Si le sentiment de juste récompense était une affaire de seuil ?

Dans cet épisode, nous allons nous interroger sur le sentiment de juste récompense et nous demander s’il s’agit d’une affaire de seuil, et si oui lequel ?

Dans cet épisode, nous allons nous interroger sur le sentiment de juste récompense et nous demander s’il s’agit d’une affaire de seuil, et si oui lequel ?

Ce n’est pas compliqué tu sais. Une politique de rémunération, c’est la combinaison de deux facteurs. Compétitivité externe et équité interne. On a des outils pour ça ! Des évaluations de poste, des classifications, des enquêtes de salaire. Bref, c’est mathématique tout ça.

Sauf que les deux facteurs dont tu parles, si l’on se met du côté du collaborateur ou du candidat, c’est une affaire de perception. Or, la perception c’est par nature personnel et relatif.

Mais relatif à quoi ? Et si le sentiment de juste récompense était une affaire de seuil ? C’est quoi l’histoire ?

Quand on parle de compétitivité externe, on parle du fait que le package de rémunération, plutôt de rémunération globale d’ailleurs, est compétitif, qu’il est attractif parce que meilleur qu’ailleurs. Cela peut se mesurer de manière plutôt objective.

L’équité interne, c’est la même chose. Cette objectivité provient le plus souvent d’une classification, le grading comme disent les anglo-saxons, qui repose lui-même sur une méthode d’évaluation comme la méthode Hay par exemple.

Mais dans les deux cas, au-delà de ces méthodes que tu penses objectives et qui peuvent t’aider à argumenter, en face, la personne concernée, candidat, titulaire en poste etc. c’est bien elle qui estime si c’est compétitif ou équitable.

C’est bien là tout le problème. C’est une affaire de perception. La question sous-jacente par conséquent c’est bien celle de savoir ce sur quoi tu fondes cette perception, ce sentiment d’équité.

On l’a régulièrement dit, l’engagement suppose de réunir 3 paramètres : adhérer au projet auquel on te demande de contribuer, disposer de moyens d’apporter ta contribution, ta pierre à l’édifice, et finalement que tu en tires une reconnaissance, financière et morale, que tu estimes juste au regard des efforts que cette contribution t’a demandé.

Le sentiment… J’estime que c’est juste ou pas. Et tout le monde estime ça… à sa façon.

Oh moi je suis moi-même la mesure de toute chose, de l’infiniment grand à l’infiniment petit… Et de tout ce qu’il y a entre les deux… Hum hum

Bon hey ça va les chevilles ? Mais en même temps ce n’est pas si faux. Tu estimes en fonction de quelque chose. De points de repère. Or, les points de repère de plusieurs personnes, même s’ils sont par nature différents, on peut-être des points communs.

C’est là où la question des seuils peut nous éclairer. Dit autrement, il y a un seuil à partir duquel tu estimes qu’être au-dessus est un avantage et être en-dessous une injustice. Or, ce seuil, le plus souvent une sorte de fourchette, tu le construis intuitivement par comparaison.

La première des comparaisons c’est en effet ce que l’on peut appeler la norme sociale. Mieux ou moins bien que les autres ? Mais lesquels ? Tes collègues du même étage parce qu’ils ne sont pas loin et que tu papotes à la machine à café avec eux et que les avis sur le caractère plus ou moins juste de la dernière prime fusent à chaque gorgée de café.

Ou les personnes qui exercent le même job que toi ? Dans la même entreprise ? Dans le même secteur d’activité ? ici ? Ailleurs ? Bref tu estimes à l’aune de la norme à laquelle tu te compares.

Et la norme est tout sauf normale puisqu’elle aussi est variable. La norme de quoi, de qui… La question est d’autant plus complexe qu’elle se pose aussi sur d’autres sujets intimement liés à cette question de l’équilibre contribution / rétribution.

Les efforts que tu estimes « normaux » à fournir, par exemple, ils sont aussi liés à l’appréciation d’une norme sociale, qu’elle soit avérée ou véhiculée par des images d’Epinal.

Dans ma cuisine, autant te dire qu’on n’est pas des tire-aux-flancs, les flancs on les prête, au fouet, qu’on manie pour battre les œufs, pour faire des flans, alors on ne va pas en faire tout un flan… si tu bosses beaucoup.

Alors que chez nous, on y va doucement, sans se presser, en mode « travailler c’est trop dur, et voler c’est pas beau »… Bref, un seuil qui varie selon ce à quoi tu es habitué ou que tu connais. La qualité de l’information des agents comme déterminant… On y reviendra.

Cette question du seuil, elle vaut autant pour ce qui te semble « normal » comme effort à consentir, ta contribution, que pour ce que tu estimes juste comme récompense, ta rétribution. Donc tout l’équilibre contribution / rétribution dépend de la pertinence de la norme à laquelle tu te compares, donc de ton degré de connaissance de ce qui se passe au-delà de ton périmètre immédiat.

Cela renvoie aux travaux de l’économiste George Akerlof sur l’importance des comportements en économie et à sa théorie de l’asymétrie de l’information.

Une fois de plus, quand la rationalité se heurte à la réalité de la vie… On pourrait se dire qu’après tout, c’est normal, si je puis dire, et que c’est le lot de bien des choses qui nous gouvernent.

Se dire qu’en effet, ce que nous prenons pour argent comptant n’est pas toujours ce qui compte le plus, ou dit autrement, que le facteur humain, avec tous ses filtres et biais, expliquent parfois bien plus qu’un modèle d’apparence rationnel.

On perçoit là une des limites du taylorisme et son approche dite scientifique du travail et son fameux « one best way ». Or, de nombreuses représentations, façons de penser, qui irriguent les pratiques de gestion comme les pratiques managériales en entreprise en sont toujours, consciemment ou pas, très fortement teintées.

Dans le même temps, l’entreprise n’aime pas la subjectivité. Elle aime bien prévoir. Elle aime peu les surprises. Notamment, parce qu’à la fin, un compte de résultats ou un bilan laisse peu de place à l’improvisation.

Sauf que là aussi il s’agit d’évaluer. Tiens la manière dont on évaluait l’amortissement du goodwill par exemple. Bref, « tout est relatif » comme disait le grand chef !

Ainsi, si la gestion classique d’une politique de rémunération exige des méthodes professionnelles qui laissent peu de place à la subjectivité, les acteurs eux le sont ! Ne pas tenir compte de leur sentiment quant à l’équilibre contribution / rétribution c’est donc se heurter à des incompréhensions souvent peu réconciliables.

Or, si ces perceptions reposent sur des références, l’entreprise a tout intérêt à en élargir le périmètre et à en faire la pédagogie !

En résumé, la juste récompense ou le sentiment d’équité est un sentiment. Or celui-ci se forge souvent par comparaison à ce que l’on considère consciemment ou non comme normal. Tenir compte de cette subjectivité est important dans la gestion de l’équilibre contribution / rétribution d’une entreprise, qu’on ne peut limiter à un seul exercice technique.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.