Ce que révèlent les modes managériales
Dans cet épisode, nous allons vous parler des modes managériales et surtout de ce que leur récurrence nous révèlent.
Dans cet épisode, nous allons vous parler des modes managériales et surtout de ce que leur récurrence nous révèlent.
On a toutes et tous observé ces courants en entreprise, ces engouements hâtifs pour le nouveau concept hype du moment et qu’on nous présente souvent comme la nouvelle pierre philosophale du management.
Et des courants les plus ridicules aux élans utopiques en passant par les plus cyniques ou toxiques, ces modes sont tout sauf nouvelles. Après tout ce n’est pas dur de comprendre que lorsqu’il y a un marché, il y a des intérêts marchands, et c’est eux qu’on engraisse, mais ça, c’est un autre sujet !
Alors au-delà des buzzwords à la con, on peut s’interroger sur ce que signifie le fait que certaines d’entre elles reviennent régulièrement mais habillées différemment. Cette constance, cela veut dire quoi ? C’est quoi l’histoire ?
L’histoire se répète dit l’adage … et comme disait Karl Marx toujours deux fois, la première comme une tragédie, la seconde comme une farce. Et au vu de certaines modes… quand on érige des banalités en solutions vaniteuses la farce ne fait pas rire. Ce qui est intéressant, c’est que certaines reviennent régulièrement en effet.
Un peu comme les marronniers dans la presse, ces sujets qui reviennent toujours au même moment. En mai fait ce qu’il te plait mais lis surtout notre dossier régime avant l’été et à la rentrée sois aux aguets, et lit surtout notre dossier salaire des cadres pour être prêt.
On peut faire un parallèle caricatural et un peu provocateur. Si tous les mois de mai on nous parle de régime, c’est qu’il y a peut-être un problème sous-jacent de surpoids dans notre société ou un problème de norme sociale. Dit, en d’autres termes, la récurrence d’une mode est le signe qu’un problème sous-jacent et pour le coup constant, n’a pas vraiment trouvé solution.
Prenons l’exemple de l’entreprise libérée qui a été sous les feux médiatiques il y a quelques temps en France, c’est très proche des équipes semi-autonomes quarante ans plus tôt. Les deux nous pose la question du dosage entre d’un côté l’ordre et le contrôle et de l’autre l’autonomie des personnes. Au fond les phalanstères de Charles Fourier au 19ème siècle, même si ce n’est pas exactement la même chose, avaient la même ambition : la recherche d’un modèle de coopération autonome au sein d’une communauté.
Et on peut prendre les tendances managériales qui ont jalonné la vie des entreprises depuis 50 ans, elles ont des traits communs sous-jacents qui nous semblent intéressant à comprendre : ouvrir un modèle taylorien, construit autour de l’idée d’un modèle prescrit et finalement peu d’autonomie mais dont on sait par nature les caractéristiques de rigidité. Un modèle ne s’adapte pas seul !
Non en effet, soit on l’adapte collectivement, en gros on change le processus mais c’est lourd et il faut en avoir le temps, soit l’opérateur dispose d’une marge de manœuvre pour l’ajuster au réel auquel il est confronté. On en revient à la question de l’autonomie mais c’est un autre sujet.
Prends par exemple le courant de la qualité totale qui a fait les choux gras des consultants qui l’ont bureaucratisé dans les années 90, à force de méthodes et d’outils, mais il s’inspirait du Toyotisme. Or, ce dernier était porteur d’une philosophie, qu’on a certainement trahie en l’important dans le monde occidental en n’en retenant que la dimension réduction des gaspillages, qui reposait aussi sur l’intelligence des opérateurs dont on recueillait les avis.
C’est vrai que lorsqu’on voit les programmes de lean management ou de WCM World Class Manufacturing de certaines entreprises, pas sûr qu’on ait préservé cette dimension qui pourtant était un des piliers du modèle de Taiichi Ono. Au fond, on peut y voir assez naturellement le souhait de « dérigidifier » un modèle taylorien source de cloisonnements.
On a eu ensuite l’entreprise apprenante, dans la foulée du livre de Peter Senge, La cinquième discipline, en 1990. Le courant plus récent de l’intelligence collective n’en est pas très éloigné. Mais au fond là encore, quelle est la finalité poursuivie si ce n’est doter l’entreprise d’une capacité d’adaptation que le modèle taylorien rigide ne favorise pas.
Et pendant ce temps, à l’époque l’évolution de l’informatique centrée sur les ERP permettait de concrétiser un pas plus loin la recherche de productivité chère au taylorisme. Division des tâches et processus sont du même ordre : un modèle déterminé. Et c’est là où arrive le courant d’après, au milieu des années 90 avec le knowledge management.
La portée du KM était la même, capitaliser sur les connaissances de l’entreprise pour que cette dernière soit en capacité de s’adapter en permanence. Sous l’impulsion du livre de Nonaka et takeuchi, avec leur fameuse spirale des connaissances, la portée du KM était de cet ordre et introduisait un complément à la rigidité que les ERP fabriquaient déjà.
L’arrivée de l’internet et de ces premiers outils d’échange synchrones ou asynchrones, les chats et les forums, a modifié le panorama d’alors. Ca a ouvert la porte au fond aux mêmes utopies que celles d’aujourd’hui d’un digital source de coopération. Et ça s’inscrivait en droite ligne des travaux sur la socialisation des savoirs de Nonaka et takeuchi. Bref d’un côté les ERP traduction informatique du taylorisme de l’autre le KM pour donner une souplesse apprenante.
Et le mouvement a continué tout au long des années 2000, avec d’un côté une accélération de la mise en processus de l’entreprise et de l’autre la démocratisation progressive de l’internet et de ses corollaires internes à l’entreprise.
Nous voilà rendu aujourd’hui entre l’entreprise libérée qui confond autonomie et liberté, l’utopie d’un numérique collaboratif qui rendrait la coopération et la transversalité naturelle en lieu et place de nos organisations tayloriennes rigides dans lesquelles le pouvoir s’exerce bien verticalement.
Bref, c’est la même quête depuis toujours. Quand une organisation humaine est soumise à contraintes elle a deux exigences à conduire de front : être organisée pour être efficace, être capable de s’adapter au plus vite aux changements de son environnement. On connaît les modes d’organisation qui favorise la première exigence. Ils s’inspirent peu ou prou du taylorisme et sont faits de modèles et de normes.
En revanche on sait que ces modèles et ces normes ne s’adaptent pas naturellement ce qui nous renvoie à cette quête permanente pour les ouvrir, les assouplir sans en perdre les vertus. C’est ce que nous révèlent les modes managériales qui se succèdent depuis si longtemps et qui, au fond, n’ont de cesse, implicitement, que cette recherche.
Oui, elles traduisent en quelque sorte un besoin de respiration dans un modèle efficace mais sclérosant.
En résumé, la récurrence de certaines modes managériales est révélatrice d’un problème sous-jacent que nous n’avons pas solutionné, la rigidité d’un modèle taylorien qui ne peut pas s’adapter seul à un environnement changeant. Toutes ont plus ou moins cherché à ouvrir ce modèle taylorien.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire