Ah bah c’est évident ! … Et ben non justement !

Dans cet épisode, nous allons nous interroger sur ce que révèle, ou pas, cette phrase « ah bah c’est évident » que certains nous rétorquent après leur avoir expliqué quelque chose.

Dans cet épisode, nous allons nous interroger sur ce que révèle, ou pas, cette phrase « ah bah c’est évident » que certains nous rétorquent après leur avoir expliqué quelque chose.

Ah bah non justement ducon ce n’était pas si évident que cela … du moins pour toi ! En vérité, c’est même devenu une évidence à tes yeux, précisément parce qu’on te l’a expliqué de façon limpide.

Parce que si c’était si évident que cela, si cela coulait tant de source pour toi et bien tu aurais exprimé cette évidence bien avant… au lieu de te perdre dans les méandres des entendements communs et des autres évidences, celles que tu égrènes comme on égrène un chapelet, en croyant plus qu’en faisant l’effort d’un raisonnement !

Diable, comme disait Bernard Werber dans la Révolution des fourmis « rien n’est évident ». Evidemment ! Alors, c’est si évident que cela ? C’est quoi l’histoire.

Il faut se rendre à l’évidence, « se rendre » comme le signe d’une défaite. C’est terrible comme expression. Comme si la confrontation à la vérité était une défaite plutôt qu’une victoire. L’évidence, c’est « ce qui s’impose à l’esprit avec une telle force qu’on n’a besoin d’aucune autre preuve pour en connaître la vérité » nous dit Le Robert. Synonyme : certitude.

Et oui l’évidence, videre en latin, « voir » . C’est pour ça que ça crève les yeux ton truc ! L’évidence, c’est en quelque sorte un marqueur de vérité. En anglais, « evidence » c’est une preuve.

Ce dont on parle ici, c’est donc ce qui saute aux yeux et qu’on prend pour vérité. C’est quelque chose qu’on te donne – c’est-à-dire que tu n’es pas allé chercher par toi-même – et que tu reçois non seulement pour vrai mais aussi que tu considères implicitement comme existant avant même qu’on ne te la révèle.

D’où la fameuse phrase « ah bah c’est évident » comme si celui qui a fait l’effort de pédagogie n’était que le messager d’une vérité préexistante que tu connaissais déjà.

Dans ses études et commentaires sur les méditations cartésiennes de Husserl, le philosophe Jean-François Lavigne[1] écrit que l’évidence est « un mode de conscience spécifique où la subjectivité expérimente directement sous la forme d’une synthèse de remplissement intuitif l’objet lui-même ».

En d’autres termes, l’évidence est une synthèse. Or, c’est là tout le sujet. Comment est-on arrivé à cette synthèse ? On en revient au caractère potentiellement pernicieux de la phrase « ah bah c’est évident ».

La synthèse est évidente précisément parce que le cheminement, le raisonnement qui t’y a conduit et qui t’a été exposé te l’a démontré de façon limpide. Ainsi, au mieux, tu es passé d’une intuition que tu ne formalisais pas clairement à une compréhension de ce que tu pensais. On t’a donc aidé à passer de l’affirmation à la démonstration…

Mais au pire, peut-être que cela t’a révélé à toi-même une synthèse qui n’était peut-être précisément pas celle que tu faisais avant.

C’est ce qu’évoque le philosophe Robert Pirsig dans son « Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes » quand il écrit qu’il « arrive qu’une vérité vous échappe, parce qu’elle est infime. Il arrive aussi que vous ne la voyiez pas à cause de son évidence et de son énormité. »

Parce qu’au fond, aussi, peut-être que certains sont vexés de faire face à une autre évidence : face à ce qu’ils découvrent comme évident, ils prennent conscience qu’ils s’emberlificotaient dans des représentations erronées.

Parfois même se rendent-ils alors compte que le concept à la mode dont ils s’enorgueillissaient dans les diners en ville était aussi fumeux que vide ou tout simplement qu’ils étaient peut-être un peu trop influencés par le discours des marchands et bonimenteurs de toute sorte.

Alors, comme souvent dans ce cas, on préfère casser le thermomètre, et on dit « ah bah c’est évident ». Sous-entendu, je le savais, tu ne m’as rien apporté, réduisant à néant toute l’intelligence de la pédagogie.

La synthèse diffère en effet du résumé. Le résumé c’est condenser un sujet. Réduire un long texte à ce qu’il a d’important par exemple. Comme en fin de ces podcasts par exemple, lorsque nous terminons par … en résumé… c’est l’essentiel de ce qui est dit dans le podcast.

En gros sans tes vannes à la con et tes détours inutiles…

En résumé, oui.

Mais la synthèse, c’est précisément le cheminement qui t’y a mené. Une synthèse entre différents thèmes, sujets et concepts, que l’on a mis en rapport les uns avec les autres, en appréciant chacun d’entre eux à sa juste valeur, pour démontrer une idée clé. Dont on donne le résumé à la fin.

Comme disait André Gernez[2] : « 95% des choses que je vous déclare sont des évidences. L’étonnant et l’intéressant est seulement de rapprocher des évidences de nature différente ».

Et ce sont bien ces rapprochements que tout le monde ne fait pas.

En résumé, lorsque la conclusion d’une démonstration semble évidente, c’est précisément parce que l’effort de synthèse et de pédagogie qui y a mené était pertinent et limpide. Alors on ne rétorque pas « ah bah c’est évident » mais on préfère dire aimablement « maintenant que tu le dis, c’est évident ».

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire

[1] https://www.amazon.fr/s?k=9782711621422

Version en ligne https://books.google.fr/books?id=pl6cCgG9cz4C&printsec=frontcover&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false

[2] Neo-postulats biologiques et pathogeniques (essai), 1968 – André Gernez