La spirale de la connaissance

Dans cet épisode nous allons explorer les 4 modes de transmission des savoirs selon le modèle de la spirale des connaissances

N’y allons pas par 4 chemins, je t’envoie le guide utilisateur, tu m’apprends ça par cœur et on n’en parle plus. Pas besoin de ta spirale à moustiques.

Peut-être pour ton guide utilisateur mais si tu veux me transmettre toute ton intelligence et ton expérience en matière de transmission des savoirs, chef(fe), peut-être faudra-t-il voir plus loin que le bout de ce nez-là.

Comme disait le réalisateur Marin Karmitz « ne pas transmettre ses expériences, c’est castrer l’avenir. » Alors, moi, je veux bien mais cela ne se formalise pas comme ça une expérience.

Le guide utilisateur n’y suffit pas en effet ! C’est là qu’il faut d’autres méthodes et c’est ce que nous allons tenter de transmettre. Alors, la spirale des connaissances, c’est quoi l’histoire ?

Ton exemple avec le guide utilisateur, il est simple parce que ce que tu cherches à transmettre c’est une connaissance explicite, une connaissance qu’on peut aisément mettre en mots, qu’on peut formaliser et passer en l’état.

En l’état, elle me sera utile également. Je n’aurais peut-être pas besoin d’aller beaucoup plus loin que d’avoir appris les 3 commandes qu’il décrit. Quelque chose d’explicite pour toi – que tu peux expliciter donc – et qui sera explicite pour moi.

Mais l’expérience ! Ce tour de main qui fait ton métier et qu’on n’apprend pas en un tournemain. C’est plus délicat. On ne transmet pas une connaissance tacite à l’aide d’un guide utilisateur.

Voilà donc le début du sujet. Le distinguo entre des connaissances explicites et des connaissances tacites, qui, elles, ne sont pas vraiment formalisables. Elles sont nichées au cœur de l’expérience d’un sujet qui a du mal à les traduire.

Ce distinguo, on le doit au penseur Michel Polanyi. Dans un de ses ouvrages, « la dimension tacite » en 1966, il affirme « Je vais reconsidérer la connaissance humaine en partant du fait que l’on peut savoir plus que l’on ne peut dire ».

Tu me diras, le problème c’est que certain font l’inverse, mais c’est un autre sujet, qui frise avec l’ultracrépidiarisme.

On comprend donc l’idée. Et ce n’est pas binaire. On a tous des connaissances explicites et tacites, plus ou moins explicites, plus ou moins tacites. Ne simplifions pas à l’outrance en 4 cases.

Plusieurs années plus tard, 2 japonais, Nonaka et Takeuchi, reprennent ce distinguo mais ajoutent deux dimensions : individuel et collectif. Leur ouvrage, « The knowledge creating company » au milieu des années 90 a constitué le point de départ de tout le courant du Knowledge Management.

Ils mettent en lumière les différents modes de conversion de ces connaissances, de tacite à explicite, de tacite à tacite, etc. et c’est cela l’objet de ce qu’on a appelé la spirale des connaissances.

Elle décrit 4 grands modes de conversion de la connaissance qu’on va passer en revue rapidement.

Le plus simple, c’est la conversion d’explicite à explicite. Elle repose sur un mode qu’ils baptisent « combinaison ». La rationalisation, l’analyse, la codification et la formalisation en sont les maîtres-mots et les canaux sont simples et connus en entreprise.

Cela a d’ailleurs ouvert la voie à l’informatisation du knowledge management avec des bases de données et des bases documentaires plus ou moins ouvertes dans l’entreprise. Les débuts de la GED puis des Intranets etc.

Plus délicat ensuite, la conversion d’explicite à tacite ou, dit autrement, comment favoriser l’expérience du sujet pour qu’il acquiert une connaissance tacite en plus de ce qui est formalisable.

Les auteurs baptisent cette conversion d’internalisation ou comment tu intègres et t’approprie des connaissances explicites. La réponse ? en faisant par toi-même ! Ou « apprendre par l’expérimentation ».

On n’est pas très loin de l’idée d’alternance d’ailleurs. On me transmet des connaissances formalisées dans un environnement académique et je les expérimente, sur le terrain, en alternance.

Et durant cette exposition au réel, tu es confronté à la troisième conversion : de tacite à tacite. Comment, par exemple, apprends tu ce tour de main qu’un autre ouvrier a mis des années à acquérir et peaufine, alors qu’aucun livre ne peut te le formaliser.

Cette conversion, ils la dénomment « socialisation ». La version la plus emblématique c’est le compagnonnage, d’ailleurs inscrit au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Unesco comme méthode de transmission.

Si on se replonge dans les heures de gloire du courant du Knowledge Management des années 95/2000, alors qu’Internet déboule dans les entreprises, avec sa version interne, on voit mieux les confusions qui ont dominé l’époque.

Le processus de socialisation ici n’est pas à entendre comme les réseaux sociaux… Dit autrement ce n’est pas suffisant d’ouvrir à une communauté et d’interagir avec elle pour qu’il y ait les principes fondamentaux d’observation de la socialisation.

Enfin, le dernier quadrant de la spirale, de tacite à explicite. Ou comment l’auteur, l’artisan transmet une part de son expérience, de son savoir non formalisé pour en faire une connaissance codifiée et formalisée chez l’autre.

C’est le mode de l’externalisation ou comment j’ai essayé de sortir de moi ce que je pouvais, en donnant des illustrations, des images, des analogies pour que l’autre en retienne un savoir explicite.

En résumé, la spirale des connaissances décrit 4 modes de conversion des connaissances en s’appuyant sur les spécificités des savoirs tacites et explicites. Elle offre une grille de lecture utile pour déterminer les meilleurs modes de transmission selon les sujets.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.

Références

Nonaka I., Takeuchi H· (1995) “The Knowledge-creating Company – How Japanese Companies Create the Dynamics of Innovation” Oxford University Press

Polanyi M., (1958) Personal Knowledge: Towards a Post-Critical Philosophy, University of Chicago Press