La coconstruction en mode pile ou face
Dans cet épisode, nous allons vous parler de la coconstruction, ou de tout son contraire, en mode pile ou face …
Dans cet épisode nous allons vous parler de la coconstruction, ou de tout son contraire, en mode pile ou face …
Il semblerait que nous vivions dans « l’ère du co ». On covoiture pour aller dans des espaces de coworking où l’on collabore, à défaut de coopérer, en étant connectés grâce à des applis collaboratives et tout ça dans la collégialité…
C’est vrai qu’on ne résout plus les problèmes mais on fait du « codev »… Et on ne travaille plus ensemble, on coconstruit… Mais pour que cette « ère du co » ne soit pas une ère des cons, pour lesquels nous n’avons pas envie d’être pris, alors peut-être faut-il aller voir un peu dans l’arrière-cuisine.
Prenons donc la coconstruction. C’est une noble et pertinente intention. Comment ne pas souhaiter privilégier la coconstruction plutôt qu’une vision autoritaire qui s’imposerait de gré ou de force à tous les protagonistes de l’histoire ? Mais cela peut être tout son contraire. Alors la coconstruction, c’est quoi l’histoire ?
Commençons par noter que c’est un terme qu’on utilise beaucoup mais dont on ne trouvera finalement pas vraiment de définition acceptée de toutes et tous. Alors chacun y va de ses propres mots. Par exemple, dans le cadre de politiques publiques plus « participatives » il s’agirait, je cite, d’un « processus institué de participation ouverte et organisée d’une pluralité d’acteurs à l’élaboration, à la mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation de l’action publique. » [1]
Oups ! En vérité c’est bien un processus qui vise à trouver, in fine, un compromis entre les protagonistes. C’est ce que dit le sociologue Michel Foudriat [2] je cite là encore « l’accord traduit un compromis sur lequel ces acteurs s’entendent et se reconnaissent ».
Prenons les choses du bon côté. Chacun comprendra aisément qu’à plusieurs on est moins con que seuls non ? La coconstrution s’appuie sur cette idée simple, dans la tradition de l’intelligence collective ou de la cross-fertilization. En d’autres termes, à plusieurs on s’enrichit mutuellement donc on enrichit la représentation que l’on a d’un sujet et on finit par se mettre d’accord.
La co-construction, c’est finalement toutes les démarches qu’on mettra en place avec des protagonistes dont les points de vue, et surtout les intérêts, sont potentiellement divergents pour qu’ils échangent entre eux et construisent ensemble une représentation commune, une façon de voir partagée et acceptée.
Oui et ce type de démarche est plus ou moins encadrée ou formalisée. Il en va par exemple du codéveloppement avec une méthode bien définie, des rôles attribués etc. Mais il en va aussi de réunions où l’on met autour d’une table des personnes effectivement dont les intérêts divergent pour tenter de les faire converger vers un point d’accord.
Exprimé ainsi, réalisé de cette manière, avec cette intention d’enrichissement mutuel qui contribue à forger un point de vue commun, la coconstruction est alors bien plus efficace que de tenter d’imposer ses vues aux autres de façon dictatoriale, ce qui tôt ou tard conduit au rejet dès lors que chacun rentre dans ses pénates.
Super, alors tout est parfait dans le meilleur des mondes.
Mais il y a aussi celles et ceux qui avancent masqués. La coconstruction est parfois aux yeux de certains un bon moyen d’imposer leur point de vue sans que les autres parties puissent s’y opposer vraiment, puisqu’elles ont coconstruits.
Ça me rappelle cette blague d’un frère Jésuite qui est à table avec un collègue d’une autre confrérie religieuse. Le serveur arrive avec un plat dans lequel il y a un morceau de poulet magnifique, croquant craquant comme dirait l’autre, appétissant à souhait et un autre, tout petit tout cramé desséché tout moche. Lorsque le serveur présente le plat au frère Jésuite, celui-ci s’empresse de se servir et prend sans sourciller le bon morceau de poulet croustillant.
Son convive est évidemment un peu choqué et marque son agacement devant tant de goujaterie et si peu d’élégance et de respect de l’autre.
Alors le Jésuite le regarde et lui dire « mon frère, si on vous avait proposé le plat en premier quel morceau auriez-vous pris ? ».
L’autre lui répond « Bah le petit évidemment ! ».
Et le Jésuite lui répond alors « Bah alors, de quoi vous plaignez-vous ? »
Ahahah, tu veux dire que parfois la coconstruction s’apparente à cela ? Donner l’illusion de l’échange, du participatif, pour arriver à imposer insidieusement sa propre vision en donnant l’impression aux autres qu’ils l’ont construite eux-mêmes … et comme ça ils ne pourront pas s’y opposer par la suite.
Exactement, une méthode, qu’elle qu’en soit la nature dépend bien plus de l’intention de celles et ceux qui l’utilisent que des vertus de la méthode en elle-même. Si tu veux au fond imposer tes idées à d’autres, n’est-ce pas le meilleur moyen que de leur faire croire qu’ils en sont à l’origine ?
Bah oui. Surtout qu’en menant habilement le processus d’échange durant la coconstruction, particulièrement lorsqu’il y a un rapport de forces sous-jacent dont il n’est pas possible de s’affranchir, un rapport client-fournisseur ou hiérarchique par exemple, et bien on arrive à ses fins.
En d’autres termes, parfois, pour ne pas imposer ce rapport de force de manière grossière au début, ce qui ne serait acceptable pour personne ni sur le fond ni sur la forme alors on l’utilise en chemin, de façon plus insidieuse. Mais la finalité est parfois bien la même.
Celle d’obtenir ce que l’on veut, de l’imposer.
J’ai par exemple le souvenir de cette entreprise qui m’avait contacté pour des conférences. Il voulait de la coconstruction. Mais c’est quoi la coconstruction de la conférence d’un tiers ?
Oui cela peut-être une manière de donner des éléments de contexte pour mieux comprendre la situation et en tenir compte dans ce qu’on va dire librement. Et c’est pertinent d’envisager une forme d’immersion culturelle pour ne pas être hors sol.
Oui mais parfois c’est aussi mieux contrôler ce qui va être dit pour veiller à ce que le propos tenu soit conforme à une pensée que l’on souhaite voir répétée plutôt qu’enrichie. En d’autres termes, on te paye pour te faire dire ce que l’on veut que tu dises et on appelle ça de la coconstruction. Dit autrement, on t’achète.
En résumé, la coconstruction c’est une démarche qui vise à ce que des protagonistes échangent ensemble pour se faire une représentation commune et partagée d’un sujet ou d’une réalité. Mais au contraire, cela peut être aussi parfois une manière dissimulée, manipulatrice et habile d’imposer sa propre vue aux autres en jouant des rapports de force en cours d’échange. Une chose donc et son contraire.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire
[1] https://www.fmsh.fr/sites/default/files/files/Rapport%20Co-construction%20de%20l’action%20publique%20VF.pdf
[2] Foudriat, M. (2016). La co-construction. Rennes, France : Presses de l’EHESP