Le réenchantement de l’entreprise en mode pile ou face
Dans cet épisode, nous allons parler du réenchantement de l’entreprise et nous demander si c’est une bonne idée… ou pas, en mode pile ou face.
Dans cet épisode, nous allons parler du réenchantement de l’entreprise et nous demander si c’est une bonne idée… ou pas, en mode pile ou face.
Les salariés, l’encadrement intermédiaire,… même les élites sont fatiguées pour reprendre le titre d’un ouvrage de François Dupuy qui date déjà de 2005, comme quoi ce n’est pas nouveau… bref toutes et tous sont las à défaut d’être là !
Devant ce que d’aucuns décrivent comme un désengagement massif, qui friserait avec la grande démission pour faire comme les copains Nord-Américains, on nous brandit alors la recette miracle.
L’entreprise n’attire plus, on ne s’y engage plus comme avant, le collectif se délite, un projet d’entreprise « CAP croissance » ou « horizon 3000 » ne fait plus rêver les troupes ? Le désenchantement règne ? Qu’à cela ne tienne réenchantons l’entreprise.
Le roi est mort, vive le roi. Mais est-ce une si bonne idée ? Le réenchantement de l’entreprise en mode pile ou face, c’est quoi l’histoire ?
Au fond, on comprend bien le propos. L’entreprise n’attire plus ? Donc rendons-la attirante ! Derrière cette idée de réenchanter, c’est bien ce dont il s’agit. L’entreprise en tant que bien commun, son projet, sa mission, bref ce qui réunit celles et ceux qui la font vivre… et bien cela semble désormais une idée presque désuète.
C’est vrai que lorsque l’on voit une entreprise qui a manifestement placé le profit au-dessus du respect de la dignité des vies dont elle avait la responsabilité devenir une entreprise à mission, alors qu’elle fait face à une multitude de plaintes… On peut s’interroger en effet.
Le sens dont on dit ici où là que les salariés l’appellent de leurs vœux, particulièrement depuis que les confinements successifs lors de la crise sanitaire de 2020 leur ont donné l’occasion de réfléchir au sens de la vie, c’est peut-être cela qu’il faut pour réenchanter l’entreprise.
En d’autres termes, réenchanter l’entreprise, si cela correspond à réhabiliter l’idée même d’entreprise, porteuse d’une mission, d’une vision et de valeurs qui se matérialisent dans un projet, là où, peut-être – et je dis bien peut-être – l’excès de déséquilibre entre les parties prenantes les aurait détruites, et bien c’est plus qu’une bonne idée.
Oui c’est une nécessité si l’on veut en sauver l’idée même, ne serait-ce que pour qu’elle ne s’assèche pas après avoir été vidée de sa substantifique moelle par des appétits de court terme peu scrupuleux de son devenir…
Ne serait-ce aussi que pour éviter un excès de mal-être au travail au sein du corps social dont on connaît les effets délétères lorsqu’il n’est pas sérieusement pris en compte.
Alors en ce sens, bien sûr, réhabilitons l’entreprise en tant que projet. C’est le côté pile.
N’est-ce pas là le sens même de cette formule que nous avions trouvée Patrick Bouvard et moi-même en affirmant que ce n’est pas l’humain qu’il faut remettre au cœur de l’entreprise mais bien l’entreprise dans le cœur des humains ?
Et c’est tout sauf fake. En affirmant cela, on est bien plus proche d’une révolution, d’une transformation en profondeur que d’un habillage de surface. Mais il faut bien le reconnaître aussi… Réenchanter peut aussi prendre une autre tournure… Et c’est le côté face.
Ré-enchanter ou redonner un attrait enchanteur à l’entreprise. Merlin n’est donc parfois pas loin car comme l’affirmait Vladimir Jankélévitch « il faut passionner les masses pour les organiser. »
Le discours de Merlin à l’image du chant des sirènes, cette petite musique qui s’invite à nos oreilles et qui joue avec les émotions. Une rhétorique qui surfe sur le pathos plus que sur le logos ! Bref, la petite musique manipulatrice du charmeur de serpents.
Si dans certains cas, on est clairement dans un washing dont personne n’est dupe, on est aussi parfois dans un simple décalage entre le discours et la réalité. En d’autres termes une source de dissonance cognitive dont on sait les dégâts qu’elle peut provoquer.
Cela renvoie l’entreprise, en tant que personne morale, à sa responsabilité devant le monde qui l’entoure et devant celles et ceux qui la composent. Cela renvoie donc aussi celles et ceux qui appellent ce « réenchantement » de leurs vœux à leur propre responsabilité personnelle.
« Le moi, devant autrui, est infiniment responsable. » écrivait Emmanuel Lévinas dans « Ethique et Infini » et c’est bien cette responsabilité qui est questionnée dès lors qu’on habille sciemment l’entreprise de vertus qui plaisent à celles et ceux dont elle veut s’attirer les faveurs mais dont elle est éloignée dans les faits.
Car cela va bien plus loin que de plaire. C’est en vérité l’essence même de l’entreprise et c’est cette essence qui peut faire sens pour celles et ceux qui s’y investissent et qui méritent un peu mieux qu’un réenchantement de façade.
Mais comment donc savoir ce dont il s’agit, entre le côté pile et le côté face, si ce n’est en jetant la pièce en l’air en espérant qu’elle retombe du bon côté ?
Groucho Marx disait qu’« il n’existe qu’une seule façon de savoir si un homme est honnête… lui demander. S’il répond oui c’est qu’il ne l’est pas. » Posons donc la question aux communicants qui réenchantent ce qu’ils touchent !
En résumé, réenchanter l’entreprise est une nécessité s’il s’agit de réhabiliter l’idée même du projet dont elle est porteuse et qui fait sens aux yeux de celles et ceux qui la font vivre mais c’est aussi une pratique dévastatrice dès lors qu’il s’agit de plaquer sciemment un discours d’apparence vertueuse sur une réalité qui ne l’est pas.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire