SIRH, un marché dicté par l’offre ?
Dans cet épisode nous allons nous demander si le SIRH n’est pas un marché dicté d’abord par l’offre.
On connaît l’histoire de la poule et de l’œuf… Toujours la même histoire ou celle de la faute à Voltaire quand ce n’est pas celle de Rousseau.
Trouver des coupables, trouver la cause de la conséquence, tout un programme. Une obsession chez certains, un passe-temps chez d’autres. Une recherche qui n’est véritablement utile que si elle cherche à faire progresser tout le monde.
En l’occurrence, on va s’intéresser ici au marché du SIRH pour se poser une question simple dans la grande tradition des 5 forces de Michael Porter, à savoir le pouvoir est-il plutôt du côté de l’offre ou de la demande ? Alors, le SIRH, un marché dicté par l’offre, c’est quoi l’histoire ?
Commençons par un prolepse. Non, il n’y a aucun jugement d’ordre moral dans cette question. L’objet n’est pas de dire ce qui est bien de ce qui ne l’est pas pour pointer du doigt les vilains et se ranger dans le camp des gentils. C’est un peu naïf.
Il y a d’un côté une demande, représentée – pour faire court – par la fonction RH des entreprises et une offre pour y répondre, représentée – pour faire court toujours – par un écosystème de fournisseurs.
Une demande, une offre, un marché. Donc des marchands qui marchandent. Dans ce jeu classique, chacun y va de son intérêt, c’est normal et légitime. Chacun dans son pré comme dit l’adage.
En bonimentant plus ou moins selon les marchands, mais ça c’est une autre histoire, qui a une connotation morale quand même mais ce n’est pas le sujet.
La question c’est en effet de se demander si le pouvoir est plutôt d’un côté ou de l’autre. Et c’est naturellement très difficile de généraliser pour de multiples raisons. On pourrait nous renvoyer à nos cours de stratégie de l’époque.
On peut par exemple segmenter le marché, et observer que tous les couples produits-marché ne sont pas équivalents bien sûr, encore plus évidemment si on se met dans une perspective internationale.
Mais à cote mal taillée, quelques remarques peuvent éclairer le sujet.
La première est assez simple à comprendre et présente peu d’intérêt à nos yeux, si ce n’est celui de rappeler aux praticiens RH d’aiguiser leur esprit critique pour ne pas céder aux paillettes des discours techno-marketing.
Ils ont les mêmes ressorts que partout, demain sera mieux qu’aujourd’hui – d’ailleurs on y rase gratis – la modernité c’est miraculeux, on agite les désirs ou les peurs, bref tout le monde connaît et c’est juste un fait normal sur ce type de marché.
On pourrait alors formuler une deuxième remarque. La demande s’est traditionnellement peu intéressée au sujet pendant longtemps. Combien de fois a-t-on entendu que la fonction RH était le « parent pauvre de l’informatique » ?
Mais c’est sans compter sur une réalité observable depuis les années 90, à savoir celle d’une maturité qui grandit et une demande qui s’est structurée avec l’émergence puis le développement de la fonction de responsable SIRH depuis les années 2000.
Montée en compétences et professionnalisation donc ont fait progresser la demande, tant dans sa culture du sujet – donc sa lucidité – que dans sa manière de le traiter, des schémas directeurs aux appels d’offres.
Là encore, donc, on ne répond pas à la question. Prenons un troisième angle alors. Celui de la réalité technique, que l’un impose et que l’autre ne peut que subir.
Le versioning des éditeurs, par exemple, avec un agenda bien pensé qui oblige à des montées de version ou à accepter la contrainte de choix drastiques plus lourds. Certes, c’est un facteur de pouvoir de l’offre sur la demande qui peut ressembler à de l’obsolescence programmée.
Mais en même temps c’est normal. Pour deux raisons. D’abord personne ne peut maintenir quoi que ce soit ad vitam aeternam. D’autre part, un éditeur de solutions RH est aussi soumis au même jeu avec ses propres fournisseurs ou les solutions sous-jacentes sur lesquelles il s’appuie.
Tiens, quand dans les années 2000 des start-ups se lançaient sur la vague Internet avec des solutions full web pour chatouiller les grands éditeurs de l’époque restés sur des architectures client-serveur, cela a posé les bases du mode de commercialisation dominant d’aujourd’hui le SaaS.
Un moyen à l’époque, à la fois d’améliorer leur propre productivité – sur les mises à jour, les corrections, les montées de version etc. – mais aussi de générer des revenus récurrents pour améliorer leur valorisation auprès des investisseurs enclins à revendre à des plus gros.
Le mouvement était en effet lancé avec l’ASP – Application Service Providing – qui plus tard deviendrait SaaS. C’était bien, en l’espèce, l’intérêt de l’offre qui menait le bal. Mais là encore, ce sont des explications des évolutions du marché, en partie liée aux intérêts de toute l’industrie informatique dans son ensemble.
Ce n’est pas une réponse, en effet, à la question de savoir qui impose sa loi aujourd’hui. Alors tentons deux derniers aspects. La profusion et l’éclatement de l’offre.
Lorsqu’on se penche sur le maquis des offres disponibles, de la start-up dont on sait à peine ce qu’elle fait aux acteurs installés depuis des lustres, le praticien RH peut être effrayé. Mais comment choisir devant une telle profusion ?
La profusion de l’offre ne signifie pas plus de choix possibles comme le rappelle Sheena Iyengar dans son ouvrage « the art of choosing » (Iyengar S, 2011). Dit autrement, à quelque chose près on retombe toujours sur les mêmes et souvent pour de bonnes raisons.
De quel véritable choix dispose par exemple un grand groupe international qui veut couvrir toute la palette du Talent Management ? 4 ou 5 possibilités crédibles et réalistes et encore.
Combien d’acteurs sont en mesure d’externaliser complètement la paie en France ou sont capables de gérer correctement de la rétroactivité et du multi-contrat ?
C’est encore plus frappant – et c’est normal – dès qu’on parle de niches. Qui sait faire à la fois du pilotage et de la simulation de masse salariale ? Combien de solutions pour prendre en charge une planification des activités sous contraintes ?
En fonction du besoin, le choix sera beaucoup plus réduit que ce que l’image globale du marché pouvait bien nous laisser croire.
Il nous reste l’argument de l’éclatement des acteurs de l’écosystème, avec les consultants d’aide au choix, l’assistance à la MOA, les éditeurs, le SaaS, ceux qui font la MOE eux-mêmes et les autres, la maintenance etc.
Un marché saucissonné, avec d’inévitables intégration amont et aval de la chaîne de valeur, qui rend sa lecture et sa compréhension très difficile pour le praticien RH, renforçant la nécessité de recourir à des acteurs qui ont une vision globale – et à jour – du paysage.
Acteurs dont on ne peut ignorer ni les biais, par exemple liés à telle maîtrise avancée de tel ou tel éditeur, ni les intérêts quand celui qui conseille peut aussi être celui qui intègre.
Cet éclatement des intervenants rend les choses plus opaques et plus contraignantes pour la fonction RH qui a donc bien peu de leviers à sa disposition pour peser sur l’offre.
En résumé, le marché du SIRH est difficilement lisible pour une fonction RH dont les possibilités sont très contraintes malgré l’apparence de profusion, ce qui la rend en partie dépendante des acteurs de l’offre.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.