La réunionite : ce syndrome incurable ?
Dans cet épisode, nous vous invitons dans nos réunions ! Un syndrome incurable…
Dans cet épisode, nous vous invitons dans nos réunions ! Un syndrome incurable…
Des réunions, encore des réunions. On dirait les shadocks qui entrent dans un cycle infernal pour en ressortir lessivés. Des réunions de préparation pour accorder ses violons avant les réunions de présentation, elles-mêmes immanquablement suivies de réunions de débriefing pour pouvoir organiser la prochaine… réunion.
Et ça a même un nom, preuve de l’importance du phénomène : ça s’appelle la réunionite. De back-to-back meetings en réunions stratégiques interminables, nos agendas ressemblent davantage à une liste de course qu’à un planning pensé et réaliste. Mais alors, de quelle maladie ce syndrome est-il le signe ? Peut-on en guérir ? La réunionite, ce syndrome incurable. C’est quoi l’histoire ?
Quand on commence à faire des réunions pour planifier les prochaines réunions, la sonnette d’alarme devrait retentir. Et pourtant… Et pourtant, dans certaines organisations, la réunionite est si profondément ancrée que le réflexe portera davantage vers la planification de réunions pour réfléchir à la question des réunions qu’à la réelle résolution du problème.
S’il est aussi difficile de lutter contre cette réunionite aigüe qui sclérose certaines organisations, c’est justement parce que la réunion dit quelque chose de nous dont on n’est pas près de se débarrasser.
Un peu comme si enchaîner les réunions, de préférence tard le soir, nous rendait plus important. Un truc de chef quoi hein cheffe ? « Dis-moi quelles sont tes réunions, je te dirai qui tu es », bref un agenda de ministre !
La réunion devient alors le symbole de notre pouvoir sur l’autre. Qui de nous deux décalera ses contraintes pour coller à celles de l’autre ?
En réunion, comme au théâtre de l’antiquité, on s’y rend davantage pour être vu. Ce qui a de l’importance n’est pas tant le sujet que l’on traite mais plutôt la place que l’on occupe, son temps de parole mais aussi qui est arrivé à l’heure et qui repart avant la fin…
Mais également, qui était présent ! J’entends souvent : « Je vous laisse j’ai une réunion avec le chef, avec les décideurs bidules, avec le patron machin ». On ne te parle pas de la raison de la réunion. Seulement de qui y est présent.
La réunion devient alors un marqueur de ton statut social professionnel. J’ai du pouvoir, et je suis important ! Parce que je suis en réunion… C’est drôle quand on y pense d’accepter de se faire chier à cent sous de l’heure pour paraître important.
Drôle je sais pas… mais ça donne à penser en tout cas ! La réunion devient le symbole : du pouvoir et de ta place dans l’échiquier, on l’a dit. Mais c’est aussi le symbole d’un système qui s’autojustifie.
C’est l’humoriste Fred Allen, qui disait, je cite : « Un comité est une réunion de gens importants qui, pris séparément, ne peuvent rien faire mais qui, ensemble, décident que rien ne peut être fait. ».
Et pour preuve, tout le monde comprend que tu ne sois pas disponible parce que tu es en réunion, beaucoup ont plus de mal à comprendre que tu n’es pas disponible parce que… tu travailles !
La réunion devient finalement la seule justification de ce travail que l’on ne réalise plus, tant on s’englue de comité en comité à réfléchir sur ce qui pourrait être fait plutôt qu’à le faire.
Attention, il n’est pas question de dire qu’en réunion je ne travaille pas. Bien sûr que ça fait partie de mon temps de travail. Mais la réunion seule ne sert à rien. Ce n’est que parce qu’elle vient conclure ou relancer une série de travail personnel productif qu’elle est utile.
Tu veux dire que coopérer, ce n’est pas tout faire tous ensemble tout le temps ? C’est travailler chacun de son côté sur une partie du travail et prévoir des temps de remise en commun pour décider, trancher, orienter et acter.
Tu as raison, décider, trancher, orienter, acter, devrait être l’objet de toute réunion… Sauf que c’est sans compter sur ce qu’on a dit précédemment : les jeux de pouvoir, le fait de se montrer, de révéler son importance, de discuter du problème parce que précisément on ne sait pas le résoudre.
Supprimer les réunions ne suffit donc pas, et n’est même pas souhaitable. Il faut s’attaquer plus en profondeur aux vrais sujets.
A commencer par les sources de reconnaissance pour les personnes qui participent à ces réunions. Car si la réunion est un marqueur social, je tire donc une certaine fierté à en faire partie.
Si participer à une réunion pour être reconnu devient l’ambition ultime, ça questionne quand même sur ton ambition non ?
Oui, mais ça questionne aussi sur la manière dont l’entreprise valorise les personnes. Parfois, il faut être vu pour être reconnu. Alors tu te montres en réunion auprès des chefs qui décident de ton bonus de fin d’année.
Donc si on veut lutter contre un présentéisme improductif, il faut s’intéresser aux processus de reconnaissance en vogue dans l’entreprise. Ceux qui sont écrits et ceux qui sont officieux et relèvent de la culture de la boite.
Mais aussi à la façon dont les personnes coopèrent et en particulier partagent l’information. Quand ne pas être invité à la réunion nous prive d’informations pourtant essentielles pour comprendre les impacts sur notre propre activité alors pas étonnant que l’on manque de siège !
Et si c’était l’organisation du travail qu’il fallait revoir et avec elle les rôles de chacun des services, la fluidité des processus lorsque les acteurs se multiplient, l’autonomie des collaborateurs…
Et des managers ! Parfois, les managers qui laissent leur place en réunion à leurs collaborateurs, ont peur (à tort ou à raison) d’être considérés comme inutiles. Si ton collaborateur peut te représenter, alors à quoi tu sers ?
Ils préfèrent alors jouer les passe-plats plutôt que de perdre leur position. Redonner une vraie place au manager et les valoriser pour ce qu’ils font plus que pour ce qu’ils savent permettrait peut-être de réduire le nombre de personnes en comités opérationnels.
Tu veux dire que pour lutter contre la réunionite il faudrait se questionner sur les sources de reconnaissance, la manière dont les gens coopèrent, l’autonomie des collaborateurs et le rôle des managers ?
Entre autres oui… Pas facile n’est-ce pas ? Sans compter, que réduire les réunions c’est aussi accepter de dire : « ce que je faisais, là, était inutile, je n’étais pas productif ». Tant que l’image primera sur ce qu’on réalise concrètement, la réunionite a de beaux jours devant elle.
Sauf qu’en parlant d’image, les sièges – les headquarters – qui se plaignent souvent d’être vus par les entités locales comme des mammouths improductifs toujours flanqués en réunion feraient bien de se poser cette question : quelle valeur est-ce que nous apportons réellement ?
On a qu’à faire une réunion pour répondre à ces questions ! Ou un autre podcast.
Tiens on l’appellera « je suis en réunion mais je me soigne ». Je te cale une réunion pour parler de ce qu’on pourrait mettre dedans.
En résumé, la réunionite n’est pas une maladie mais un syndrome. Elle révèle des maux bien plus profonds comme la place du pouvoir, la question de la reconnaissance et l’organisation du travail. S’il n’est pas question de les supprimer, il conviendrait néanmoins de se pencher sur la question pour les optimiser.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.