IA et formation, attention à la fausse bonne idée !
Dans cet épisode, nous allons questionner la pertinence de l’IA pour personnaliser la formation.
Les talents qu’il faut développer, la belle et noble intention. Comment pourrions-nous être contre ?
Mais on sait aussi à quel point les parcours de formation formatés sont pénibles et ne correspondent pas à la réalité des besoins de chacun. De tels diamants bruts, tu comprends, il faut les tailler !
Qu’à cela ne tienne ! J’ai une super app boostée à l’IA qui scanne les compétences pour proposer automatiquement des parcours de formation sur-mesure, génial non ?
Je vois le truc, de l’IA qui te pousse des formations ou te construit ton parcours personnalisé. Génial. Ou pas. Alors, IA et formation, attention à la fausse bonne idée, c’est quoi l’histoire ?
L’intention est aussi simple que bonne. Un outil d’IA analyse tes compétences et construit une réponse sur-mesure de formation pour développer ce qui doit l’être.
Pour saisir le sujet, rappelons-nous d’abord que la vie est souvent faite de deux contraintes antagonistes. Ici comme ailleurs. Posons le premier élément du décor, car peut-être est-ce de décor dont il s’agit en vérité.
D’un côté, des réponses uniformes et standardisées à des besoins particuliers. Le One too many parce qu’au fond on ne peut pas servir tout le monde et qu’il y a des logiques économiques qui président.
De l’autre des besoins particuliers, qui réclament des réponses particulières, mais, si c’est une réponse pertinente, elle n’est pas tenable à l’échelle. On ne fait pas de la haute couture aux conditions du prêt à porter. C’est ainsi.
En matière d’organisation, par exemple, quand il s’agit de combiner une exigence de productivité et une autre d’adaptation. Le sujet qui nous intéresse ici est soumis au même antagonisme.
Chacun a en effet besoin, dans l’idéal, d’une réponse de formation adaptée à son cas particulier mais l’entreprise ne peut fournir ceci à chacun dans des conditions de coûts soutenables. Pas seulement en termes de coût de programme mais aussi de coûts liés à la conception du programme sur-mesure.
D’où l’idée du recours à la baguette magique de l’IA qui, du moins en promesse, permettrait de le faire. On avait déjà eu d’ailleurs des tentations du même ordre, avant la démocratisation de l’IA.
Dans le genre à chaque compétence du référentiel ce n’est pas si difficile d’associer une entrée d’un catalogue de formation. Alors, on imagine, notamment avec la masse de contenus disponibles ce qu’on peut faire avec de l’IA.
Une IA c’est des entrées, un algorithme et une prévision en sortie. En l’espèce, une évaluation de compétences, un algorithme, et, en sortie, un parcours de formation sur mesure.
Alors, on me dira que tout tient dans la pertinence de l’algorithme. Certes. Il n’est pas si difficile d’imaginer qu’une IA puisse faire cela correctement. Mais il y a un ou deux effets secondaires.
Le premier c’est la conception même de la compétence sur laquelle l’idée repose. On va prendre un exemple pour lequel je serais bien curieux de voir comment une IA répondrait, si intelligente soit-elle.
Dans ton référentiel de compétences, comme on est vachement attentif aux softskills chez nous, il y a une compétence intitulée « capacité à convaincre un public ». Et il faut dire que Madame Michu, elle n’a pas une bonne évaluation sur cette compétence.
On voit bien les réponses de 1er niveau, peut-être un peu simplistes, du genre, on te concocte un parcours avec des contenus adaptés, façon séries sur Netflix qu’on te recommande.
Apprenez à gérer votre stress face à un auditoire en 5 leçons, la prise de parole en public en 10 vidéos, maîtrisez votre corps dans l’espace comme un acteur, tenez bien votre micro sur votre menton raide comme un piquet ou encore comment construire un discours impactant et les vertus du storytelling en 5 leçons.
Seulement voilà, le problème de madame Michu c’est qu’elle ne sait pas bien argumenter. Enfin, elle a parfaitement compris qu’entre le pathos, l’ethos et le logos, les clés de l’art oratoire, le logos c’était le plus efficace.
En vrai, c’est qu’elle a un mal fou à construire un raisonnement. Les syllogismes ce n’est pas son truc. Elle se mélange toujours les crayons. Si on étudie la question d’un peu plus près, ce dont elle besoin c’est de développer son sens logique.
Et peut-être aussi un peu de culture générale, et de culture d’entreprise, pour que les arguments de ses raisonnements logiques sonnent justes et parlent à ses interlocuteurs.
Mais ce besoin-là a de fortes chances d’échapper à une IA. Lire entre les lignes, appréhender la complexité de ce qu’est une compétence et des sous-jacents qu’il faut parfois travailler pour la développer, on peut douter de la capacité d’un modèle algorithmique à y répondre vraiment.
Parce que ce type de complexité n’est pas véritablement modélisable, a fortiori si l’on utilise un LLM qui repose sur des logiques purement probabilistes. Ou alors faudrait-il développer un modèle de connaissances quasi universelle.
La promesse de l’IA générale… l’AGI. Concept théorique fascinant certes, mais certainement pas une réalité concrète et opérationnelle dans des domaines comme la formation.
Enfin, au-delà d’une conception simpliste et pauvre de la notion de compétence et de ce qu’elle suppose pour être développée, il y a un second effet délétère.
Celui de laisser implicitement croire au manager que le sujet est suffisamment simple pour que de telles mécaniques puissent y répondre valablement, affranchissant au fond de ce que développer des compétences veut vraiment dire.
Toute la limite des promesses marchandes et des réalités de la vie. Allez, ça peut au moins aider à te pousser des contenus de e-learning comme on te pousserait des recommandations de séries à regarder.
Cela ne développera pas forcément les compétences visées mais si ça aide à nourrir ton envie de t’autoformer, c’est déjà ça de pris.
En résumé, compter sur une IA pour concevoir des formations sur-mesure automatiquement en fonction d’une évaluation de compétences c’est prendre le risque d’une réponse simpliste peu propice à ce que suppose un véritable développement professionnel.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.