L’incompétence pénalise la compétence

Dans cet épisode, parlons sans tabou de ce mal qui ronge : l’incompétence.

Dans cet épisode, parlons sans tabou de ce mal qui ronge : l’incompétence.

Qui n’a jamais qualifié « d’incompétent » un collègue, un collaborateur ou même son propre manager ? Parfois à tort, par aigreur ou méconnaissance des contraintes auxquelles il était confronté.

Mais aussi parfois à raison par réel agacement de constater une fois de plus une erreur dans un dossier ! Parce qu’il va encore falloir réparer les pots cassés ! Alors, l’incompétence pénalise la compétence, c’est quoi l’histoire ?

D’abord précisons de qui on parle lorsque l’on désigne un « incompétent » dans ce podcast. Il ne s’agit pas de l’incompétence du jeune diplômé ou même du stagiaire qui est passagère et s’explique par une inexpérience qui sera vite comblée, surtout avec de la bonne volonté !

Rappelons aussi que l’erreur est humaine et que même le plus compétent des collaborateurs n’est jamais à l’abri d’une étourderie : et celle-ci reste acceptable si on la reconnaît et la corrige.

Mais l’incompétence, celle qu’on fustige ici, c’est celle qui s’ignore et se répète. Les brasseurs de vent, plus que de bières, qui se moquent bien au fond du projet et adoptent une attitude désinvolte face aux conséquences de leur inaction.

En fait, cette incompétence-là, c’est celle qui ajoute au « manque de connaissances ou d’habileté pour faire quelque chose »[1] (qui est la définition du Larousse et qui pourrait se corriger), une absence de volonté ou d’intérêt pour la chose qui elle annihile tout espoir de progrès.

Cette combinaison de l’incompétence propre à l’absence de volonté conduit à des erreurs, des inconsistances, des insuffisances pour le projet. Elle génère un flou qui n’a rien d’artistique qui devra immanquablement être corrigé.

Ce qui n’est pas fait, ou pas bien fait, devra être fait ou refait. Si l’air s’échappe de la roue, quelqu’un devra mettre une rustine ou changer le pneu.

Et pour changer le pneu, on a besoin de quelqu’un qui d’abord se rend compte que le pneu est crevé, ensuite qui sait le faire mais aussi a envie de le faire. Et c’est rarement notre incompétent qui s’y colle.

Mais alors, le compétent qui reçoit un dossier truffé d’erreurs va évidemment devoir les corriger avant d’espérer toute analyse, mais en plus il va perdre toute confiance et s’évertuera à vérifier toutes les informations communiquées.

Il pourrait faire preuve de désinvolture et laisser l’erreur cachée là où elle se trouve. Au fond, ce n’est pas lui qui est responsable.

Sauf qu’une personne compétente et engagée, ne baisse pas les bras ! Au risque de voir son titre de compétent ou d’engagé lui être retiré. Et il ne veut pas être pénalisé. Alors il s’escrime à vérifier et à corriger.

Oui bah ça va, on va pas en faire toute une histoire. Il a sauvé la situation hip hip hip. Acclamons-le pour sa bravoure, sa compétence et son effort… félicitations !

Je sens toute l’ironie ! Et crois-moi, cette ironie blesse. Loin de passer pour le héros, celui qui corrige l’Autre, est souvent accusé de perfectionnisme, pointé du doigt comme un rabat-joie et ainsi condamné à une double peine.

D’un côté il s’évertue à corriger des erreurs qui ne sont pas de son fait, et fait preuve d’une attention constante donc épuisante sans en tirer de reconnaissance, autre que celle du plaisir du travail bien fait.

Mais en plus il passe du temps sur des actions qui ne font a priori pas partie de son périmètre. Et si ce temps n’est pas perdu pour le projet, il l’est néanmoins pour lui et peut mettre à risque l’atteinte de ses propres objectifs.

Bien sûr, le compétent n’est pas naïf, il ne perdra pas de temps à corriger ce qui ne lui servira pas, la bonté de cœur a des limites. Mais pour le reste, il s’engagera à la hauteur de ce qu’il croit nécessaire pour le projet, dans l’ombre, à l’instar du brillant Cyrano qui souffle des vers à l’incompétent Christian, caché sous le balcon de Roxane.

