Pourquoi promouvoir la diversité?

Article co-écrit par Mahé Bossu et Patrick Storhaye (Juin 2020).

La nécessité de promouvoir la diversité en entreprise a ceci d’étonnant qu’elle apparaît comme une évidence aux yeux de certain·es là où d’autres n’y voient qu’une contrainte légale supplémentaire. L’entreprise contemporaine a pourtant de très bonnes raisons de s’y atteler bien au-delà des seules obligations de conformité auxquelles elle devrait se «soumettre».

Dans cette perspective, l’analyse des travaux pro-diversité nous livre un premier prisme de lecture. Deux types d’arguments en faveur de la promotion de la diversité (Bruna, 2011) se dégagent en effet :
  • d’une part, les arguments exogènes, comme ceux qui relèvent de l’obligation légale ou de l’exigence morale et,
  • d’autre part, les arguments endogènes, essentiellement liés au développement ou à l’efficience de l’entreprise comme sa performance ou son potentiel d’innovation.

Une dimension morale et un risque juridique

La première dimension est d’ordre moral. L’entreprise aurait ainsi un devoir « d’inclusion sociale » (Sabeg & Méhaignerie, 2004 ; Bébéar, 2004 ; Bruna, 2011) résultant de ce principe moral. Toutefois, en renvoyant à ce qui est bien ou mal – et donc à ce qui est acceptable ou non comme comportements de la part d’une entreprise – la dimension morale a deux particularités qu’il est difficile d’ignorer dans la pratique. La première relève de la capacité à poser une définition juste, claire, partagée et comprise de la diversité, faute de quoi la traduction est très difficile dans les faits. La seconde relève de l’acceptation de l’universalité du principe moral, tant la « morale des uns » s’opposent bien souvent à la « morale des autres ». Il n’est pas dans notre propos ici de débattre de l’existence ou non d’une morale universelle mais il est en revanche question de constater que de le statuer ne suffit pas à ce que cela devienne réalité dans les faits. Si nous pensons personnellement que cette dimension morale devrait suffire et être au fond la seule, force est de constater que ce principe n’est pas partagé de toutes et tous dans la conduite des affaires, loin s’en faut.

La dimension légale vient alors assoir cet impératif moral. Le cadre juridique antidiscriminatoire a en ce sens été renforcé dans les années 2000. Ce cadre fait alors peser un risque juridique sur les entreprises, ce qui les a conduites à s’intéresser de fait à la question de la diversité (Bereni, 2011). De nombreuses lois – en France comme à l’international – existent ainsi pour lutter contre les discriminations et l’état français continue de légiférer sur le sujet pour inciter ou contraindre les entreprises à favoriser la diversité en leur sein (pour en savoir plus sur ce sujet : Diversité : Que dit la loi ?).

Cependant, si toute forme de discrimination est moralement révoltante à nos yeux et contraire aux devoirs de l’entreprise sur le plan juridique, l’observation des pratiques réelles montrent que ces arguments sont insuffisants pour convaincre. C’est en ce sens que Claude Bébéar affirmait dans son rapport au premier ministre Jean-Pierre Raffarin que « lutter contre les discriminations en entreprise n’est pas affaire de compassion mais plutôt d’intérêt bien compris » (Bébéar, 2004). Injonctions morales et obligations légales sont en effet insuffisantes pour réussir ce qui relève d’une transformation culturelle profonde chez certain·es, tant le sujet renvoie à des thèmes complexes comme ceux de l’identité, de sa construction et du rapport à l’Autre (Chanlat et al., 2013)

Quel lien entre diversité et performance ?

Si les arguments exogènes ne suffisent pas à convaincre, il faut alors convoquer les arguments endogènes comme y invite Claude Bébéar. En l’occurrence, l’argument qui vient spontanément à l’esprit est évidemment celui de la « performance » de l’entreprise. Or, affirmer en l’état que la diversité est source de performance est hasardeux pour de nombreuses raisons, quand bien même en soyons-nous intimement convaincu·es.

