La petite histoire du mal-être au travail
Dans cet épisode, une fois n’est pas coutume, nous allons vous raconter une histoire, au sens de l’anecdote, pour mieux comprendre la problématique du mal-être au travail.
Dans cet épisode, une fois n’est pas coutume, nous allons vous raconter une histoire, au sens de l’anecdote, pour mieux comprendre la problématique du mal-être au travail.
On ne va pas en faire toute une histoire. C’est ce qu’on dit à la fin non ? Enfin, de nos podcasts. J’ai bon chef ?
Oui c’est ce qu’on dit à la fin en effet. Enfin c’est surtout celui qui a gagné qui dit cela : « Ce n’était qu’un jeu » dit le vainqueur, « on ne va pas en faire toute une histoire » parce que c’est bien là le privilège du vainqueur, celui d’écrire l’histoire puisque c’est son récit qu’on entendra.
Mais la petite musique du perdant ou de l’anonyme, cet « il était une fois » qui raconte la petite histoire dont on peut toujours se demander si elle fait, ou non, la grande… Ecouter la petite histoire… juste histoire de ne pas se raconter d’histoires.
Alors, va pour une anecdote. Petite, sauf précisément peut-être pour celui qui l’a vécue. Tu sais celui dont on parle de « l’expérience » qu’il soit client ou collaborateur, comme si l’on découvrait que les gens tirent des enseignements de ce qu’ils vivent.
Tirons donc un enseignement d’une anecdote qui montre comment expérience client et expérience collaborateur se rejoignent pour raconter l’histoire de l’organisation du travail et ses conséquences.
La petite histoire du mal-être au travail, on vous la raconte pour éviter qu’on se la raconte sur le sujet.
C’est l’histoire d’un vendeur. De pommes, de poires, de scoubidous ou d’oranges, va savoir. Quelque part dans l’espace-temps entre Paris et 2007. Après un changement de titulaire de contrat pour mon téléphone portable, je vous passe les détails de l’histoire, paf, le jour de la date anniversaire dudit contrat…
Ton téléphone, pardon ton smartphone c’est plus classe, ne marche plus. Ni une, ni deux, ton sang ne fait qu’un tour, tu te retournes, non pas dans ta tombe mais sur tes pas et tu marches droit vers la boutique de ton fournisseur.
Car n’étant ni grand clerc ni clerc de notaire, j’y vois quand même suffisamment clair… certes pour ne pas croire que toute succession d’événements n’est pas la preuve d’une relation de cause à effet mais quand même là il ne faut pas pousser mémé dans les orties.
Bref donc tu te diriges vers la boutique pour vivre ce qu’on appelle pudiquement l’expérience client.
Là comme je suis un peu couillon, il me faut un peu de temps pour prendre conscience qu’il faut prendre un ticket, comme à la marée du supermarché. Mais bon.
Mais c’est normal, ils ont beaucoup de monde à gérer et c’est quand même le meilleur moyen d’être efficace.
C’est vrai et d’ailleurs, la preuve, je n’attends pas longtemps, avant qu’un vendeur, souriant, vienne me voir. Souriant c’est si rare. A chaque fois, je pense à ce mot de Cocteau « les français sont des italiens de mauvaise humeur »…
Bon, ne tourne pas autour du pot, ne lambine pas en chemin c’est vraiment chiant quand quelqu’un te raconte une histoire et te perd dans les méandres de ses digressions. Donc, en résumé, le vendeur souriant et poli ne t’a pas fait attendre, donc ne te plains pas. Tout va bien… jusqu’ici. Et donc, tu lui exposes ton problème.
Oui et il me répond poliment d’appeler le service client. « Euh tu es mignon là mais tu n’as pas bien compris, mon téléphone ne marche pas donc je ne peux pas appeler le service client ». « Et bien appelez de votre fixe chez vous » me dit-il toujours aussi poliment.
Et chez toi, pas de fixe mais que des portables et la boucle de l’expérience client est presque bouclée. Sauf que tu n’es pas chez toi, mais chez eux, dans leur boutique. Donc j’imagine que tu lui demandes de le faire.
Bah oui, cela tombe sous le sens. Sauf qu’en l’occurrence, tout penaud, il me répond qu’il est désolé mais qu’il n’a pas le droit d’appeler le service client. Je lui rétorque, en restant souriant aussi, que c’est là, précisément, à ce point exact, se situe la limite de mon sens de l’humour.
Et il comprend que tu es bien assez têtu pour rester dans sa boutique le temps qu’il faudra pour résoudre le problème. Commence donc une attente qui va être longue…
Pas tant que cela. Au bout de 20 minutes, le même vendeur revient vers moi, prend son téléphone portable personnel, appelle lui-même le service client, qui solutionne le problème en quelques secondes.
Peut-être simplement le temps de cocher la bonne case ou je ne sais quelle erreur facile à corriger. Bref in fine ils ont résolu ton problème. Pas si mal que ça finalement comme expérience client.
Sauf que là, on en arrive au point d’inflexion, au point de bascule : quand ladite expérience client renvoie à l’expérience collaborateur, car à ce moment, le vendeur me regarde et me dit : « vous comprenez pourquoi on est stressé chez BIP ? »
Soit, il respecte ce qu’on lui demande, le travail prescrit, mais il ne fait pas ce qu’il faut, c’est-à-dire résoudre le problème du client, et comme il est animé de la volonté de bien faire les choses, il a mal au ventre.
Soit, il fait ce qu’il faut pour résoudre le problème du client, mais comme on ne lui laisse pas de marges de manœuvre, il est obligé de contrevenir aux ordres, en un mot, de tricher, donc il a mal au ventre, parce que c’est quelqu’un d’honnête.
Ah les grands mots d’expérience, client ou collaborateur, qui se fracassent contre le mur de la réalité de la vie. Et en l’occurrence, cette vie c’est ce qu’on appelle le travail et la manière dont il est organisé.
Voilà une petite histoire à méditer, pour celles et ceux qui s’interrogent sur ce fameux sens qu’il faudrait donner au travail. Peut-être faut-il regarder du contenu même de ce travail et donc de la manière dont il est organisé.
En résumé, les causes du mal-être au travail sont certainement multifactorielles mais l’autonomie, à savoir les marges de manœuvre qu’on laisse à ceux qui travaillent, y est vraisemblablement déterminante. Or, ce sujet questionne en profondeur les modes d’organisation, en tout cas au moins certaines de leurs dérives.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.