Il pourrait retourner l’erreur à l’envoyeur ou s’en référer au-dessus, mais la prétention de celui qui sait et qui l’affirme devient une accusation pire que l’erreur elle-même. Le compétent engagé, qui ne voudrait pas se retrouver le dindon de la farce, devra faire preuve de diplomatie, une charge supplémentaire à porter.

Il ne faudrait pas non plus être insolent à l’égard de l’incompétent ! Jouons collectif et faisons preuve d’esprit d’équipe.

Il n’est évidemment pas question de nier l’importance de placer le projet au-dessus des intérêts individuels. Corriger les erreurs des autres de temps en temps, ça fait aussi partie de ton job. Et bien sûr on ne va pas crier félicitations dès que tu fais preuve d’intérêt pour le projet.

Mais soyons honnête, ceci n’est réaliste qu’à condition de faire preuve d’équité dans la reconnaissance des contributions de chacun. Surtout quand l’erreur se répète. Privilégier l’égalité totale à l’équité conduira à accentuer le sentiment d’injustice du compétent engagé, une des sources de son mal-être.

En fait, que le compétent engagé corrige dans l’ombre ou qu’il le dise haut et fort, il n’en tire que réprimande et moquerie. Pointé du doigt ou ignoré, le compétent engagé risque de devenir au choix incompétent ou désengagé.

OK, bas vive l’incompétence alors ! Plus tranquille est le con qui ose tout plutôt que Sisyphe qui cherche à bien faire, un travail infini.

Euh… Non chef, si tout le monde se contentait de l’incompétence, plus aucun projet ne verrait le jour. Je sais bien que les brillantes idées sont souvent venues d’erreur mais ensuite ces erreurs ont été rattrapées, corrigées, analysées…

Ce podcast quelque peu caricatural ne vise pas uniquement à pointer du doigt les manquements de certains, finalement pas si nombreux quand on s’y intéresse vraiment, mais à inviter tout le monde à se questionner.

Chacun a un rôle à jouer : se former, se questionner, veiller à lever le nez pour s’intéresser aux impacts de son activité sur celle des autres, entrer dans les sujets, demander quand on ne sait pas et chercher à progresser. C’est une attention de tous les instants pour devenir (ou rester) compétent engagé. Nous pouvons tous le devenir, mais cela demande des efforts !

Ensuite le management, bien sûr. S’intéresser aux résultats est évidemment une bonne chose, mais cela ne suffit pas. Ami manager, ouvrez la porte de votre bureau (ou votre fenêtre Teams !) et intéressez-vous à la manière dont votre équipe résout les problèmes.

S’il n’est pas question de chercher les coupables et de moquer l’incompétence, il convient néanmoins de reconnaître et valoriser ceux qui placent le projet au-dessus de leur intérêt et ont su non seulement débusquer l’erreur mais surtout la corriger. Deux thèmes sont alors à approfondir pour quiconque s’y intéresse : la bienveillance et le droit à l’erreur.

Et la DRH ne peut, elle non plus, se détourner du sujet : la compétence au service du projet n’est-elle pas au cœur des sujets dont elle a la charge ? Sur un marché du travail tendu, la rétention de nos dits « talents » semble être une priorité.

Et qui de plus talentueux que notre compétent engagé ? La DRH doit poser un cadre et des garde-fous : allant de l’évaluation des compétences et de la performance, en passant par les politiques de reconnaissance et un soutien des managers dans leur encadrement jusqu’à de réelles réflexions sur la gestion de la non-performance.

En résumé, l’incompétence ignorée met à mal le projet à coup d’erreurs et d’imprécisions mais également pénalise les personnes compétentes qui s’engagent dans une perspective collective. Face à ces injustices, le compétent engagé pourrait être tenté de se désengager ou de s’engager ailleurs. Il est de notre responsabilité à tous, collègue, manager, directeur, RH de les préserver pour espérer les garder.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.

[1] Définition de « incompétence » selon le Larousse