De nombreux travaux tendent en effet à montrer que « tel ou tel aspect » de la diversité contribue à « tel ou tel aspect » de la performance, soulignant ainsi la difficulté à poser correctement les deux termes et globalement le lien de causalité qui les unit. Ce caractère parcellaire des démonstrations montre en outre qu’aucun consensus ne se dégage vraiment des études quant à l’existence de ce lien, quand bien même la diversité puisse-t-elle être considérée comme un facteur potentiel et conditionnel de l’augmentation de la performance (Bruna, Chauvet, 2013).

Dans cette optique, on peut notamment ici citer le fait que la diversité est un atout :

  • Pour s’adapter à une clientèle de plus en plus diverse : L’article de Gilles Verrier publié en 2014 sur RH Info recense des études tendant à démontrer (et chiffrer) le lien entre diversité / performance et cite notamment une étude du BCG démontrant l’importance de développer la diversité des équipes marketing pour répondre au mieux à la diversification de la clientèle.
  • Pour attirer les meilleurs profils : en réponse à la pénurie de talents que connaissent les entreprises de nombreux secteurs, s’ouvrir à des profils différents et élargir leurs recherches est essentiel comme le rappelle là encore Claude Bébéar lorsqu’il affirme que « ce serait contre-productif de nous priver des réserves considérables de dynamisme, de compétences et de créativité qui existent chez nous, sous prétexte que ces personnes seraient différentes » (Bébéar, 2004).
  • Pour favoriser la créativité : la diversité, en cela qu’elle est source de différences sur le plan des expériences vécues, des savoirs acquis, peut alors se révéler source d’innovation et de créativité (Frimousse & Peretti, 2009)
  • Pour légitimer les actions de l’entreprise auprès de ses parties prenantes : Diversifier les équipes est en ce sens un moyen d’améliorer sa réputation auprès des différentes parties prenantes (Barth & Falcoz, 2007) et ainsi gagner davantage leur confiance conduisant alors à rendre l’entreprise plus attractive. (Bruna & Chauvet, 2013)

Pour autant, le lien entre le concept de diversité (Quelle ampleur de différences ? Quelle intensité ? Sur quels plans ? etc.) et celui de performance pour l’entreprise (De quelle performance s’agit-il ? Pour qui ? Sur quel horizon temporel ?) n’est pas formellement établi, même s’il nous semble logique.

La diversité en tant qu’état ne suffit pas à « faire performance »

Si le lien diversité – performance n’est pas formellement établi, deux remarques nous semblent toutefois devoir être formulées :

  • La première consiste à considérer la diversité « qu’il faut promouvoir » comme celle qui fait la richesse humaine dans toutes ses formes et non des « catégories » qui tendent à la réduire à une classification arbitraire qui gomme l’infinité de dimensions qui caractérise sa richesse. Il est alors ici question de largeur et de profondeur des différences et non de cases. Cela renvoie à une conception de l’identité comme un Tout fait d’une infinie variété, à l’image de l’Arlequin de Michel Serres dont le manteau multicolore est fait de multiples peaux : la diversité comme une infinité de fils qui constitue le tissu.
  • La seconde s’inscrit dans la continuité de la réflexion de Michel Serres dans le « Tiers-Instruit » lorsqu’il affirme que «tout apprentissage consiste en un métissage ». En cela, le degré de diversité est un état, un potentiel qui doit être révélé : « ne défendez donc pas, bec et ongles, l’une de vos appartenances, multipliez-les, au contraire, pour enrichir votre souplesse. » En d’autres termes, l’état de diversité d’une entité et l’exposition aux différences qu’elle favorise, n’est source de richesse qu’à la condition d’en tirer quelque chose, à l’image des fils qu’il faut tisser pour que le tissu se forme. Une image qui renvoie au besoin d’adaptation constante de l’entreprise contemporaine qui ne saurait être dissocié de sa capacité d’apprentissage permanent.

La diversité est ici « un facteur de performance plutôt qu’une source d’hétérogénéité et de confusion » (Féron, 2008). « Promouvoir la diversité » ne saurait donc se résumer à lutter contre les discriminations (lutte pourtant essentielle) ou à faciliter le recrutement de profils diverses, mais également à favoriser le brassage des talents, le « travail ensemble », la coopération, et ce dans un intérêt, celui du bien commun de l’entreprise. La différence est une richesse, mais elle peut également conduire à de fortes divergences si elle n’est pas reconnue et gérée. La nécessaire combinaison de l’état (la diversité) à sa mise en musique (le métissage) invite donc au développement d’une politique de diversité globale et transversale à la fois intégrée et collectivement portée pour que cette diversité induise une forme de performance durable. (Özbilgin & Tatli, 2008). En d’autres termes, les notes, si jolies et diverses soient-elles, ne font pas musique sans partition.

Il y a donc raison à « promouvoir la diversité » pour favoriser l’état – ou le potentiel – et à « manager la diversité » pour enclencher une dynamique féconde – ou la fertilisation – comme le rappelle Maria Giuseppina Bruna et Mathieu Chauvet : « ce n’est pas la diversité de manière intrinsèque qui est source de performance mais bien son management. ». L’entreprise contemporaine en quête affirmée « d’agilité » pour répondre à un environnement toujours plus contraignant car plus incertain a donc … certainement de bonnes raisons de promouvoir la diversité et de fertiliser ce terreau. Or, « si on peut faire l’hypothèse que la vision de la richesse de l’individu entre en résonnance avec un projet managérial où le traitement des personnes est de plus en plus individualisé, le management de la diversité relève encore d’un changement profond et structurant des politiques, des méthodes et des comportements de personnes » (Barth, Falcoz, 2009), on mesure là tout le chemin qui reste encore à parcourir dans de nombreuses situations.

Bibliographie

  • Barth & Falcoz, (2007). Le management de la diversité. Enjeux, fondements et pratiques, Paris
  • Barth & Falcoz (2009) Quels enseignements des thématiques Egalité, discrimination et diversité à dispenser aux futurs managers en France ?
  • Bébéar (2004), Des entreprises aux couleurs de la France – Minorités visibles : relever le défi de l’accès à l’emploi et de l’intégration dans les entreprises, La Documentation Française, Paris.
  • Bereni (2011). Le discours de la diversité en entreprise : genèse et appropriations. Sociologies pratiques,
  • Bruna (2011), Diversité dans l’entreprise : d’impératif éthique à levier de créativité
  • Bruna, Chauvet (2013), La diversité, un levier de performance : plaidoyer pour un management innovateur et créatif
  • Chanlat, Dameron, Dupuis, De Freitas, Ozbilgin (2013), Management et Diversité : lignes de tension et perspectives, Management International
  • Féron (2008). Le management des collectifs de travail en GRH : quels apports pour la gestion de la diversité par les managers opérationnels ? Management & Avenir,
  • Frimousse & Peretti (2009). Introduction au cahier La diversité : premier bilan. Management & Avenir
Mahé Bossu
consultante RH & Transformation à Sia Partners | bossu.mahe@gmail.com | Site Web | Plus de publications

Mahé Bossu est consultante RH & Transformation chez Sia Partners, cabinet de conseil en management. Diplômée de Toulouse Business School, elle a effectué son master RH en alternance en tant que chargée de recrutement et de projets RH chez Wavestone.

Patrick Storhaye
Président à Flexity | patrick@storhaye.com | Site Web | Plus de publications

Patrick Storhaye est Président de Flexity, société de conseil en RH et digital, et Professeur Associé au CNAM, fondateur de RH info. Il a mené une carrière dans le management des RH, comme DRH dans de grandes entreprises et entrepreneur. Il intervient dans de nombreuses conférences et dans les milieux académiques, notamment à HEC Executive Education, Toulouse Business School, Audencia, Université d’Angers, Université de Lille 1.