Je suis le centre du monde mais il est petit

Dans cet épisode on va parler des personnes qui n’ont d’autre horizon qu’elles-mêmes pour les inviter à ouvrir la fenêtre et à respirer l’air du dehors.

On a tous eu, un jour, à la fin d’une conférence cette personne, tu sais, qui lève la main pour poser une question.

D’ailleurs on l’y avait invité, l’organisateur veut de l’interactif. « La première question est toujours la plus difficile, alors on peut passer directement à la deuxième en espérant que cela ne soit pas la seconde » avait-on dit.

Et quelqu’un se lève et dit un truc du genre : « Je voudrais vous poser une question. Parce qu’en effet quand vous évoquez ce thème-là vous faites référence à ce thème-ci. Dans un ouvrage que j’avais publié chez bidule j’en donnais d’ailleurs une description très proche. Ce qui m’amène donc à ma question. On peut bien en dire cela ou ceci, je crois personnellement beaucoup en la force de la chose et c’est pour cela qu’il me semble important d’en parler. Je sortirai d’ailleurs un prochain article pour poser la question centrale… »

Ah bah justement, venons-y : qu’elle était votre question ?

« La réponse est oui mais qu’elle était la question » disait Woody Allen. Parfois il ne reste plus que l’humour comme seul remède. Alors je suis le centre du monde, mais il est petit ? C’est quoi l’histoire ?

On ne parle pas ici des m’as-tu-vus ou de ceux qui bousculent la terre entière pour être au premier rang, devant les autres sur la photo. Ils en seraient presque attendrissants tant on dirait des gros chiens patauds qui salivent et remuent grossièrement la queue.

Ni même de celles et ceux qui devant le Parthénon dégainent leur perche à selfie parce qu’ils croient que le sujet c’est eux, pas le Parthénon. « Parce que je le vaux bien » leur avait-on dit. Et ils l’ont cru.

Non, on parle de celles et ceux qui, à chaque opportunité qui se présente à eux, la détourne de sa finalité pour la ramener à ce qu’ils estiment comme le centre du monde, c’est à dire eux-mêmes.

Je ne pose pas une question à la fin de la conférence parce que la réponse m’intéresse ! Pourtant c’est un peu le principe de base de la question. Peut-être même celui d’une conférence. Tu y vas parce que le thème t’intéresse et tu poses des questions ou tu peux même émettre un avis, formuler un regard critique, pour faire avancer le débat.

Non, tu y vas pour te montrer. Donc tu poses une question mais pour parler de toi.

Un peu comme celui qui, sur LinkedIn profite du post de quelqu’un pour faire sa propre pub ! L’élégance et le savoir-vivre en 3 clicks ! et clac une claque !

On dirait l’histoire de l’éléphant et la souris qui courent dans le désert, tu sais, avec la souris qui se retourne et dit à l’éléphant : tu as vu toute la poussière qu’on fait tous les deux !

Il y a des gens comme ça, incapables d’aborder un sujet sans le détourner et le retourner pour en devenir eux-mêmes le sujet principal.

On parle du dernier prix Goncourt ? Ils pourraient le reconnaître ou le critiquer, donner un avis sur le livre ? Non, il trouve toujours une phrase du genre « ah machin déjà il y a quelques années je disais qu’un jour il gagnerait un prix. J’ai toujours eu le nez pour dénicher les pépites »

Ils ne vantent pas la cuisine du dernier restaurant où ils ont bien mangé, ni même les vertus du chef auquel il pourrait rendre hommage… Non, ils parlent de la relation qu’ils entretiennent avec lui, photo a l’appui. Ils l’appellent « mon Michel » pour bien rappeler qui appartient à qui. On croirait presque que le pauvre Michel leur doit tout.

« Ah tu seras gentil mon Michel de cliquer sur j’aime. J’ai parlé de toi quand même ». Tous les sujets sont motifs de récupération. Le monde ne les intéresse que lorsqu’ils en sont… le centre. Mais après tout on est toutes et tous un peu tous comme ça !

Oui on veut tous recevoir des « me-mails », pas des « emails », mais il y a quand même des champions du monde. Le roi – ou la reine – du nombril.

Ils commencent un cours ? Il faut acheter leur livre. Non ils ne le donnent pas, ils n’ont pas un truc à donner, il faut acheter leur livre. Leur enjeu ce n’est pas de transmettre mais de briller. Rien à donner, tout à prendre. Et puis il faut les citer surtout, c’est bon pour leur classement.

