On accompagne ou on bosse ?

Dans cet épisode nous allons nous interroger sur cette expression contemporaine… « accompagner ».

Tu fais quoi comme métier ?

Moi ? J’accompagne les BIP dans leur transformation BIP… Remplace le premier BIP par DRH, Dirigeant, DSI, ce que tu veux et le second par digitale, énergétique, organisationnelle etc.

Bon tu fais quoi alors ? Consultant ? Chef de projet ? Coach ? Placard doré dans un siège social parce qu’on n’a pas voulu te virer ? C’est fou comme tout le monde « accompagne ».

Mais c’est quoi au juste ? Alors, on accompagne ou on bosse, c’est quoi l’histoire ?

L’éternelle histoire des mots qui changent. Parfois ils caricaturent, d’autre fois, ils dénaturent, ou ils édulcorent, ou, tout simplement, ils masquent une réalité qu’on ne veut plus voir. Et pour ne pas la voir, on ne la nomme plus on la rebaptise.

Tu ne « balayes » pas mais tu es « technicien de surface »… On connaît l’histoire. La petite, celle de l’entreprise, déborde de mots et d’expression de ce type. Ils sont souvent caricaturaux et ne dupent plus personne, du moins j’espère.

Mais comme toutes les caricatures, comme celles de Daumier, qui croquait le roi Louis-Philippe en forme de poire ou les bourgeois de l’époque, elles sont à prendre au sérieux.

Alors, on « accompagne », cela veut dire quoi ? Et bien revenons à l’étymologie du mot. Pas pour la jouer savant mais parce que cela vaut son pesant de moutarde, de cacahuètes ou de saucisses de Strasbourg.

Accompagner cela vient du latin. La racine « Ad » qui signifie mouvement puis « cum pane » qui ne signifie pas « avec ton pote qui s’appelle Pané » mais « avec pain ». Celui ou celle qui accompagne, nous dit le dictionnaire, c’est donc « celui qui mange le pain avec ».

La belle image du pain qu’on partage. Il n’y a plus qu’à changer l’eau en jaja et multiplier ces si jolis petits pains et le tableau est bien peint. L’image est biblique et renvoie au repas partagé comme catalyseur et symbole de sociabilité.

Dans la tête des gens, accompagner c’est une autre image pourtant. Tu vas prendre ton train ? Je t’accompagne à la gare ! Bref, je fais un bout de chemin avec toi. C’est plutôt cela non ? Accompagner au sens de marcher côte à côte dans une complicité harmonieuse.

« Aller de compagnie avec quelqu’un »… De bonne compagnie puisqu’elle semble choisie. Encore un autre imaginaire celui-là. S’agit-il de la compagnie qui s’amuse, faite de légèreté, enfin d’incompétence aussi, vu la bande de pieds nickelés

Ou de l’image du Sherpa. Du porteur d’eau. Bref la mule. Celle qui porte la part de charge que tu ne portes pas. Ou celui qui prépare les dossiers pour toi, comme en politique.

Enfin, en substance celui qui bosse en fermant sa gueule pendant qu’un autre ou une autre prend la lumière. Mais c’est un autre sujet.

Le dictionnaire propose d’autres définitions d’ailleurs, toutes aussi évocatrices pour celui ou celle qui veut bien imaginer ce que cela peut bien vouloir dire pour un consultant par exemple.

« Suivre par honneur »… Honneur et fidélité de celui ou celle prêt à se sacrifier au nom de quelque chose qui lui est supérieur. Toutes les valeurs de la chevalerie en toile de fond. Enfin, surtout que là, en l’occurrence, ce qui est supérieur c’est celui qui paye quand même…

Ne jamais oublier la reconnaissance du ventre c’est ça ? Allez, une autre suggestion du dictionnaire : « conduire en cérémonie ». Il ne manque plus que l’autel et les grains de riz à la fin.

Où les diaporamas de naze du bon pote et de la cousine qui prennent un temps interminable à faire leur discours émaillé de photos dossiers des protagonistes enfants, avec des titres en « comic sans MS » 24 points, qui amusent qui tu veux sauf les invités.

Ou bien est-ce cette cérémonie aux codes très précis mais impénétrables pour les profanes durant laquelle on investit ou couronne un Roi ou une Reine ? Celle où à un moment quelqu’un finit forcément à genoux… Parlerions-nous d’asservissement ?

Le dictionnaire parle aussi d’escorte… mais on va s’arrêter-là sinon on va dériver ou médire ou les deux.

En substance, deux images viennent donc. L’une, étymologique, « celui qui mange le pain avec », et l’autre, « aller de compagnie avec quelqu’un »… Des petits pas aux petits pains, il n’y a donc qu’un pas.

Mais l’image du pain que tu manges… Elle invite à se poser deux questions : qui le fait ? qui le mange ? Les petits pains que tu multiplies, par miracle ou simplement parce que tu as bossé, et tu en manges un ou deux avec celui qui te les as demandés… C’est bien. Cela crée de la valeur.

Mais le pain que tu bouffes sur le dos des autres c’est-à-dire celui que tu ne produits pas mais que tu manges… C’est la laine des moutons. Peu importe le sens dans lequel ils passent, tu les tonds.

C’est donc là toute la question. Est-ce qu’à force d’accompagner tu ne finis pas par ne plus rien produire… Juste, les amis, à un moment il faut faire quelque chose. Pas juste ventiler. Bien sûr les conseillers ne sont pas les payeurs mais quand même.

Ce qui est d’autant plus étonnant au fond, c’est que l’utilisation exagéré de cette expression va de pair avec ce que les praticiens en entreprise ne veulent plus : du vent, du bruit, des gesticulations. Ils attendent que tu délivres, de la valeur observable et tangible.

Alors, accompagner oui bien sûr puisque que celui qui accompagne n’est pas aux commandes. Mais qu’il ou elle soit au moins un vrai co-pilote, qui produit quelque chose de réellement utile et pas une valise de plus qui alourdit le véhicule.

En résumé, l’expression fréquente « j’accompagne » pour désigner une activité qui n’est pas en charge mais qui y contribue, n’affranchit pas de délivrer des résultats tangibles, même si, pour certains, elle masque parfois leur difficulté à le faire réellement.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.