L’entreprise est politique
Dans cet épisode nous allons nous demander le rapport qu’entreprise et politique entretiennent.
On a entendu l’argument plus d’une fois. La politique n’a pas sa place en entreprise ! Un argument généralement affirmé de manière aussi péremptoire que celle du vieux de la vieille qui te dit que « cash is king » comme s’il venait d’inventer la poudre.
Surtout quand ce que tu nommes « politique » n’arrange pas vraiment tes intérêts d’ailleurs. Comme si les convictions s’évaporaient dans les fonds de poche, là où on planque ses sous.
Entre les affirmations un peu hâtives des uns et le silence des autres, on sent bien que le sujet est délicat, polémique et source de confusion. Alors, on va s’y arrêter un instant. L’entreprise est politique, c’est quoi l’histoire ?
Derrière l’affirmation un peu simpliste que la politique n’a pas sa place en entreprise, il y a d’abord l’histoire d’une petite confusion sur le mot politique. Tout le charme d’un mot dont le caractère polysémique facilite les pirouettes.
On entend bien la petite vie politique, celles des politiciennes et politiciens, c’est-à-dire ce qui est « relatif à l’organisation du pouvoir dans l’État, à son exercice » pour reprendre les mots du Larousse, ou à celles et ceux qui l’exercent, qu’il s’agisse de personnes ou d’institutions.
« Bah oui mon bon monsieur, on n’est pas au café du commerce, ici c’est l’entreprise. Tu comprends on ne commente pas ces choses-là. On n’a pas à savoir si tu es de droite ou de gauche, même si plus personne ne sait ce que c’est ».
L’entreprise n’est ni de droite, ni de gauche. La personne morale n’a pas d’opinion politique. Encore moins son expression publique. L’entreprise ne milite pas pour un parti. Encore moins pour ses représentants.
J’ai encore en tête ces mots de Renaud, dans le déserteur, quand il reprenait ceux de Boris Vian: « Monsieur le Président, je vous fais une bafouille (…) je ne suis qu’un militant du parti des oiseaux. »
Ou du parti de l’intérêt bien compris, celui du parti qu’on ne prend pas pour prendre ses intérêts et partir comme on file à l’anglaise. C’est-à-dire en douce. Sans faire de bruit. Genre pas vu pas pris.
Bien sûr que l’entreprise ne milite pas pour Madame le truc ou Monsieur le bidule. Bien sûr que l’entreprise ne se mêle pas des jeux de pouvoir sur cette scène-là. Et encore moins de leurs intrigues.
Mais voilà, c’est un peu simple comme argument. Comme si l’on te rétorquait que « les affaires, c’est les affaires » pour justifier un comportement peu recommandable.
Un peu simple comme argument parce que la politique, c’est aussi ce qui relève de la vie de la cité. Or, la cité, l’entreprise en fait partie qu’elle le veuille ou non. C’est un fait. Faut-il inviter à relire Platon et Aristote ?
C’est même un peu le sens de la RSE, non ? La responsabilité sociétale de l’entreprise ? L’entreprise a, de fait, une responsabilité sociétale. La société a des conséquences sur l’entreprise, l’entreprise a des conséquences sur la société.
D’ailleurs, l’entreprise l’a bien compris puisqu’elle s’en réclame quand ça arrange ses affaires. La diversité et l’inclusion, c’est bon pour attirer des candidats ? Alors on se positionne et on l’inscrit sur son fronton.
Et ce n’est pas politique ça ? Ce n’est pas une prise de position sur un sujet qui concerne la société, certes plus ou moins suivie d’actes concrets ? Ce n’est pas un sujet d’ordre politique ?
Tu embauches des seniors ou au contraire tu les ignores. Cela n’a pas de conséquences sur la société ? Ce n’est pas politique ?
Pas plus que des conditions de travail génératrices de RPS dont on sait le coût pour la Sécurité Sociale, et cela ne concernerait pas la société et cela ne serait pas politique ?
La réponse est évidemment oui. Et c’est cette évidence qui appelle une autre question. Elle est simple à poser. Chacune et chacun apportera sa réponse.
Que doit faire l’entreprise quand, dans une campagne électorale qui concerne la vie de la politique au sens du pouvoir qui gouverne la société, des positions affichées ou des arguments politiques sont diamétralement à l’encontre de ce que la même entreprise clame haut et fort par ailleurs ?
On va prendre un exemple très concret. Que doit faire une entreprise qui prône la diversité et l’inclusion quand un acteur politique tient des propos racistes ? Que doit faire la même entreprise si un parti politique en fait un argument fort de sa campagne ?
On pose la question, là, sur la table. Chacune et chacun apportera la réponse qu’il veut.
Mais on dit simplement que l’entreprise est inévitablement politique.
N’en déplaise donc à celles et ceux qui estiment que ce qu’ils appellent politique n’a pas sa place dans l’entreprise, ce qu’ils font comme ce qu’ils disent est de fait politique. Leur silence aussi.
En résumé, affirmer que la politique n’a pas sa place en entreprise au motif que l’entreprise n’a pas de positions partisanes à adopter c’est oublier que l’entreprise en tant que partie prenante de la société est de fait politique par ses actes et son discours public, silence compris. Parfois très bien compris.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.