Processus d’intégration et non-dits
Dans cet épisode nous allons nous intéresser aux non-dits dans un processus d’intégration.
Nous, on est hyper welcoming. On a vraiment bien pensé toute l’expérience collaborateur avec un super on boarding. Le 1er touch point c’est notre app qui te contacte avant de venir et te diffuse tout ce que tu dois savoir.
Cela ne fait aucun doute que de penser à ce qui se passe avant, tout le processus d’accueil et d’intégration d’un nouveau salarié, c’est important. On sait à quel point les premières impressions sont si difficiles à défaire, que ce soient les bonnes ou pas.
On fait donc un processus, avec des étapes pensées et formalisées. Jusqu’au petit cadeau de bienvenue pour ton premier jour sur ton bureau. Et c’est très bien.
Seulement voilà, que fait-on du reste, pourtant si important ? Alors, processus d’intégration et non-dits, c’est quoi l’histoire ?
Combien de fois dit-on qu’une intégration réussie c’est lorsque la « mayonnaise prend ». Une expression imagée qui a certainement pour objet de traduire toute la complexité de l’alchimie de l’histoire.
Or, on le sait, cette alchimie – si tant est que cela en soit une – ne peut être réduite à une série d’étapes formalisées, quand bien même veillent-elles à prendre en compte une certaine forme d’acculturation.
Bien sûr, on t’aura donné avant les informations utiles et importantes, en l’occurrence ce que l’entreprise considère comme ce que tu dois savoir en arrivant. On pourrait déjà dire beaucoup de choses sur ce point.
La liste à la Prévert où coexistent pêlemêle le minimum que tu dois savoir sur le projet de l’entreprise et ses valeurs et où est la cantoche, après tout c’est normal et mieux vaut le faire que l’inverse.
Mais on n’y met que ce que l’on sait ou peut formaliser. Or, l’alchimie de la mayonnaise ne se résume pas à la liste des ingrédients et à un mode opératoire. Il y a tout ce qui relève du tacite et de l’informel.
La vie de l’entreprise, comme celle d’une équipe, est aussi faite de tous ces paramètres qui font une identité, une culture, avec des habitudes, des usages, ce que l’on peut se permettre et ce qu’il vaut mieux éviter, les croyances dominantes, celles qui sont critiquées, ou pas, les inévitables jeux de pouvoir et les agendas cachés…
Tout ce qui est en réalité tacite, difficilement formalisable, parfois délicat à dire, et qui fait la vie d’un groupe, qui, pourtant, joue un rôle essentiel.
On pourrait avoir le raisonnement suivant : se dire qu’après tout, puisque c’est difficile à formaliser ou délicat à avouer, ne perdons pas de temps. On verra bien qui s’adaptera de lui-même ou pas. C’est en quelque sorte un signe d’intelligence. La période d’essai sert aussi à cela.
Mais on peut aussi essayer de réunir les conditions pour que cela se passe du mieux possible. Le risque du choix ayant été déjà pris, autant que cela marche.
C’est là où cela devient compliqué pour de multiples raisons.
L’une des premières raisons vient de nos propres biais. Le manager qui accueille, parfois la DRH elle-même ou l’entreprise, avec une culture partagée forte, ne voit pas que certains de ses traits culturels ne sont pas une évidence pour le nouveau salarié.
On agit le plus souvent comme si c’était une norme de soi. C’est, par exemple, une erreur qu’on fait souvent dans une jeune pousse en croissance. Les fondateurs oublient parfois qu’à partir d’un certain moment les gens qu’ils embauchent ne sont pas le noyau d’aventuriers du départ.
Ce sont en effet juste des gens qui rejoignent une entreprise pas si différente des autres que cela, du moins à leurs yeux. C’est donc normal qu’ils n’aient pas le mindset des pionniers. Rien de ce qui le caractérise aux yeux des dirigeants n’est alors une évidence aux yeux de ceux qui arrivent !
C’est tout le paradoxe de la culture. Entre l’effet normalisant que toute culture forte peut provoquer et qui peut constituer une force et la nécessité de l’enrichir de différences pour la faire grandir. Mais c’est un autre sujet.
Une deuxième raison vient tout simplement de ce que l’on ne peut raisonnablement pas dire. Non pas que cela échappe à notre conscience, on le sait parfois même trop bien, mais on ne peut pas vraiment le dire. Alors on met son mouchoir dessus.
Les pratiques que l’on qualifiera de perfectibles par exemple pour employer un terme édulcoré. Tiens, je pense à certains cabinets de conseil qui se sentent parfois au-dessus des règles éthiques parce que le business passe avant tout.
Ou lorsqu’une pratique collective est tellement ancrée dans les mœurs que plus personne n’en est conscient. Mais ses effets sont bien réels car leurs causes sont systémiques, comme, par exemple, une pression telle sur les résultats qu’elle conduit certains à ne pas trouver d’autres échappatoires que de tricher.
À une échelle plus petite aussi, tout le monde sait dans le service que le directeur, Jacques, il est plus que borderline et que ses remarques sexistes à longueur de journée, on n’en peut plus. Des exemples de cet acabit, chacune et chacun d’entre vous en a à la pelle.
Mais entre deux extrêmes caricaturales, collective et individuelle, il y a le tout-venant, à savoir toutes ces normes sociales intériorisées, dont on ne dit pas qu’il faille systématiquement s’y conformer, mais qu’il faut connaître.
S’intégrer dans un univers qui n’est pas le sien, quel qu’il soit, commence par là. Non pas se sentir obligé de se conformer à des normes sociales en effet mais connaître leur existence et leur importance pour pouvoir se positionner en connaissance de cause.
Tout ce qui fait une culture entre ici en ligne de compte et ne pas y préparer celles et ceux qu’on aimerait voir rester, ce n’est pas mettre toutes les chances de son côté, ni de celui de la personne concernée.
Dieu sait que cela ne se met pas uniquement dans de simples fiches pratiques ou un bréviaire des valeurs du leadership model de la boîte mais bien d’un ensemble de fils qu’il faudra apprendre à tisser.
Or, on sait ce qu’est la manière la plus adaptée de transmettre des savoirs tacites, les travaux sur la socialisation de Nonaka et Takeuchi (Nonaka et Takeuchi, 1995) ont notamment éclairé le sujet lors des heures de gloire du management des connaissances dans les années 90.
Socialisation donc mentorat ou parrainage, par exemple, pour guider les nouveaux dans leurs premiers pas. Mais cela pose deux questions.
La culture transmise par le parrain ou le mentor passe inévitablement par son propre prisme et les biais peuvent être parfois très importants et produire l’effet inverse.
Par ailleurs, si cela n’est pas valorisé en tant que tel, il y a fort à parier qu’on n’y consacre ni le temps, ni l’énergie que cela demande réellement.
En toute hypothèse, cette démarche d’acculturation, c’est-à-dire un processus par lequel on transmet tout ou partie d’une culture, constitue une dimension importante du processus d’accueil dans son ensemble que la fonction RH ne peut pas ignorer.
En résumé, accueillir un nouveau salarié ne se résume pas à un processus formel mais doit aussi comporter une dimension d’acculturation pour transmettre les traits essentiels de la culture d’entreprise et des usages locaux.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.