Rémunération et comparaison

Dans cet épisode nous allons explorer la notion de comparaison en matière de rémunération et identifier un de ses paradoxes.

L’entreprise est parfois un vaudeville, où l’humain dans toute son hommerie, rythme la vie des bureaux et des usines de ses grandeurs et de ses humeurs, de ses mesquineries et de ses traits de génie.

On y expérimente les trahisons des comités de direction et les solidarités d’usine, autant que l’inverse et c’est humain.

L’entreprise, c’est un peu comme les cours d’école où il y en a toujours un, ou une, qui veut en avoir une plus grosse que l’autre, comme on aime ce qui brille. Une plus grosse marque, un territoire plus grand, être plus populaire.

Puis, comme des joueurs de football qui confrontent la taille de leurs bagnoles ou de leurs montres de luxe après les confrontations sportives, on continue à comparer en entreprise.

La taille de son bureau, l’épaisseur de sa moquette, sa voiture de fonction, le nombre de barrettes, … C’est bêtement humain, si j’ose dire. Évidemment, le premier sujet c’est le pognon ! Alors, rémunération et comparaison, c’est quoi l’histoire ?

On connaît l’adage, « comparaison n’est pas raison ». En vérité, c’est l’histoire d’une incompréhension mutuelle, comme un vieux couple, qui, à force d’être ensemble, ne se parle plus et se connaît moins bien que le voisin.

Un paradoxe, en quelque sorte, entre d’un côté les méthodes de gestion qu’utilise l’entreprise et la psychologie des collaborateurs de l’autre. D’un côté, la raison, de l’autre, la comparaison.

Tout le hiatus vient du fait que le registre de l’un n’est pas celui de l’autre mais qu’il faudrait bien qu’ils se rencontrent d’une manière ou d’une autre, car la rémunération est aussi un levier de motivation bien réel, même si ce n’est pas le seul.

On connaît les méthodes de gestion de l’entreprise, de sa politique de rémunération avec ses deux piliers, l’équité et la compétitivité. Toutes visent à approcher une forme de rationalité pour garantir au mieux les deux.

L’entreprise tente donc de s’appuyer, à juste titre, sur des éléments factuels et le plus objectifs possibles. Des évaluations de poste avec des méthodes comme la méthode Hay par exemple, des classifications, des enquêtes de marché.

Des outils, des méthodes et des concepts rationnels c’est-à-dire conformes à la raison. On compare des salaires sur le marché, encore faut-il comparer des choses comparables. Donc on passe par des éléments qui le permettent.

L’entreprise ne peut pas faire autrement. Sans norme stable, pas d’équité ou de compétitivité réelle. Donc c’est normal.

Mais voilà, la vie c’est la vie et si la norme c’est la norme, ce n’est pas la vie. Les personnes, elles, ne pensent pas pareil. D’abord parce qu’elles n’ont pas la culture de la rémunération au sens où les professionnels du sujet l’entendent et surtout parce qu’elles sont humaines…

Les sujets dont il s’agit relèvent d’une part d’un sentiment, de justice, d’équité etc. et, d’autre part, du fait que ce sentiment se nourrit d’expériences et de facteurs rarement rationnels.

Est-ce que Jocelyne ou Quentin comparent leur salaire avec celui des titulaires dont le poste a la même évaluation Hay que le leur ? Est-ce qu’ils adoptent une méthode de comparaison objective et rationnelle pour apprécier s’ils se sentent justement payés ? Évidemment non !

D’ailleurs Jocelyne et Quentin, ils n’ont pas le même job. Ils le savent si on leur posait la question. Mais ça n’empêche pas Quentin de comparer son salaire à celui de Jocelyne.

Au fond, c’est humain, il en parle avec elle vu qu’elle est dans le même bureau en face de lui. C’est un peu comme une bulle informationnelle. A force de t’abreuver à la même source d’informations, tu n’as plus qu’à espérer qu’elle ne soit pas polluée !

Mais Quentin il en parle aussi à d’autres collègues à la machine à café. Ils ne sont pas dans le même bureau, n’ont pas plus le même boulot que lui, mais ils sont là, dans la même entreprise. La bulle informationnelle s’élargit un peu.

Encore plus, quand il rentre chez lui. Il adore discuter de ça avec ses voisins, au marché. Il passe sa vie à mesurer et à se mesurer, Quentin. Il est comme ça, il craint tellement de ne pas être reconnu qu’il se mesure tout le temps à tout le monde, même si cela n’a rien à voir.

C’est la vie. Quentin, il est comme ça. Il se compare de cercle en cercle, de proche en proche, et que les choux se mélangent aux carottes ne lui pèse guère. Il fera bien son expérience de la soupe et se forgera un avis bien à lui, et ce sera un avis aussi bien arrêté qu’un avis municipal.

Parce que Quentin se compare à ce à quoi il a accès, à ce qu’il a sous la main, à ce qui l’arrange. C’est humain.

Autant dire que le positionnement de son poste en classe 3 quand celui de Jocelyne est en classe 4 car l’exigence des problèmes à résoudre et la contribution aux résultats sont plus élevées, comment dire… Il s’en tape le coquillard avec des pointes d’asperges chromées.

Voilà tout le paradoxe des comparaisons, des sentiments et des méthodes de gestion. On le répète « comparaison n’est pas raison » certes mais qui a raison en matière de comparaison ?

La raison de l’histoire, à défaut d’y voir une morale qu’on convoque parfois un peu trop vite en matière de rémunération, c’est celle de deux ensembles parfois trop séparés pour qu’ils se comprennent sans le truchement d’un intermédiaire.

Jules Renard disait que « l’esprit n’accueille une idée qu’en lui donnant un corps ; de là les comparaisons ». Voilà donc l’enjeu : donner un corps à des idées qui ne sautent pas aux yeux des principaux intéressés.

La rémunération matérialise un échange, un équilibre entre contribution et rétribution, et à défaut d’avoir les mêmes termes dans l’équation, il faudrait au moins mettre un terme aux incompréhensions et donc accorder les termes et les violons.

C’est tout l’enjeu de la pédagogie de la politique de rémunération, portée par l’entreprise, par la direction des ressources humaines mais également par toute la chaîne managériale. Elle a pour défi, précisément, de lui donner corps.

Faire en sorte que les collaborateurs comprennent ce qui motive les décisions les concernant, les principes qui les régissent, avec un minimum de culture sur le sujet. Or, le chemin est long dans certaines entreprises.

Mais il est important pour réunir deux ensembles parfois disjoints. Cela ne passe pas seulement par le discours, si pédagogique soit-il, mais également par la congruence des décisions managériales avec les principes politiques.

Donc proscrire des pratiques managériales du genre saupoudrage etc. mais c’est un autre sujet.

En résumé, l’entreprise doit adopter des méthodes rationnelles en matière de rémunération mais elles sont éloignées du registre psychologique et émotionnel des salariés en la matière. La pédagogie de la rémunération et de sa politique est donc essentielle et elle passe entre autres par les managers.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.