Il publie avec d’autres ? L’ordre alphabétique ne leur convient évidemment pas, ils veulent être en tête de liste sur la première de couverture. Ils parlent de leur livre co-écrit ? Tu n’entendras pas beaucoup parler de leur coauteur ou coautrice. Les droits d’auteurs d’un ouvrage collectif reversés à une association ? « Ah non moi monsieur j’ai mes pauvres donnez les moi à moi moi moi qui en fera bon usage »…

Ils ont inventé le concept du vent, de l’air et de l’eau, et s’en approprient la paternité, parce que ce qui compte ce n’est pas de faire avancer la pensée ou de contribuer à résoudre un problème mais d’être connu, reconnu et re-reconnu, corniaud !

Ce sont les mêmes qui disent admirer le talent alors qu’en réalité ils admirent le succès. Ils rêvent tous les matins de leur nom en haut de l’affiche, avec des lettres en or. Ce n’est pas le film qui les intéresse, ni le spectacle, ni l’aventure humaine du cinéma et encore moins le tremblement de la scène, non c’est leur nom.

Ils admirent le succès, pas le talent. Encore moins les efforts et les sacrifices que cela demande.

Mais qu’à cela ne tienne. On peut avoir pour seul horizon la lumière de son réverbère et croire qu’on en est la source.

Ces gens qui, lorsqu’il pleut à chaque fois qu’ils sortent de chez eux, sont convaincus qu’ils sont la cause de la pluie. Surtout en novembre, en Normandie. De la baguette du sourcier, ils ne connaissent que le moulinet pour impressionner.

Mais qu’à cela ne tienne. Ce n’est pas très élégant mais on a les centres d’intérêts qu’on peut. Chez les uns, c’est leur nombril. Chez d’autres, c’est un peu plus bas et ça ne les grandit pas.

« Qu’à cela ne tienne », « qu’à cela ne tienne » d’accord, mais moi je n’arrive pas à comprendre que… quand tu fais quelque chose cela ne t’intéresse pas, que la finalité de ce que tu fais ce n’est pas ce que tu fais mais toi.

Bien sûr chacun d’entre nous est un trésor unique, un espace infini à explorer. Bien sûr. Comme tout le monde non ? Tous pareils, tous différents, Hall of fame, all the same.

Ahahah c’était le titre d’une expo de peinture que j’avais faite en…

Ah non ta gueule ! Tu ne vas pas t’y mettre.

Oups pardon mon nombril m’a happé. C’est ça le problème de ce puits de génie que chaque être humain représente, ça l’attire, ça l’absorbe puis ça le bouffe. Comme un trou noir. Ton nombril qui te retourne comme une chaussette et te fait disparaître dans un puits sans fin, enfin sans fin, vide surtout.

Parce que je le vaux bien. Euh bah non ! En tout cas pas plus que quiconque. Ouvre ta fenêtre et pousse tes volets, regarde la lumière, dehors c’est le printemps, respire l’air du dehors ça emplit les poumons, ça donne du baume au cœur. Et puis ça pue le renfermé ici, laisse le vent rentrer.

Peut-être qu’un jour l’odeur des embruns, ces quelques fines gouttes de pluie qui fouettent le visage, le regard d’un inconnu, peut-être même le rire d’un enfant et tu t’ouvriras au monde, à l’autre, à l’humanité.

Ou peut-être à ce que tu fais. Tu ne seras plus le sujet mais tu te mettras au service d’un projet, d’une œuvre. D’abord tu t’y intéresseras puis, tu verras, tu t’y adonneras. Tu verras. Tu t’investiras dans ce que tu fais, pas pour toi, mais parce que c’est bien. Et c’est bien parce que tu peux apporter ta pierre à l’édifice.

Je veux bien que – comme moi tu sois à la mesure de toute chose, de l’infiniment grand à l’infiniment petit et de tout ce qu’il y a entre les deux. Mais il y aussi ce qui est au-dessus de nous et qui nous dépasse. Penses-y !

En résumé, quand on s’intéresse trop à soi-même on s’assèche puis on s’appauvrit. Quand on s’intéresse à autre chose que soi-même, à ce qu’on fait ou à l’autre, par exemple, on s’enrichit d’autre chose que de soi, qu’on a déjà.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire