l’entreprise pour attirer le chaland au risque de lui masquer une réalité qui le fera fuir aussi vite qu’il est arrivé…
Les projets avec les erreurs qu’on planque, le N-1 qui préfère mettre les miettes sous le tapis pour ne pas déplaire à son chef, les comportements déplacés que l’on ne recadre plus car on a trop peur de la vague… Tiens quand on a par exemple peur que celui ou celle que l’on a justement recadré ne chouigne auprès de partenaires sociaux qui font un peu trop la loi.
La tyrannie d’indicateurs déconnectés du réel qu’on préfère satisfaire, pour ne pas nuire à sa propre carrière ou celle de celui qui les utilise habilement pour faire la sienne… Le super grand programme informatique si loin du réel et que l’on ose à peine critiquer… Surtout vu les millions qu’on a mis dedans !
It’s awesome, it’s terrific… même quand c’est nul… On parle des évaluations, du développement personnel ou de la bienveillance qui chez certains et certaines tourne à la complaisance ?… L’enfer est pavé de bonnes intentions.
La vie professionnelle est ainsi jalonnée de situations dans laquelle le problème à résoudre exige de passer par des phases déplaisantes auprès des uns ou des autres. La fable de la cigale et de la fourmi n’est jamais très loin.
L’enjeu est alors dans la nuance. Saisir ou apprécier le degré d’acceptabilité du mal nécessaire pour s’assurer que la solution ne soit pas rejetée et que l’on se retrouve dans une situation inextricable.
Une question d’élasticité à apprécier pour que l’élastique ne te pète pas au nez en somme.
Puis expliquer, expliquer encore et encore plutôt que de passer en force et libérer des rages qui ont pris naissance ailleurs et que tu risques bien de cristalliser.
Il faut donc en effet connaître ces marges de manoeuvre-là, pour que cela ne casse pas, les marges de manoeuvre qui conditionnent ton efficacité. Mais il faut aussi bien connaître ton mandat c’est-à-dire tes propres marges de manoeuvre… Là encore une affaire de nuances…
D’autant qu’il ne faut jamais oublier que ce qui est trop tentant est rarement crédible. Or, celles et ceux à qui tu serais tenté de trop plaire ne sont pas pour autant dupes et repèrent parfois très vite ce qui est crédible de ce qui ne l’est pas.
Et il ne faut pas non plus croire que parce que tu CROIS que c’est ce qu’il faut faire, c’est forcément ce qu’il FAUT faire. Si ça déplait autant, peut-être faut-il justement requestionner ce que tu crois plutôt que de vouloir absolument passer en force. Parce que parfois quand ça ne plait pas, c’est qu’il ne faut pas.
Donc on n’oppose pas les deux, on apprécie la situation, on ajuste le tir dans le sens de ce qu’il faut et on explique sans relâche.
En résumé, entre faire ce qu’il faut au risque de déplaire ou laisser trop de place à la démagogie il convient de bien connaître ses propres marges de manoeuvre, d’apprécier l’acceptabilité de ce qu’il faut pour que cela ne soit pas irrémédiablement rejeté et surtout d’expliquer sans relâche.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire