Donner du sens, en mode pile ou face
Dans cet épisode, nous allons nous interroger sur le sens et nous demander s’il faut donner du sens, … ou tout son contraire … en mode pile ou face.
Dans cet épisode, nous allons nous interroger sur le sens et nous demander s’il faut donner du sens, … ou tout son contraire … en mode pile ou face.
Combien de fois, face à ce que certain·es ont désigné comme étant le désengagement des salarié·es voire le mal-être au travail, nous a-t-on rétorqué qu’il fallait donner du sens ?
Donner du sens à l’entreprise, donner du sens au travail, comme s’il on invoquait une raison à ce qui nous semble ne plus en avoir. Le sens pour réenchanter un projet d’entreprise réduit à quelques indicateurs ou le sens pour donner un motif valable à un travail fait d’injonctions contradictoires destructrices.
Alors oui bien sûr donnons du sens à ce que nous faisons ! Quelle bonne et noble idée. Comment en effet accepter l’idée que ce que nous faisons n’a pas de sens ? Alors oui donner du sens c’est une bonne idée … ou tout son contraire … Alors, le sens, c’est quoi l’histoire ?
Le sens de l’histoire c’est donc le sens ? Bien sûr que ce que nous faisons doit avoir un sens. Le dictionnaire de la philosophie nous dit ainsi que le sens c’est « la destination des êtres humains et de leur histoire, la raison d’être de leur existence et de leurs actions, le principe conférant à la vie humaine sa valeur »[1].
Une raison d’être c’est en effet essentiel en entreprise. On en fait même des entreprises à mission. On sait très bien que réduire la raison d’être, le projet, la mission à la satisfaction des intérêts d’une seule des parties prenantes ou à quelques indicateurs de court terme, est destructeur sur de nombreux plans, à commencer par celui du moral des troupes.
Ah ce slogan de Mai 68 qui disait « on ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance » C’est certain que le sens d’une ambition qu’on limite à un « Ebitda +20% », à une « double digit growth » ou à un projet « cap croissance 2030 » c’est pauvre pour donner envie de s’engager avec le sourire le matin.
On n’entrera pas ici dans une analyse d’une notion complexe, qui anime l’humanité depuis qu’elle existe. La vie a-t-elle un sens ? quelle est sa raison d’être, sa destinée, sa signification ? Non, on se contentera de se demander si en entreprise, il faut « donner du sens » à ce que l’on fait.
Si l’on entend par « donner du sens » faire la pédagogie du sens de ce que l’on fait c’est non seulement nécessaire mais c’est même l’une des dimensions fondamentales du management. Mais c’est un autre sujet.
Oui il faut expliquer les choses pour que les personnes les comprennent et donc qu’elles s’en approprient le sens. C’est non seulement la raison d’être, l’ambition ou la vision qu’on se donne, la stratégie que l’on a décidée et les décisions qui en jalonnent la mise en œuvre.
Alors oui dans ce sens il faut donner du sens, en d’autres termes, expliquer le sens existant pour que chacun et chacune le comprenne bien et puisse faire le lien avec son activité. Cela renvoie en effet aux fondamentaux du management et, notamment, au rôle de manager de proximité.
Alors en ce sens il faut donc bien donner du sens ! oui !
Côté pile on encense le sens car sans sens on ne retient que la face sombre de l’univers, celle qui fait mal. Mais côté face, à quoi faisons nous face lorsque que nous invite à donner du sens ?
Ce que l’on vient de dire, c’est qu’il fallait expliquer le sens qu’ont les choses, les projets, les situations, nos décisions. Oui. C’est bien le côté pile.
Mais en l’occurrence on ne donne sens qu’à ce qui en a déjà. En d’autres termes, donner du sens ce n’est pas prêter un sens à ce qui n’en aurait pas mais bien expliquer ce qui existe. Et on en arrive au côté face.
Oui, c’est là où l’on voit poindre la mascarade et le bout de son nez. Plaquer un sens à ce qui en est dénué. Quand « donner du sens » revient à maquiller le vide pour lui donner l’apparence du plein, alors rien ne va plus. Il y a une différence entre « donner du sens » et « avoir du sens ».
C’est là où ce réenchantement que certain·es appelent de leurs vœux pour contrer ce qui serait un désengagement des troupes prend alors un tout autre sens, son sens premier en l’occurrence : charmer par magie ! Quand « donner du sens » revient à dessiner les contours d’une justification à ce qui n’a pas de sens, on obtient l’effet inverse.
Oui c’est même la double peine car les gens qui travaillent, et qui ont besoin que les efforts personnels qu’ils consentent aient un sens, c’est-à-dire une finalité à laquelle ils adhèrent, et bien ces gens-là comme dirait Brel, ils sont tous sauf dupes !
Et alors quand on plaque un sens sur ce qui n’en a pas, qu’on maquille le réel, alors ils estiment, à juste titre, qu’en plus on les prend pour des cons ! Et on obtient l’effet inverse de celui qu’on visait !
En résumé, donner du sens est une expression impropre. Quelque chose a du sens ou n’en a pas. En revanche, il faut l’expliquer pour que chacun·e comprenne ce sens. Alors, en ce sens, « donner du sens » bien qu’impropre fait sens. Mais si c’est plaquer une justification sur quelque chose qui n’a pas de sens alors on obtient l’effet inverse de ce qu’on vise !
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire
[1] Noëlla Baraquin, Dictionnaire de philosophie p. 311 (édition 2007)