L’éthique et la morale en entreprise
Dans cet épisode nous allons tenter d’éclairer les notions d’éthique et de morale dans le cadre de l’entreprise.
On connait la morale de l’histoire. En l’occurrence, c’est celle qu’on ne dit pas puisqu’on ne vous raconte pas d’histoire. Mais ce n’est pas de cette morale-là dont on veut parler ici.
En effet, on parle plutôt de celle dont l’absence chez certains peut faire précisément perdre le moral à celles et ceux qui s’en réclament. Et s’ils s’en réclament, sont-ils donc eux-mêmes les juges de leur propre moralité ?
Mais qu’en est-il alors de l’entreprise, personne morale qui ne l’est pas toujours pour autant, quand bien même clame-t-elle son sens de l’éthique ?
Il ne manquerait plus qu’on convoque la déontologie du métier, et le tour des mots avec lesquels on joue serait joué.
Concentrons-nous alors sur deux aspects qui peuvent sembler bien proches pour mieux les comprendre, notamment dans le cadre de l’entreprise. Alors, l’éthique et la morale en entreprise, c’est quoi l’histoire ?
On pourrait être assez facilement tenté de poser-là les bases d’une réflexion philosophique qui date des Anciens. Mais, précisément, nous nous en garderons bien, ne nous sentant pas autorisés, au sens du mot « auteur », issu du latin auctor ou « celui qui accroît, qui fait pousser ».
Quelle pierre nouvelle utile apporterions-nous en effet à cet édifice millénaire ? Nous nous contenterons-donc de deux aspects. Une tentative de vulgarisation pour apprécier la complexité du sujet et un questionnement pratique au regard de la vie en entreprise.
Commençons par le début, le bien et le mal… Et c’est moi qui décide de ce qui l’est ou pas.
La morale nous renvoie en substance à ces notions de bien et de mal. Une norme qui s’impose à nous et au regard de laquelle on peut apprécier nos choix et comportements.
Seulement voilà quoi… qui la fixe cette norme ? Est-ce qu’il y une dimension universelle à la morale ou est-elle nécessairement relative ?
La question peut sembler insoluble car y répondre fait intervenir un jugement moral pour la trancher.
L’éthique, étymologiquement, ne se distinguerait pas vraiment de la morale comme le dit Pierre Ricoeur (Ricoeur, 1990) lorsqu’il rappelle que les deux renvoient à la notion de mœurs : ethos et mores en latin.
Mais il propose de les distinguer. D’une part la morale qui renvoie à ce qui est « obligatoire » et l’éthique qui renverrait à ce qui est « jugé bon ».
En gros, ce à quoi je dois me plier, au sens du devoir, et ce que j’estime bon au regard de la finalité poursuivie. La bonne affaire quand on est en entreprise. La fin justifierait donc les moyens ? Il suffirait donc de dire que c’est « jugé bon » pour l’entreprise et hop.
Ce n’est peut-être pas aussi simple que cela. Ricoeur pose cette distinction en articulant les deux et c’est cette articulation qui est intéressante dans la visée de l’entreprise.
Il ajoute « je définirai la visée éthique par les trois termes suivants : visée de la vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes ». Il y a donc un souci, au sens de l’intention, qui n’est pas que celui de mon propre intérêt mais celui de la vie bonne dans un cadre et avec les autres.
L’entreprise ne peut donc pas recourir au terme de l’éthique pour masquer une posture du type « la fin justifie les moyens » car cette fin n’est pas que la sienne, en dehors de normes externes. Elle doit donc en ce sens inévitablement composer avec sa responsabilité face au monde.
Même si l’on dit qu’au fond rien n’est bien ou mal en soi mais que cela dépend de celui ou celle qui fixe la norme, un peu comme Spinoza dans « l’éthique », une réflexion importante qu’on vous invite à explorer, à un moment ou à un autre se pose toujours une question simple.
S’il n’y a rien d’universel et qu’une limite est fixée par quelqu’un, c’est qui ? Moi ou les autres. Et si ta réponse c’est « moi », morale ou éthique on s’en fout, il n’y a plus rien si ce n’est ta toute-puissance.
Dit autrement, on en revient donc à l’idée simple que l’entreprise ne peut être elle-même le propre juge de ses actions, sauf finalement à n’avoir rien à péter de toute idée morale ou éthique.
C’est un peu ce à quoi Gilles Deleuze renvoie en proposant non pas une morale qui juge par rapport à des valeurs universelles mais une éthique qui « évalue au contraire le rapport qu’entretient un existant vis-à-vis de ses propres limites » (Detcheverry, 2021).
Dit autrement, l’entreprise qui peut parce que sa « puissance d’agir » le lui permet, mais qui s’en empêche, a un comportement éthique. Voilà un intéressant concept chez Deleuze de « séparation » entre la puissance et celui qui la détient.
N’est-ce pas l’idée même de responsabilité ? De conscience de ce que l’on peut, de conscience des conséquences de ce que l’on fait au-delà de soi ? Et de traduction de cette conscience dans les actes ?
Alors qu’est-ce que cela veut dire une entreprise éthique ou pas ? C’est quoi la morale de l’histoire de la morale chez les personnes morales ?
Que devons-nous penser par exemple d’une entreprise qui estime que la diversité aujourd’hui et ici c’est bien et qui, le lendemain et là-bas, dit l’inverse ? Ce n’est pas moral ? Ce n’est pas éthique ?
Peut-être qu’en vérité la question n’est plus là mais réside dans cette autre perspective. Celle des conséquences au-delà de soi. Dit concrètement, l’entreprise de portée mondiale qui arbore cette posture envoie un message simple.
Soit, nous n’avons pas conscience des conséquences de cette posture au-delà de nous-mêmes. Auquel cas à l’absence d’éthique s’ajoute l’incompétence.
Soit, nous en avons conscience mais « rien à foutre », auquel cas le message est clair. Nous n’avons rien à foutre des conséquences de ce que nous décidons sur le reste du monde.
Le dit-monde ne peut donc conclure qu’une seule chose : s’il en va ainsi de ce sujet il en ira ainsi des autres. Cette entreprise-là, par ce qu’elle donne à voir au reste du monde, n’a rien à foutre du reste du monde. Dont acte.
En résumé, qu’on oppose ou articule les notions de morale et d’éthique, in fine, la conscience des conséquences des postures et des actes de l’entreprise sur le reste du monde témoigne au moins de son sens de la responsabilité à son égard.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.