Les données ne rendent pas nécessairement intelligent

Dans cet épisode nous allons vous parler de données et d’intelligence, sans peut-être sauter le pas entre les deux aussi vite que cela.

Dans cet épisode nous allons vous parler de données et d’intelligence, sans peut-être sauter le pas entre les deux aussi vite que cela.

Les termes sont parfois trompeurs en effet. Pense par exemple à l’expression Business Intelligence, la BI. L’intelligence dont il s’agit pourtant c’est du renseignement, comme dans CIA, Central Intelligence Agency. Et pourtant, insidieusement se développe l’idée que … plus on a de données, oups pardon de data c’est plus smart, plus on est intelligent …

« Big data, small brain » … le saut de la donnée à l’intelligence est souvent trop vite franchi en effet. Mais si les données ne suffisent pas à rendre intelligent, si les données ne suffisent pas à faire intelligence, qu’en est-il ? De quoi parlons-nous vraiment ? C’est quoi l’histoire ?

Mahé, je te propose que nous partions d’un exemple simple. Ce matin, lorsque je me suis levé, il faisait 5 degrés. C’est une donnée. Bon, je sais tous les thermomètres ne donnent pas la même température, c’est tout le sujet de la mesure, mais quand même, « les faits sont têtus » comme disait Lénine. 5 degrés dehors c’est une donnée brute. C’est un fait. On peut au moins s’accorder là-dessus.

Tu cites Lénine, ouh la la ça commence à m’inquiéter !

S’il fait 5 degrés dehors alors je te dis qu’il fait froid. Et la donnée n’est déjà plus brute, ni factuelle. Elle est mise dans un contexte, elle est interprétée et cette contextualisation nous informe ! la donnée est alors devenue information. On voit déjà apparaître ici toute la subjectivité qui est liée à cette contextualisation. Pour certaines personnes, peut-être que lorsqu’il fait 5 degrés, il ne fait pas froid !

Mais si tu me donnes l’information qu’il fait froid, alors je me dis que je peux attraper du mal. Là l’information est passée au crible de l’expérience du sujet. C’est alors une connaissance. C’est une information qui a été comprise par le sujet. On en distingue d’ailleurs 2 formes : la connaissance explicite, qu’on peut formaliser et la connaissance tacite, plus difficile à formaliser donc à transmettre.

Et si tu sais que tu risques d’attraper froid alors tu mets un pull et c’est ça l’intelligence. Se comporter intelligemment au regard de la situation.  On a interprété les données dont on disposait pour in fine prendre une décision intelligente !

Tout ça pour mettre un pull et bah ! Je n’y aurais peut-être pas pensé tout seul remarque ! Notre exemple est simpliste bien sûr mais il illustre au fond la complexité derrière toutes ces notions. On voit bien ici tous les biais et erreurs qui peuvent se glisser entre les données dont on dispose et les décisions qu’on prend. Croire que « plus on a de données, plus on est intelligent » c’est quand même un drôle de raccourci et une grosse illusion.

Oui d’autant plus que, parfois, plus on a d’informations moins on décide tant on veut essayer de tout contrôler avant de prendre le risque de décider. Ou l’inverse aussi quand on décide trop vite, qu’on décide mais pas assez en « connaissance de cause »

Si on revient sur les biais et sources d’erreurs, tu as raison de le souligner, car on y prête que rarement l’attention que cela mérite. Combien d’études dans la presse nous assènent-elles par exemple des chiffres à n’en plus finir sans que personne ne se pose la question du nombre et de la qualité des répondants, de la représentativité de l’échantillon, des biais du questionnaire etc. Bref du chiffre avec son apparence de rationalité à la désinformation il y a n’y a que l’épaisseur de l’honnêteté intellectuelle !

Prenons quelques exemples. Le premier biais c’est celui de la mesure en effet. Il fait 5 degrés. Mais cela dépend de la précision de l’instrument qui mesure la température. Il affiche 5 degrés mais peut-être fait-il en réalité 4,9 ou 5,1. Alors dans notre exemple ce n’est pas grave ça ne change rien au film. Mais dans d’autres cas, cela peut-être un vrai problème.

Ton exemple renvoie aux biais de perception… ou quand nos capteurs nous trompent. Comme dans une illusion d’optique par exemple. D’où l’importance de développer le nombre et la sensibilité de nos capteurs. Tiens dans l’entreprise ça milite en faveur de la diversité ça mais c’est un autre sujet !

Et il y a aussi tous les autres biais. Il suffit par exemple de changer le contexte de la donnée pour délivrer une information différente ! La liste des biais cognitifs est plus que longue : le besoin de simplifier, le besoin d’agir vite, la conscience que nous avons des changements par phase de crise, les biais de flemmardise qui nous poussent inconsciemment à chercher le statu quo, les conséquences d’une hyper-inflation de l’information, bref la liste est impressionnante !

Et tout ça sans compter sur le charme trompeur des statistiques. Le paradoxe de Simpson en est un excellent exemple où il suffit de changer la répartition de groupe qu’on analyse pour arriver à des conclusions diamétralement opposées. Ou tout simplement l’interprétation hâtive de corrélation en relation de cause à effet. Combien de fois faudra-t-il rappeler que si la pluie tombe à chaque fois qu’on sort de chez soi ça ne veut pas dire qu’on est la cause de la pluie ! Bref on voit ici l’importance d’une culture statistique mais c’est un autre sujet !

En résumé, les données correspondent à des faits bruts. Une fois contextualisées, ces données délivrent une information qui, lorsqu’elle est comprise devient connaissance. Une connaissance sur laquelle on s’appuie pour prendre des décisions intelligentes. Des données à l’intelligence le chemin à parcourir est donc long et semé d’embûches, des biais cognitifs au manque de courage ou d’honnêteté.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire