Quelle stratégie face au forcing ?

Dans cet épisode, nous allons nous demander quelle posture et stratégie adopter face à quelqu’un qui cherche à passer en force.

On les voit ces décideurs aux bretelles qui claquent précisément pour faire claquer les talons de celles et ceux à qui ils s’adressent… Les rois du forcing.

Leur technique de négociation ? Michel Audiard la résumait bien : « quand les types de 130 kilos disent certaines choses, les types de 60 kilos les écoutent ».

On aime bien les mots d’Audiard, mais en l’occurrence beaucoup moins la technique du forcing.

L’autre m’importe peu, rien à foutre de lui et qu’à cela ne tienne, je passe en force. Faut-il être rustre pour se contenter de gagner avec si peu de manière… Mais c’est une autre histoire.

Certains, peu soucieux de la manière et encore moins des autres, en font une marque de fabrique. Avec extravagance. C’est drôle, là, on pense toutes et tous à la même personne en ce moment, en 2025. Ou pas. Bref, on verra plus tard.

La question que cela pose donc est de savoir quelle posture adopter face à ce genre de matador ? Alors, quelle stratégie face au forcing ? C’est quoi l’histoire ?

Commençons par décrire ce dont il s’agit. Dean Pruitt et Peter Carnevale dans les années 90 avaient proposé un modèle d’explication des comportements dans les situations de conflit ou de négociation, le modèle dual concern (Pruit & Carnevale, 1993).

En gros ce sont 2 axes, donc, comme souvent, 4 cases, toi et les autres, selon à quel point tu te préoccupes de l’un et de l’autre.

À quel point je cherche à satisfaire mon intérêt, à quel point je me soucie de ceux des autres. On l’a compris, la stratégie du forcing c’est simple : tout pour ma gueule. La case est facile à trouver, je cherche à imposer mon intérêt sans discussion, sans concession possible.

C’est donc comme ça et pas autrement ! Jusque-là rien de bien nouveau sous le soleil. Deux remarques néanmoins nous paraissent intéressantes à faire.

La première c’est l’effet de miroir. C’est assez simple à comprendre. J’arrive en négociation avec une posture respectueuse des autres, mais si tu la joues comme ça, je vais bouger la mienne. Je serai moins disposé à tenir compte de toi et je chercherai à m’imposer plus que ce que j’aurais fait.

En substance, effet miroir donc durcissement des positions donc escalade. Dit autrement, celui qui cherche à passer en force crée de fait les conditions de l’escalade, ce qui a été démontré (Pruitt, D.G. & Rubin, J.Z ; 1986).

Une autre manière de le dire, c’est qu’il y a des postures qui favorisent la construction d’un dialogue avant le conflit et d’autres, l’inverse.

La seconde remarque qu’on voulait formuler, avant de réfléchir aux postures à adopter, est la suivante. Cette attitude de forcing en mode « je tire d’abord, je négocie après », façon Raoul dans « les tontons flingueurs », pose une question simple. Est-ce que celui qui l’adopte a les moyens de l’adopter ?

Dit autrement, dans la pratique, le forcing c’est la loi du plus fort. Donc d’appréciation et/ou de connaissance plus ou moins certaine de la réalité très pragmatique des rapports de force.

Entre les présomptueux qui moulinent de l’air dans le style « tu vas voir ce que tu vas voir » et la partie adverse qui ne fanfaronne pas nécessairement mais qui est sûre de sa propre force, l’issue n’est pas toujours gagnée d’avance.

Comme toujours, sur ce genre de sujet, la connaissance préalable de tes interlocuteurs et de la réalité des situations constitue le premier atout. La première réponse est donc simple : connais le mieux possible tes ennemis, connais tes forces et tes limites, ton mandat et tes marges de manœuvre.

Seulement voilà, il arrive que la réalité des rapports de force ne soit pas en ta faveur. Se pose donc la question de la posture à adopter. Puisque tu ne peux pas opposer une force supérieure à celui ou celle qui passe en force, que te reste-t-il ?

Le ramener à la table des négociations comme on dit poliment ? Première stratégie, la contrainte donc un allié plus fort que la partie adverse qui vient mettre un coup sur sa truffe pour l’obliger à ce que l’intérêt du plus faible ne soit pas totalement ignoré.

Mais seul, on n’a pas ce moyen. Il ne nous reste donc pas mille options. Bien sûr, ta propre force, c’est la conscience de l’effort que cela demande de ne pas céder impulsivement à l’effet miroir. L’escalade n’est pas ton intérêt.

C’est bien pour cela que tu dois te maîtriser émotionnellement, connaître tes limites, tes intérêts, ce que tu peux ou ne peux vraiment pas lâcher etc. Mais cela suffit juste à garder la tête froide et à fourbir tes armes. Nécessaire mais pas suffisant.

Il faut ensuite sortir de la logique de soumission sans l’entretenir, en accusant l’autre par exemple. Cela impose le recours à un langage neutre, pas tourné vers la personne, en utilisant de la reformulation habilement ciblée, etc.

C’est bien d’être adepte de la communication non violente, encore faut-il faire bouger la posture de l’autre. Peut-être en tentant de passer justement de la posture, du rapport de force entre personnes, de la position aux intérêts réels.

Quitte à détourner l’attention comme on agiterait un chiffon rouge devant un taureau pour qu’il parte à gauche au lieu de m’empaler ? Pourquoi pas. Mais c’est surtout revenir aux véritables intérêts sous-jacents de l’autre.

L’arme qui est la tienne c’est précisément que toi tu tiens réellement compte de l’intérêt de l’autre donc y compris de son agenda caché si tu peux réussir à en faire exprimer une partie.

Si tout cela ne marche pas, que cela ne permet pas d’infléchir la position de l’autre, alors il ne reste plus qu’à réaffirmer le cadre, c’est-à-dire ce qu’on accepte de ce qu’on n’accepte pas. Et de quitter la table des négociations si ce cadre exprimé n’est pas respecté.

La difficulté provient enfin du fait que, le plus souvent, celui ou celle qui est adepte du forcing, peut aussi user et abuser d’autres techniques manipulatoires. Par exemple l’imprévisibilité, celle du tyran. Tu sais quand tu ne sais pas si tu vas avoir une récompense ou au contraire t’en prendre une, de façon aléatoire ?

Devant de telles combinaisons, genre le combo du tyran imprévisible qui abuse du rapport de force objectivement en sa faveur, il n’y a pas beaucoup d’options concrètes.

Une seule peut-être. Celle des femmes et des hommes libres qui ne négocient pas certains principes. Un cadre ou un cap, mettez les mots que vous voulez là-dessus, dont vous ne dérogerez pas.

Mais surtout face à la domination du tyran imprévisible, on ne peut opposer que l’imprévisibilité de la liberté. L’acte de création rebelle que Gilles Deleuze évoque face à la dictature de l’information (Deleuze G., 1987).

Alors, en ces moments-là, pour en avoir le courage, pour renforcer nos cœurs, il faut avoir en tête l’image des écossais en kilt faisant face à l’adversité en chantant « flowers of Scotland ».

En résumé, à la stratégie du rapport de force, on peut répondre par la force si l’on est sûr d’être plus fort. Dans le cas contraire, on doit adopter une posture constante tournée vers la compréhension des vrais intérêts sous-jacents à satisfaire pour faire revenir à la table d’une vraie négociation. In fine, il ne reste que la liberté c’est-à-dire la renverser.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.